Bien souvent, et notamment lorsqu’elles sont décriées, les décisions européennes sont attribuées au seul fait de la Commission. Or la réalité est bien plus complexe.
Voici comment la Commission européenne prend la plupart du temps ses décisions. Il s’agit ici de la “procédure législative ordinaire”, le mode de prise de décision le plus employé par l’Union européenne.
En amont de la proposition
Tout débute souvent avec un programme d’action que le président de la Commission établit lorsqu’il est élu, pour une période de 5 ans. Tous les ans, sur la base de cet agenda et en fonction des nouvelles priorités, un “programme de travail” est également adopté. Pour chaque politique, une stratégie spécifique est également élaborée.
Imaginons que la Commission européenne ait, par exemple, l’intention de réduire les émissions de polluants dans l’air. Un cas d’école sur lequel l’Union européenne a déjà pris des mesures, mais qui pourrait faire l’objet d’une réforme afin de réduire à nouveau les plafonds autorisés. Dans ce cas, la proposition de la Commission suit un programme d’action spécifique à l’environnement, qui propose une vision à long terme et des objectifs prioritaires précis.
La Commission a donc le plus souvent des objectifs à moyen et à court termes, qui s’inscrivent dans une stratégie à plus long terme. Les textes et les propositions qu’elle soumet sont rarement le fruit d’une décision inopinée ou d’une seule personne. D’autant que de manière générale, les agendas à long terme et les nouveaux objectifs sont impulsés en amont lors des sommets européens rassemblant les chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres (Conseil européen), ou bien à l’occasion de grands sommets internationaux.
Des projets peuvent également être proposés à la Commission par le Parlement européen, les Conseils européens et de l’UE ou même les citoyens de l’UE (dans le cas de l’Initiative citoyenne européenne).
Dans notre exemple, une proposition de directive est élaborée au sein de la direction générale (DG) de l’Environnement. Plus précisément, c’est un groupe de travail parmi les 32 000 fonctionnaires de 27 nationalités différentes de la Commission qui élabore la proposition. Mais cette équipe ne travaille pas seule sur ce texte. Celui-ci fait en effet des allers-retours entre les différentes DG (il y a au total 50 DG et services) afin de s’assurer que le texte est cohérent avec les autres politiques menées parallèlement. Au sommet, le directeur général ainsi que les commissaires responsables de l’Environnement (dont le président de la Commission européenne) suivent le projet de près.
Pendant la phase de préparation, la Commission mène également des études et des consultations, afin de parvenir à la meilleure proposition possible et, déjà, à un compromis. Elle consulte les différentes agences et comités de l’UE, qui rendent des avis non contraignants, mais aussi la société civile et les pouvoirs publics nationaux, par voie de consultations publiques ou de rencontres avec des professionnels dans le cadre de groupes de travail ou de réunions informelles. Les Etats membres, notamment par l’intermédiaire des parlements nationaux, peuvent déjà transmettre leurs positions à ce stade.
Le vote de la proposition
Une fois le texte prêt, le collège des commissaires européens vote à la majorité la proposition finale, par voie orale ou écrite. Le texte est alors envoyé au Parlement européen et au Conseil de l’UE.
La Commission n’a dès lors plus son mot à dire… jusqu’au moment du trilogue, où elle tente d’élaborer un compromis si le Parlement européen et le Conseil n’y parviennent pas seuls. S’il n’y a toujours pas d’accord, alors la proposition est rejetée, quelle que soit la position de la Commission européenne.
Après l’adoption de la proposition
Si la proposition est adoptée par le Parlement européen et le Conseil, en première lecture ou à l’issue du trilogue, alors la Commission peut de nouveau intervenir dans le cadre des actes délégués ou des actes d’exécution. Dans le cas de la directive sur les émissions polluantes, elle peut par exemple décider de réduire ce plafond sur certaines zones préalablement identifiées (ce serait un acte délégué), si cela n’entre pas en contradiction avec les objectifs du texte. Elle peut également décider de créer un office de contrôle pour la qualité de l’air, afin d’assurer l’application uniforme de la législation dans tous les pays de l’Union (ce serait alors un acte d’exécution).
La Commission n’a cependant pas tout à fait les mains libres : le Parlement et le Conseil de l’UE peuvent toujours mettre leur veto ou annuler des actes délégués ou d’exécution pris par la Commission s’ils estiment qu’ils sont contraires aux traités ou au texte législatif de base.
Dans tous les cas, lorsqu’une proposition, un acte délégué ou d’exécution sont adoptés, les Etats membres ou les citoyens européens peuvent les contester devant la Cour de justice de l’Union européenne, s’ils pensent qu’ils vont à l’encontre des traités.
Les autres pouvoirs de la Commission européenne
La Commission européenne dispose du monopole de l’initiative législative, dans la limite des compétences de l’Union européenne. Certains domaines, comme l’Union économique et monétaire (UEM), la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ou la Justice et les affaires intérieures, constituent cependant des exceptions à ce monopole (la Commission européenne ne peut pas proposer de texte sur ces questions).
La Commission exerce également des fonctions d’exécution, notamment pour le budget et les mesures liées à la concurrence. Elle finance et gère de nombreux programmes, dans des domaines aussi divers que l’audiovisuel, la santé, l’aide humanitaire…
Le commerce international est une compétence exclusive de l’Union européenne. En conséquence, les Etats membres lui ont, en théorie, cédé leur souveraineté dans ce domaine. C’est alors la Commission qui traite en leur nom toutes les questions liées au commerce. Cela concerne notamment les négociations sur les accords commerciaux internationaux, comme les accords dits “de nouvelle génération” , tel que le CETA. Ce pouvoir n’est cependant, une fois de plus, pas total et exclusif. Le Parlement européen et parfois même les parlements nationaux doivent ensuite valider les accords commerciaux pour qu’ils puissent entrer en vigueur.
Outre les politiques citées plus haut pour lesquelles la Commission ne dispose pas de l’initiative législative (euro, politique étrangère, affaires intérieures et justice), la politique sociale appartient également à cette catégorie. Un domaine sur lequel l’Union européenne a peu de pouvoirs, les Etats membres ayant conservé l’essentiel de leur souveraineté. Dans ce cas, le dialogue social est souvent préféré au processus législatif traditionnel. Celui-ci fait intervenir des partenaires sociaux jugés représentatifs, avec d’un côté les organisations professionnelles et de l’autre les syndicats.
Pour plusieurs domaines, l’exécutif européen doit consulter les partenaires sociaux avant toute initiative. Et s’ils désirent commencer une négociation, toute initiative de la Commission dans le domaine concerné devra être suspendue pendant 9 mois. A l’issue de cette négociation, les partenaires sociaux peuvent conclure un accord. S’ils y parviennent, la Commission européenne ne pourra pas le modifier. Il sera directement transmis au Parlement européen qui l’adoptera ou le rejettera. Le rôle de la Commission est d’autant plus supplanté que les partenaires sociaux peuvent eux-mêmes être à l’initiative d’une négociation sur un sujet qui entre dans leur champ de compétences.