Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Actualité

L’Union européenne s’interroge sur le maintien du permis de conduire à vie

Le Parlement européen doit se prononcer sur un projet de directive controversé. Celui-ci entend notamment conditionner l’obtention et le renouvellement du permis de conduire à des visites médicales obligatoires. Objectif : renforcer la sécurité routière.

La France est un des très rares pays de l'UE où le permis de conduire est valable à vie, sans conditions de renouvellement - Crédits : Gwengoat / iStock
La France est un des très rares pays de l’UE où le permis de conduire est valable à vie, sans conditions de renouvellement - Crédits : Gwengoat / iStock

C’est un vieux débat, régulièrement remis sur la table en France… Aujourd’hui garanti à vie sauf en cas d’infractions graves ou répétées, le permis de conduire ne devrait-il pas être aussi conditionné à des examens médicaux réguliers ? Les députés européens, eux, seront amenés à se prononcer sur ce sujet mercredi 28 février, lors de la session plénière à Strasbourg. La mesure figure en effet au sein d’une directive visant à moderniser les règles du permis de conduire dans l’Union européenne.

Mais cette proposition, comme d’autres qui intègrent également cette nouvelle loi, suscite craintes et interrogations, notamment en France. Les associations de défense des automobilistes, en particulier, sont vent debout contre le projet. Le renouvellement du permis de conduire conditionné à un examen médical régulier est pourtant en vigueur dans de nombreux autres Etats membres de l’UE.

Pourquoi la Commission européenne veut-elle mettre fin au permis à vie ?

En 2022 dans l’Union européenne, près de 20 000 personnes ont perdu la vie sur la route. Il y a vingt ans, elles étaient environ 50 000 chaque année. La sécurité routière au sein de l’Union a été sensiblement renforcée au cours du temps. Mais pour Bruxelles, le travail doit continuer. L’objectif est ambitieux, mais clair : diviser par deux la mortalité routière d’ici 2030, et atteindre zéro victime sur la route dans l’ensemble de l’UE à horizon 2050.

Pour cela, la Commission européenne a proposé en mars 2023 de réviser à nouveau les règles relatives au permis de conduire, notamment en les harmonisant davantage à travers l’ensemble des 27 Etats membres. Introduites pour la première fois en 1980, leur dernière refonte date de 2006. Presque 20 ans plus tard, l’heure est donc à leur mise à jour afin de renforcer la sécurité routière dans tous les Etats membres.

A ce stade, l’ensemble des propositions a déjà été discuté et amendé par les députés européens membres de la commission des Transports et du Tourisme au Parlement européen. Leur version du texte, soumise au vote du Parlement lors de leur session plénière du 26 au 29 février, compte une mesure qui fait débat depuis longtemps en France : la fin du permis de conduire à vie. Concrètement, celle-ci obligerait les détenteurs du permis à passer une visite médicale de manière régulière afin de tester leurs aptitudes physiques, visuelles et auditives, conditionnant ainsi son renouvellement.

Un certain nombre de détails restent à définir, à commencer par la récurrence de ces examens obligatoires. Aujourd’hui, certains pays européens imposent des visites médicales lors du renouvellement administratif du permis de conduire, quand d’autres ne les exigent qu’à partir d’un certain âge (voir plus bas).

Cette décision pourrait revenir aux Etats membres. Aujourd’hui en France, la carte du permis de conduire est valable pour 15 ans. Un examen médical pourrait ainsi être imposé aux conducteurs tous les quinze ans, lorsqu’ils effectuent la démarche pour récupérer un nouveau document valide. L’autre option reste également sur la table. Le député MoDem Bruno Milliene a même déposé l’an passé une proposition de loi allant dans ce sens, visant à mettre en place une visite médicale de contrôle à la conduire pour les conducteurs de 75 ans et plus.

D’autres questions restent en suspens sur la forme de l’examen médical. Quels seront les “points de contrôle” vérifiés ? Qui assurera ces contrôles ? Seront-ils pris en charge par l’assurance maladie ? Autant d’interrogations auxquelles devront répondre le Parlement européen et les Etats membres lors de leurs négociations sur la directive.

Pourquoi la question divise-t-elle ?

Sur le sujet, deux camps s’opposent. Karima Delli, eurodéputée écologiste et présidente de la commission des Transports et du Tourisme au Parlement européen, est rapporteuse de ce texte. Dans Le Parisien, elle défend ainsi cette mesure : “Pour faire baisser le nombre d’accidents, les leviers sont la prévention, la tolérance zéro face à l’alcool et les stupéfiants. Il faut aussi s’assurer de l’aptitude physique des conducteurs.” Or, en vieillissant, les conducteurs ont tendance à perdre en réflexes, y compris en conduisant. Ce qui peut s’avérer dangereux pour eux, comme pour les autres usagers de la route.

On ne peut pas compter sur la responsabilité individuelle ou celle des familles pour dire à un proche qu’il doit arrêter de conduire”, poursuit l’élue française. Une position également partagée par les associations de sécurité routière. “Le principe de ne pas avoir un permis obtenu à un instant T sans contrôle intermédiaire et sans vérification d’une aptitude médicale nous paraît bon”, explique Jean-Yves Lamant, le président national de la Ligue contre la violence routière, toujours cité par Le Parisien.

Mais les associations de défense des automobilistes, elles, voient rouge. La Ligue de défense des conducteurs a ainsi adressé une pétition au président de la République ainsi qu’aux députés européens, pour dire “non à la suspension automatique du permis de conduire tous les 15 ans”. “La revalidation tous les 15 ans est une disposition qui serait inutile, discriminatoire, coûteuse […] pouvant priver, arbitrairement, un citoyen de son permis de conduire”, déplore l’association qui a déjà recueilli 420 000 signatures.

Un discours semblable à celui de l’association 40 millions d’automobilistes, qui a également lancé sa propre pétition en ligne : “Touche pas à mon permis”. “Les seniors sont les moins impliqués dans les accidents mortels. Ils sont même les moins responsables des accidents”, défend Pierre Chasseray, le délégué général de la première association nationale de défense des automobilistes, cité par TF1. Les associations s’inquiètent notamment du manque d’alternatives à la voiture pour les séniors, très dépendants de l’automobile pour se déplacer au quotidien.

Qu’en est-il dans le reste de l’Union européenne ?

Comme la France, l’Allemagne et la Pologne sont encore sur le modèle du permis de conduire à vie. Mais dans la majorité des autres Etats membres de l’Union, la conditionnalité du renouvellement de ce premier sésame est d’ores et déjà en vigueur. Aux Pays-Bas, les automobilistes sont obligés de passer un examen médical tous les cinq ans à partir de 75 ans afin de renouveler leur droit de conduire. Cela concerne les personnes âgées de 70 ans au Danemark et en Finlande, de 65 ans en Espagne, en République tchèque ou en Grèce, et de 50 ans en Italie.

Au Portugal, l’examen d’aptitude à la conduite est obligatoire à 40, 50, 65 et 75 ans. Passé cet âge, le contrôle s’effectue alors tous les deux ans. En Belgique, en Hongrie, en Lituanie ou en Lettonie, il faut fournir un certificat de son médecin lors de chaque renouvellement administratif de son permis de conduire.

En France, l’obligation de visite médicale existe toutefois pour certaines professions spécifiques. Les chauffeurs de bus, de poids lourds et de taxis doivent passer cet examen tous les cinq ans. Passé 60 ans, ce rendez-vous médical intervient tous les deux ans, puis tous les ans lorsqu’on est âgé de 76 ans ou plus.

Quelles sont les autres changements proposés par l’UE dans ce texte ?

Outre la fin du permis de conduire à vie, le projet de révision tel qu’adopté par la commission parlementaire comporte d’autres changements. Les députés proposent que tous les nouveaux conducteurs au sein de l’UE fassent l’objet d’une période probatoire de conduite d’au moins deux ans, induisant certaines restrictions : sanctions plus sévères en cas de conduite dangereuse, taux maximum de 0,2 g/l d’alcool au volant…

Une mesure qui diffère aujourd’hui selon les pays européens, et que la Commission entend harmoniser. Elle est toutefois déjà appliquée en France, avec le permis probatoire de trois ans pour les conducteurs ayant obtenu le permis via un apprentissage traditionnel. Durant cette période, ils doivent rouler moins vite sur les routes à grande vitesse et ont interdiction de conduire avec un taux d’alcool dans le sang supérieur ou égal à 0,2 g/l.

Afin de mieux préparer les futurs conducteurs aux nouvelles habitudes de conduite et de partage de la route, les eurodéputés soutiennent également une proposition visant à adapter la formation et les tests des conducteurs selon des critères communs. L’objectif est de mieux les préparer aux situations de conduite réelles et les sensibiliser aux risques, en particulier auprès des usagers vulnérables tels que les piétons et cyclistes.

Les membres de la commission parlementaire ont aussi proposé d’instaurer, pour ceux qui le souhaitent, un permis de conduire numérique. Celui-ci serait disponible sur téléphone portable et totalement équivalent au permis de conduire physique. Une mesure déjà en vigueur en France depuis quelques semaines, à travers le service France Identité.

Enfin, pour atténuer la pénurie de conducteurs professionnels, les députés ont convenu de permettre aux jeunes Européens d’obtenir un permis de conduire pour camion ou bus jusqu’à 16 passagers dès l’âge de 18 ans, à condition qu’ils soient titulaires d’un certificat de compétence professionnelle.

Quelles chances le texte a-t-il d’être adopté ?

Le 7 décembre, le vote des députés européens de la commission des Transports et du Tourisme a été extrêmement serré : 22 voix pour, 21 contre et 2 abstentions. Les eurodéputés issus des rangs de Renew Europe, d’Identité et démocratie (ID), de La Gauche (GUE/NGL), les écologistes (Verts/ALE) et les sociaux-démocrates (S&D) ont quasiment tous voté en faveur du texte. Au contraire des élus du Parti populaire européen (PPE) et des Conservateurs et réformistes européens (ECR), qui s’y sont opposés.

Ce vote serré en commission laisse entrevoir un scénario semblable lors du vote en session plénière, auquel sont invités à prendre part l’ensemble des 705 députés européens. Un débat est prévu pour le mardi 27 février, le vote devant se tenir le lendemain.

Si les eurodéputés parviennent à s’entendre sur la directive en première lecture, ils devront ensuite débattre de sa version finale avec les Etats membres. Le compromis issu de leurs discussions devra ensuite être formellement adopté par leurs institutions respectives, le Parlement européen et le Conseil de l’UE. Avant d’être transposée dans le droit national de chacun des 27 Etats membres, pour finalement être effective, possiblement en 2026 ou en 2027.

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

  • Société

  • Transports

  • Questions de société

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur L'Union européenne s'interroge sur le maintien du permis de conduire à vie

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide

1 commentaire

  • Avatar privé
    Alain

    84 % des personnes présumées responsables d’accidents mortels sont des hommes. Les jeunes de 18-24 ans comptent toujours parmi les plus à risque : 549 tués (soit 101 tués par million d’habitants de cet âge) et 2 739 blessés graves (soit 506 blessés graves par million d’habitants de cet âge).31 mai 2023. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, si des personnes réussissent à avoir le permis de conduire ils réussiront à passer cette fameuse visite pour ensuite créer des accidents. Les pouvoirs publics devraient chercher d’autres axes pour sécuriser les routes