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Valérie Drezet-Humez : “l’unité est une arme exceptionnelle, qui montre que l’UE est une force géopolitique”

La cheffe de la Représentation en France de la Commission européenne rappelle les grandes priorités stratégiques de l’UE. Elle souligne sa capacité à agir au bénéfice des citoyens et à demeurer unie dans un environnement incertain.

"Face au Royaume-Uni nous travaillons dans une seule optique : mettre en œuvre le cadre juridique et politique que nous avons négocié et signé", précise Valérie Drezet-Humez, espérant que la nomination de Lizz Truss comme Première ministre britannique ouvre un nouveau dialogue
“Face au Royaume-Uni nous travaillons dans une seule optique : mettre en œuvre le cadre juridique et politique que nous avons négocié et signé”, précise Valérie Drezet-Humez, espérant que la nomination de Lizz Truss comme Première ministre britannique ouvre un nouveau dialogue - Crédits : Jennifer Jacquemart / Commission européenne

Pas de répit sur le front européen. Alors qu’Ursula von der Leyen prononcera la semaine prochaine son discours sur l’état de l’Union devant les parlementaires européens, sonnant ainsi la rentrée, les défis à relever noircissent déjà l’agenda. Cheffe de la représentation de la Commission en France, Valérie Drezet-Humez détaille la feuille de route de l’exécutif européen, qui veille à se libérer des dépendances en tout genre. Que l’on parle des conséquences de la guerre en Ukraine ou des relations à rebâtir avec le Royaume-Uni, des transitions énergétique et numérique, d’économie ou de la défense, l’Union européenne veut affirmer son rôle géopolitique et défendre son modèle.

Ursula von der Leyen prononce son discours sur l’état de l’Union devant les députés européens, mercredi 14 septembre, quelle importance revêt ce rendez-vous dans le paysage politique européen ?

Ce rendez-vous, institutionnalisé depuis 2010, marque clairement la rentrée politique européenne. C’est l’occasion de prendre un peu de hauteur entre bilan et perspective en présentant les solutions apportées, les défis à relever et le chemin à tracer. C’est pour moi une approche générique assez saine, sachant que ce discours se tient en public, dans un dialogue entre institutions avec l’ambition de préparer les échéances ensemble, en transparence.

Ce discours donne donc la feuille de route stratégique de la Commission pour l’année ?

Oui, tout à fait ! Lorsque la Commission s’installe (en décembre 2019, NDLR), les grandes priorités stratégiques sont fixées pour 5 ans. Le discours sur l’état de l’Union vient se greffer sur ce cadre de travail pluriannuel pour présenter les inflexions et accélérations et dérouler les mesures concrètes de l’année 2023 adaptées au contexte.

Justement, quel message fera passer Ursula von der Leyen dans un contexte international instable qui entraîne des répercussions dans de nombreux domaines de la vie des citoyens européens ?

Le discours est un secret bien gardé ! Mais je pense que l’on peut envisager trois messages. Le premier message serait celui d’une Europe unie et ferme face à Vladimir Poutine, ce qu’il n’avait sans doute pas prévu. Le deuxième, serait une Union européenne qui sait réagir et s’adapter pour trouver des solutions face aux impacts de la vie quotidienne, notamment sur le pouvoir d’achat. Il est important de montrer cette proximité et les bénéfices que peuvent en retirer les citoyens. Le troisième volet que l’on peut attendre touche à l’autonomie et la réduction des dépendances, quel que soit le domaine, pas seulement énergétique.

Ursula von der Leyen a annoncé une réforme du marché européen de l’électricité. Quelles sont les pistes privilégiées à long terme ?

Le marché européen tel qu’il avait été conçu n’est plus dans les mêmes paramètres. Il faut distinguer les mesures d’urgence liées à l’augmentation des prix pour protéger les citoyens et les entreprises, des mesures liées à la révision du marché européen de l’électricité qui est beaucoup plus large. Deux volets court terme et long terme vont donc se dérouler en même temps (NDLR, voir les résultats du Conseil énergie vendredi 09 septembre). Pour les pistes “basiques” on peut citer : la réduction de la consommation, le plafonnement des prix, les achats groupés et la diversification de l’approvisionnement et des sources d’énergie avec une montée de la part des renouvelables dans le mix énergétique. Dans le discours sur l’état de l’Union, on trouvera sans aucun doute les perspectives pour la réforme globale du marché européen de l’énergie et de l’électricité.

L’enjeu de l’automne sera, entre autres, l‘objectif de réduction de 15 % de la consommation de gaz entre le 1er août et le 31 mars 2023. Dans quelle mesure la Commission va-t-elle suivre les plans de sobriété énergétique des Etats membres ?

Nous avons demandé aux Etats de présenter ces plans de réduction, mi-octobre, et nous suivons évidemment les évolutions en temps réel. L’important est que la sécurité énergétique soit assurée. Les objectifs de stockage de gaz sont atteints et nous pouvons dire qu’il n’y a plus de risque de pénurie pour cet hiver. Il faut donc maintenant penser à l’avenir et modifier notre modèle énergétique en insistant sur la sobriété, la solidarité et la substitution : aujourd’hui la Norvège est le premier fournisseur de gaz de l’UE, tandis qu’avec RepowerEU nous avons fixé l’utilisation des énergies renouvelables à 45% du mix.

L’été caniculaire a montré l’urgence d’agir pour le climat. Les trilogues de plusieurs textes du paquet climat “Fit for 55” vont être lancés, pensez-vous que les discussions vont s’accélérer ?

Je ne sais pas si on doit dire heureusement ou malheureusement, mais il y a une convergence des agendas qui est frappante : d’un côté la canicule qui vient rappeler aux plus indécis qu’il faut se dépêcher et de l’autre la quête d’une indépendance énergétique, soulignée par les conséquences de la guerre. Au-delà des trilogues, l’agenda européen s’est accéléré avec l’augmentation de nos ambitions en matière de renouvelable et de réduction d’énergie dans RepowerEU. Il faut aussi compter les fonds alloués dans le Plan de relance pour soutenir la transition écologique, qui sont autant d’actions démontrant l’urgence d’agir. Nous ne maîtrisons pas totalement le calendrier des négociations entre le Parlement et le Conseil, mais il est certain que le sentiment d’accélération est bien réel… Il est dans toutes les têtes.

La Commission européenne a validé le 31 août le Plan stratégique national (PSN) de la France dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC), effective en janvier 2023. Comment la Commission prend-elle en compte les conséquences de la guerre en Ukraine sur la production agricole ? Des entorses seront-elles acceptées quant à l’affirmation des principes d’une agriculture durable ?

Les objectifs ne changent pas, mais le réalisme nous contraint à l’adaptation. La capacité de réaction et d’adaptation de l’UE, encore récemment démontrée, est une force qu’il faut aussi défendre auprès des citoyens. Nous avons effectivement demandé aux Etats membres de revoir leur PSN à l’aune de cette nouvelle donne, des conséquences de la guerre, mais sans dévier des objectifs de long terme. Par exemple nous avons rapidement réagi sur la question des jachères en revoyant l’allocation des terres si un besoin de production se fait sentir, notamment sur le blé. L’UE maintient sa capacité à soutenir les agriculteurs. 

En décembre 2021, la Commission a proposé d’instaurer trois nouvelles ressources propres à partir du 1er janvier 2023, notamment pour rembourser l’emprunt lié au Plan de relance. Cette échéance pourra-t-elle être respectée ?

Le remboursement de l’emprunt consacré au Plan de relance commence en 2028, suivant une feuille de route préalablement discutée avec le Parlement et le Conseil. L’instauration de ces ressources est dans leurs mains concernant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou le système d’échange de quotas d’émission. La troisième nouvelle ressource dépend de l’OCDE pour une répartition plus équitable des bénéfices des entreprises multinationales (impôt mondial fixé au taux de 15%, NDLR). On espère un accord rapide pour engager le remboursement du plan dans les conditions que l’on s’était fixées, sans grever le budget futur. C’est aussi une question de crédibilité.

Les débats sur le budget 2023 vont occuper le Parlement et le Conseil de l’UE ces prochains mois. La guerre en Ukraine a bouleversé les équilibres, pensez-vous que les priorités vont évoluer ?

Nous devons rester sur nos grandes priorités stratégiques : l’investissement dans les transitions écologique et numérique. La guerre est venue renforcer l’importance que ces investissements revêtent pour favoriser l’autonomie stratégique de l’UE, quels que soient les domaines. Nous devons garder nos objectifs de durabilité et de capacité à soutenir l’économie, de renforcer les principes d’une Europe sociale.

Deux milliards et demi d’euros d’envoi d’armes aux Ukrainiens ont été financés par l’UE, tout en intensifiant les sanctions à l’encontre de la Russie. L’unité des 27 demeure-t-elle la principale force de l’UE dans ce conflit à distance avec Moscou ?

Très clairement. Ce que n’avait sûrement pas prévu Vladimir Poutine ! Quelles que soient les priorités de chaque Etat membre, nous avons pu dérouler un agenda européen et le conserver, adopter rapidement des sanctions à l’unanimité, et finalement reposer la question de confiance à chaque fois que des décisions devaient être prises. Cette unité est une arme exceptionnelle qui montre que l’UE est bien une force géopolitique. Mais il faut évidemment rester vigilants, rester à l’écoute des opinions publiques. Il peut y avoir des brèches et pour certains des tentations à instrumentaliser les peurs… (en juillet dernier, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a qualifié les sanctions européennes contre la Russie d’“erreurs”, NDLR)

L’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’Otan, si tant est que la Turquie la permette, vient-elle modifier l’architecture de sécurité en Europe ?

La position européenne se renforce puisque le nombre d’Etats membres au sein de l’OTAN augmente, passant de 21 à 23. La guerre en Ukraine a provoqué une accélération des investissements dans les budgets nationaux de défense que l’on doit canaliser vers des investissements européens pour servir une défense européenne, en matériel et en objectif, en complémentarité avec l’OTAN. La boussole stratégique montre bien ce que les Vingt-Sept sont prêts à faire ensemble et l’ambition va plus loin que la mise en place d’un fonds européen de défense.

La Commission livre depuis plusieurs années un bras de fer sur l’état de droit avec la Pologne et la Hongrie. La tension est même montée d’un cran avec la récente activation du mécanisme de conditionnalité des fonds à l’encontre de la Hongrie, dont le Plan de relance n’est toujours pas validé. L’exécutif européen envisage-t-il une amélioration de la situation dans ces deux pays sur cette question ?

L’état de droit c’est l’ADN européen et nous démontrons que nous ne transigeons pas sur nos valeurs. Nous avons utilisé tout l’arsenal à notre disposition, notamment en déclenchant les procédures d’infractions sur les questions de liberté de la presse, l’indépendance de la justice, …etc… Nous avons aussi instauré en 2021 le mécanisme de conditionnalité des fonds européens. Ce mécanisme a été activé, car il est de notre responsabilité de veiller à la bonne utilisation des fonds européens. Enfin, le troisième outil qui complète cet arsenal est le rapport sur l’état de droit (le dernier a été présenté en juillet, NDLR). En utilisant toutes les ressources juridiques à disposition et en montrant notre fermeté sur la durée, nous aurons une évolution, que l’on sent déjà…

Le Brexit s’imposera-t-il comme un feuilleton sans fin ? Peut-on voir prochainement un apaisement des relations avec le Royaume-Uni, notamment au sujet du protocole nord-irlandais (contrôles douaniers en mer d’Irlande) : sept procédures d’infractions ont déjà été déclenchées à l’encontre du Royaume-Uni.

Nous travaillons dans une seule optique : nous avons négocié, ratifié, signé les termes de notre nouvelle relation avec l’accord de retrait, l’accord de coopération et de commerce. Nous agissons et travaillons pour mettre en œuvre ce cadre juridique et politique, tout en montrant que nous ne sommes pas inflexibles. Nous avons par exemple proposé des solutions pratiques pour le contrôle des marchandises à la frontière nord-irlandaise. Il est tout de même de notre responsabilité de contrôler les produits qui rentrent sur le marché intérieur. Il faut vraiment que les acteurs au Royaume-Uni se mettent autour de la table et acceptent de discuter sur les mesures pratiques à mettre en œuvre. Il ne faut pas oublier qu’il y a également un vrai enjeu de paix, entre les deux Irlande.

Pensez-vous que le changement de Premier Ministre, Lizz Truss succédant à Boris Johnson, peut modifier les relations ?

Difficile de le dire. Nous pouvons juste espérer que le changement de Premier ministre provoque un “reset” du dialogue, nécessaire pour les deux parties. De notre côté, nous maintenons notre ouverture à la discussion et notre capacité de propositions.

Comment la Commission européenne compte-t-elle donner suite aux recommandations des citoyens exprimées lors la Conférence sur l’avenir de l’Europe ?

Il est bon de rappeler qu’il y aura un suivi de ce travail des citoyens, puisque Ursula von der Leyen a annoncé qu’un certain nombre de mesures seront appliquées dès le programme 2023. Un grand rendez-vous à l’automne présentera comment s’organise ce suivi. Il est certain que la participation citoyenne, au niveau européen, fera désormais partie du processus de travail d’une manière plus traditionnelle. Le citoyen est partie prenante de la pyramide institutionnelle. Je pense qu’on l’entendra clairement lors du discours sur l’Etat de l’Union.

Après Emmanuel Macron, Olaf Scholz a livré sa vision d’une Union européenne réformée. Pensez-vous qu’une révision des traités européens puisse être engagée ?

Il ne faut surtout pas en faire une fin en soi. Car à mon sens la question est ailleurs, la vraie question est : possède-t-on les moyens pour répondre de manière efficace aux défis qui sont posés ? Si oui, alors nous avançons dans le cadre défini ! Si le frein significatif se trouve dans les dispositions du traité, alors il ne doit pas y avoir de tabou et ouvrir le débat.

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