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Pacte vert, PAC, libre-échange… ce que les agriculteurs reprochent à l’Union européenne

En France, mais aussi un peu partout en Europe, les agriculteurs ont longuement exprimé leur colère en ce début d’année. A quelques mois des élections européennes, plusieurs de leurs revendications ciblant des politiques de l’UE se sont invités dans la campagne.

Le 8 janvier dernier, les agriculteurs allemands ont manifesté devant la porte de Brandebourg à Berlin pour protester contre la réduction d'une subvention sur le fioul agricole
Le 8 janvier, les agriculteurs allemands ont manifesté devant la porte de Brandebourg à Berlin pour protester contre la réduction d’une subvention sur le fioul agricole - Crédits : Flickr Matthias Berg CC BY-NC-ND 2.0 Deed

Depuis le début de l’année, des mouvements de contestation des agriculteurs ont éclaté aux quatre coins de l’Union européenne, de la Pologne aux Pays-Bas, en passant par l’Allemagne et la Roumanie, sans oublier la France. Avec dans chaque pays, un élément déclencheur différent : une réduction des subventions sur le fioul agricole en Allemagne, le coût des carburants et des assurances en Roumanie ou encore les importations de céréales ukrainiennes en Pologne.

Si le mouvement n’est pas coordonné au niveau européen, les agriculteurs du Vieux Continent dénoncent tous des conditions de travail difficiles et un manque de considération de la part des dirigeants politiques. A l’approche des élections européennes (6-9 juin), les représentants des agriculteurs mettent également en cause certaines politiques de l’Union européenne. Parmi les plus visées, on retrouve le Pacte vert européen (Green Deal en anglais), la politique agricole commune (PAC) ou encore la politique commerciale.

En plus d’alimenter les débats entres les candidats au scrutin européen, ces mouvements ont permis aux agriculteurs européens d’obtenir plusieurs concessions.

Un Pacte vert trop radical ?

“Le fondement commun, c’est l’incompréhension de ce qu’est le cadre européen aujourd’hui […] Ce sujet, c’est le Green Deal”, soulignait le président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) Arnaud Rousseau le 22 janvier sur France Inter. Le Pacte vert est la feuille de route environnementale de la Commission européenne et la priorité de sa présidente Ursula von der Leyen. Il poursuit un objectif principal : faire en sorte que l’Union européenne atteigne la neutralité climatique en 2050.

Mais cette ambition européenne est devenue la cible des paysans en colère. Ils reprochent au Pacte vert, et surtout à sa déclinaison agricole (la stratégie “de la Ferme à la table”) des ambitions intenables pour leur secteur. “Les agriculteurs veulent contribuer [à la lutte contre le changement climatique]”, affirme Christiane Lambert, présidente du Copa qui rassemble les syndicats agricoles majoritaires en Europe. Dans un entretien accordé à Ouest-France en janvier dernier, elle met toutefois en garde la Commission : “attention à ce que la marche ne soit pas trop haute. Nous sommes confrontés à un amoncellement de normes environnementales qui menacent la viabilité de nos exploitations”.

Du côté du Parlement européen, certains réfutent l’idée selon laquelle la cause des problèmes actuels serait liée au Pacte vert. A l’image du Français Pascal Canfin (Renew) qui rappelait en mars qu’ ”aucun des textes agricoles du Pacte vert n’[était] encore entré en vigueur”. A ce jour, sur la trentaine de textes que compte la stratégie “De la ferme à la table”, très peu ont en effet abouti. Une quinzaine d’entre eux n’ont pas encore fait l’objet de propositions.

Enfin certains, et non des moindres, ont été ralentis, voire abandonnés. A l’image du projet phare de révision de la législation sur les produits phytosanitaires qui prévoyait une baisse de 50 % de l’usage de ces substances d’ici à 2030. Le 6 février dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé le retrait du texte. Quelques semaines plus tôt, en novembre 2023, celui-ci avait été rejeté par le Parlement européen, après avoir été vidé de sa substance par les groupes de droite de l’hémicycle. Du côté de l’autre législateur, le Conseil de l’UE, les discussions étaient par ailleurs au point mort. 

En novembre dernier, Etats membres et eurodéputés se sont tout de même entendus sur le dossier sensible de la restauration de la nature. Destinée à améliorer l’état des écosystèmes terrestres et marins, ce projet avait suscité de vifs débats dans les sphères européennes, conduisant à un “affaiblissement” du texte, selon ses défenseurs. Mais si le Parlement a formellement entériné le texte, le Conseil de l’UE traine des pieds, redoutant que le texte soit rejeté. 

Un “dialogue stratégique” entre les institutions européennes et le monde agricole

En septembre dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait annoncé le lancement d’un “dialogue stratégique sur l’avenir de l’agriculture de l’UE” pour désamorcer la grogne du monde agricole. Ce groupe d’une trentaine de représentants de la chaine alimentaire a débuté ses travaux le 25 janvier et doit rendre ses conclusions d’ici l’été prochain.

Présidé par l’universitaire allemand Peter Strohschneider, qui a conduit des travaux similaires dans son pays, le groupe réunit les principales organisations du secteur (exploitants agricoles, coopératives, associations, entreprises, société civile ou ONG) et envisage d’ouvrir la voie à des contributions extérieures.

Les discussions portent sur quatre grands thèmes : les revenus et les conditions de vie décentes, les questions environnementales et l’adaptation des systèmes de production, l’innovation et enfin la compétitivité du système alimentaire de l’UE.

Une politique agricole commune trop complexe ?

Côté français, les premiers mécontentements ont été exprimés à l’automne 2023. A cette période, le syndicat des Jeunes agriculteurs lance le mouvement “On marche sur la tête” en retournant les panneaux d’entrées des communes pour protester, entre autres, contre les retards de paiement des aides de la politique agricole commune.

Mise en place en 1962 pour assurer la souveraineté alimentaire du continent, la PAC représente encore aujourd’hui plus du tiers des dépenses de l’Union européenne (386,6 milliards d’euros pour la période 2021-2027). Les agriculteurs français en sont les principaux bénéficiaires avec plus de 9 milliards d’euros par an, représentant une part importante de leurs revenus.

Sans la PAC, l’agriculture française n’aurait pas connu un tel développement depuis un demi-siècle”, reconnait Christiane Lambert. Si les agriculteurs ne remettent pas directement en cause cette politique, ils dénoncent les lourdeurs administratives qu’elle implique. Au fil des années, les démarches pour bénéficier des aides agricoles se sont complexifiées, conduisant à des retards de paiement.

La dernière réforme de la PAC, entrée en vigueur en 2023, a également apporté son lot de nouveautés. Parmi elles, la mise en place d’écorégimes, un système d’aides directes visant à promouvoir des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Autre élément : les plans stratégiques nationaux, des feuilles de route rédigées par chaque pays pour une période de 5 ans.

Ces changements ont également engendré de nouvelles procédures pour les agriculteurs, comme pour les administrations nationales qui effectuent les paiements, et occasionné d’importants retards. Les versements sont réalisés par chaque Etat membre, la Commission venant rembourser les sommes octroyées. Conscient de l’impact de ces retards de paiement sur la trésorerie des agriculteurs, le Premier ministre Gabriel Attal avait annoncé en février l’accélération du versement des aides de la PAC. 

Enfin, ces aides sont jusqu’ici conditionnées au respect de certaines mesures, appelées BCAE (bonnes conditions agricoles et environnementales) et jugées inadaptées à leur situation par les agriculteurs. Comme la mise en jachère d’au moins 4 % des terres arables (qui peuvent être labourées ou cultivées) pour favoriser la biodiversité. Une obligation pour laquelle la Commission européenne avait déjà prolongé la suspension courant février (cette dernière avait été mise en place après l’invasion russe de l’Ukraine pour doper la production agricole commune).

Surtout, mi-mars, l’exécutif européen a proposé de réformer certaines de ces BCAE. Cet “assouplissement” de la PAC vise par exemple à supprimer l’obligation de mise en jachère. Autre condition allégée : la rotation des cultures sur 35 % des terres arables. Les Etats membres pourront décider de la supprimer au profit d’une simple “diversification” des cultures. Enfin, le texte prévoit d’exempter les petites exploitations de moins de 10 hectares des contrôles liées aux conditions environnementales. Après l’accord des Etats membres fin mars, la révision de la PAC n’attend plus que le feu vert du Parlement européen jeudi 25 avril pour être effective. 

Une mauvaise répartition des aides de la PAC ?

De nombreux dirigeants estiment par ailleurs que les fonds alloués à la Politique agricole commune ne sont pas distribués de façon équitable.

Un système qui conduit à une certaine concentration des aides de la PAC. Selon un document du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, 20 % des agriculteurs français possèdent 52 % des terres agricoles et touchent 35 % des subventions européennes. Et ces inégalités sont encore plus visibles au niveau européen : 20 % des agriculteurs possèdent 83 % des terres agricoles et perçoivent 81 % des aides. 

Le poids agricole de l’Ukraine…

L’invasion russe de l’Ukraine en février 2022 a également eu son lot de conséquences pour le secteur agricole. Pour soutenir l’économie du pays et garantir l’approvisionnement de certaines denrées alimentaires, l’Union européenne a rapidement suspendu l’ensemble des droits de douane sur les produits importés d’Ukraine.

Cette décision a nécessairement conduit à une hausse des importations de certains produits agricoles comme les œufs, le sucre ou les poulets, déstabilisant les marchés européens. A l’image des producteurs de volailles, qui estiment que le kilo de poulet ukrainien se vend aujourd’hui 3 euros, contre 7 pour le français. Les agriculteurs y voient une concurrence déloyale en raison des normes bien moins contraignantes côté ukrainien.

Le 8 avril dernier, les représentants des Etats membres de l’Union européenne et des eurodéputés ont trouvé un accord pour durcir les restrictions sur les importations agricoles ukrainiennes. A partir du mois de juin, des plafonds devraient être appliqués à certains produits dits sensibles : volaille, œufs, sucre, avoine, gruau, maïs ou encore miel. Mais contrairement aux souhaits de la France, de la Pologne, de la Hongrie et des organisations d’agriculteurs européens, le blé et l’orge ne sont pas concernés.

La guerre en Ukraine a également contribué de façon indirecte à accélérer l’inflation. Un phénomène qui a touché les agriculteurs de plein fouet, ces derniers ayant été affectés par l’explosion des coûts de l’énergie, mais également de ceux des intrants, de la main d’œuvre et de l’alimentation des animaux.

… et celui du Mercosur ou de la Nouvelle-Zélande

L’argument de la concurrence déloyale revient régulièrement dans la bouche des agriculteurs au moment d’évoquer les accords de libre-échange. Ils dénoncent par exemple l’accord commercial entre l’Union européenne et l’alliance économique du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay), conclu en 2019 mais pas encore ratifié. Là encore, selon les représentants du monde agricole, les normes environnementales et sociales européennes sont de loin plus exigeantes que celles qui touchent les agriculteurs sud-américains.

Exposant les motifs d’une résolution adoptée le 16 janvier dernier, plusieurs sénateurs résument ces inquiétudes : “L’agriculture française et européenne ne supporterait pas longtemps la concurrence déloyale d’un tel afflux de poulets dopés aux antibiotiques, de maïs traité à l’atrazine ou de bœuf responsable de la déforestation, produits à l’autre bout du monde et bénéficiant des ‘tolérances à l’importation’ de l’Union européenne, par exemple en matière de limites maximales de résidus”.

Il n’est pas question pour la France d’accepter ce traité. C’est clair, c’est net et c’est ferme”, a quant à lui soutenu Gabriel Attal le 1er février dernier. Deux jours plus tôt, la Commission européenne avait indiqué que “les discussions [continuaient]” bien que “les conditions pour conclure avec le Mercosur ne sont pas réunies”.

Plus récemment, l’Union européenne a achevé de ratifier un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande qui devrait entrer en vigueur en 2024. L’accord prévoit une suppression des droits de douane néo-zélandais sur les importations de viande porcine, vin et vin mousseux, chocolat, ou encore confiserie et biscuits jusqu’ici taxés à hauteur de 5 %. Mais là aussi, plusieurs fédérations d’éleveurs ainsi que des associations écologiques ont exprimé leurs inquiétudes vis-à-vis de cette concurrence néo-zélandaise. En cause notamment : l’utilisation, par les agriculteurs de cet Etat insulaire d’Océanie, de substances chimiques interdites sur le sol européen, comme l’atrazine ou le diflubenzuron.

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