16 millions d’années de vie en bonne santé perdues et près de 950 000 décès en 2017, dans l’Union européenne. Ce lourd bilan serait, selon la Commission européenne, imputable à des régimes alimentaires peu sains. Si l’impact de l’alimentation sur la santé est avéré, celui sur l’environnement n’est également pas à minorer. L’agriculture était ainsi responsable de 11,4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Union en 2020 et contribuerait de façon importante à l’appauvrissement de la biodiversité.
Consciente de ces enjeux, la Commission européenne a présenté le 20 mai 2020 deux stratégies conjointes, déclinaisons du Pacte vert, le fil rouge de l’ambition environnementale de l’exécutif européen. La première vise justement à enrayer cette chute de la biodiversité à l’horizon 2030. La seconde, baptisée “De la ferme à la table”, a quant à elle pour but de promouvoir “un système alimentaire équitable, sain et respectueux de l’environnement”.
Parfois également appelée “De la ferme à la fourchette”, en référence à son titre anglais (“Farm to Fork” ou “F2F”), la feuille de route adoptée en octobre 2021 est déclinée à travers une trentaine de textes législatifs. Si certains ont d’ores et déjà été adoptés, d’autres apparaissent comme plus sensibles compte tenu du contexte. La stratégie avait déjà été âprement discutée lors de son adoption, certains eurodéputés et associations professionnelles du secteur s’inquiétant de ses conséquences sur la souveraineté alimentaire du continent. Les répercussions du conflit en Ukraine sur le cours des marchés agricoles mondiaux n’ont pas apaisé certaines de leurs craintes.
Des objectifs ambitieux
Les différentes propositions de la stratégie viennent décliner les ambitions du Pacte vert européen au niveau de l’alimentation. Parmi elles, une mesure phare est ainsi destinée à réduire de 50 % le recours aux pesticides d’ici à 2030. Une coupe conjuguée à l’objectif de 20 % pour les engrais chimiques.
L’exécutif européen souhaite aussi donner un sérieux coup de pouce à l’agriculture biologique dans les années à venir. Si les surfaces consacrées au bio ne représentaient que 9,1 % des terres exploitées dans l’UE en 2020, la Commission ambitionne que ce chiffre grimpe à 25 % à l’horizon 2030.
Les eurodéputés ont également donné leur feu vert au principe d’un système d’étiquetage nutritionnel obligatoire et harmonisé au niveau européen. En France, il est utilisé depuis plusieurs années sous le nom de nutri-score, un dispositif repris par plusieurs pays à l’ouest de l’Europe. La généralisation d’un tel affichage permettrait selon ses défenseurs de réduire la surconsommation d’aliments très transformés contenant beaucoup de sel, de sucre et de matière grasse. La définition de teneurs maximales de ces éléments permettrait également de les limiter dans les produits alimentaires, selon la résolution du Parlement européen.
Autre sujet majeur lié à l’alimentation : le bien-être animal. Une thématique mise sur le devant de la scène en juillet 2021, lorsque la Commission a répondu favorablement à une initiative citoyenne européenne portée par des associations de défense des animaux et réunissant 1,4 million de citoyens, visant à mettre fin à l’élevage en cage à partir de 2027. Cette proposition, reprise par l’exécutif européen, devrait s’accompagner d’une révision des directives sur le bien-être animal.
Les ambitions européennes en danger ?
Avant même son adoption, les discussions autour du texte ont fait l’objet de vives tensions entre eurodéputés. “Les lobbies de l’agro-industrie et de l’agrochimie, qui voulaient que rien ne change, ont échoué’, s’était félicité le socialiste Eric Andrieu peu après le vote du Parlement européen en octobre 2021 dans un communiqué. L’eurodéputé français visait particulièrement les protestations du Copa-Cogeca, principal syndicat agricole européen.
En amont du vote, l’organisation avait critiqué les mesures proposées ainsi que le calendrier, qui rendraient d’après elle, “l’UE dépendante des importations pour nourrir sa population”. Un argumentaire repris à l’époque par certains eurodéputés des groupes Renew Europe (libéraux) et PPE (Parti populaire européen, conservateurs) comme l’Alsacienne Anne Sander. Avec sa stratégie “De la ferme à la table”, la Commission “risque de sacrifier notre autonomie alimentaire et l’avenir de nos agriculteurs”, déclarait-elle à l’issue du vote.
Etude contre étude
Lors des débats au Parlement européen, certains députés ont dénoncé un manque de transparence de la part de la Commission européenne dans une étude publiée par son Centre commun de recherche (JRC) en juillet 2021. Ils l’accusaient de ne prendre en compte que certains des objectifs de la stratégie et mettaient en avant une autre publiée par l’université de Wageningen aux Pays-Bas. Commandée par l’organisation représentant l’industrie des pesticides, CropLife Europe, celle-ci prévoyait quant à elle une chute des rendements agricoles. “Des prédictions apocalyptiques”, fustigeait alors le groupe des Verts au Parlement européen dans une tribune sur son site.
Depuis son adoption, un autre événement d’ampleur est venu bouleverser l’agriculture européenne et mondiale : l’invasion russe en Ukraine. A titre d’exemple, les cinq années précédant le conflit, “la Russie et l’Ukraine ont représenté respectivement 10 % et 3 % en moyenne de la production mondiale de blé”, explique l’OCDE. Une situation qui a eu d’importantes conséquences sur l’inflation alimentaire (+18,2 % entre décembre 2021 et décembre 2022 selon Eurostat) mais également sur le prix des intrants (+27,3 % entre janvier et décembre 2022, selon l’Agreste).
Dans ce contexte, de nombreuses voix se sont élevées pour appeler à revoir les objectifs définis dans la stratégie “De la ferme à la table”. Plusieurs candidats à l’élection présidentielle française au printemps 2022 avaient par exemple formulé cette requête.
Dans les faits, cette stratégie n’est pas vraiment contraignante car les objectifs doivent être déclinés en plusieurs textes législatifs. Or, comme le révèle le site Contexte, certains seraient jugés “très sensibles” au sein de la Direction générale de l’Agriculture de la Commission européenne. Parmi eux figurent la proposition de règlement sur l’usage durable des pesticides ou encore celle pour définir des “profils nutritionnels” pour restreindre la promotion d’aliments trop gras, trop sucrés ou trop salés.
1 commentaire
Bonjour,
Ma question est simple : comment pouvez justifier que La Commission Européenne, à la solde de tous les lobbys, veuille mettre fin à la certification “Label rouge” pour la volaille, ce qui va tuer la filière avicole française de qualité, pour les lobbys allemands de l’élevage en batterie ?