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Qu’est-ce que le Pacte européen sur la migration et l’asile ?

Le paquet migratoire présenté le 23 septembre 2020 par la Commission ambitionne de réformer la politique européenne d’asile. Il prévoit de traiter une partie des demandes d’asile aux frontières extérieures de l’Union, et de laisser plusieurs options aux Etats en cas de nouvelle crise migratoire.

Sur l’île grecque de Lesbos le 25 octobre 2015 : un mari, une femme et leurs enfants se tiennent sur la plage quelques instants après être arrivés avec d’autres migrants dans un bateau pneumatique bondé en provenance de Turquie - Crédits : Joel Carillet / iStock 

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE

Le projet de Pacte sur la migration et l’asile vise à renforcer la lutte contre l’immigration illégale et accélérer la reconduction des personnes en situation irrégulière.

Il prévoit une nouvelle procédure de filtrage aux frontières de l’Union européenne, afin d’accélérer le traitement des demandes d’asile.

Il veut également rendre les Etats membres plus solidaires les uns des autres pour éviter la concentration des demandeurs d’asile dans certains d’entre eux. 

La Commission européenne a présenté son Pacte sur la migration et l’asile le 23 septembre 2020. Un paquet de textes qui ambitionne de réformer la politique en la matière : celle-ci a en effet été marquée par son inefficacité lors des crises migratoires, comme en 2015.

La présentation du Pacte est par ailleurs intervenue quelques jours après l’incendie du plus grand camp de réfugiés d’Europe, le 9 septembre 2020, à Moria sur l’île grecque de Lesbos. Un drame qui, pour le vice-président de la Commission en charge des migrations Margarítis Schinás, souligne l’échec “d’un système qui n’en est pas un”.

Depuis les années 2000, la gestion des demandes d’asile incombe essentiellement aux premiers pays de transit des migrants. C’est ainsi l’Italie et la Grèce, au sud de l’Europe, qui se retrouvent en première ligne pour accueillir les demandeurs ayant traversé la Méditerranée. A l’inverse, la plupart des Etats d’Europe de l’Est n’acceptaient, jusqu’à l’éclatement du conflit ukrainien, que très peu de réfugiés sur leur territoire. 

Pendant ce temps, les naufrages en mer se succèdent : après un pic en 2015, plus de 2 500 migrants ont de nouveau péri ou disparu en Méditerranée de janvier à septembre 2023, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ce sont ainsi près de 30 000 migrants qui ont été portés disparus depuis 2014 après avoir tenté la traversée, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Le nouveau Pacte propose de remédier aux nombreuses failles de la politique d’asile européenne, en renforçant les contrôles aux frontières, notamment pour dissuader les volontaires au départ, et en organisant la gestion de l’asile en particulier lors de situations de crise. 

En septembre 2022, Parlement européen et Conseil de l’UE se sont engagés à finaliser ce Pacte pour février 2024. Le 20 avril 2023, le premier a adopté sa position de négociation sur quatre textes de la réforme, dont ceux portant sur la solidarité entre Etats membres dans l’accueil des exilés, le filtrage des migrants et les migrations légales. Le 8 juin, le Conseil est à son tour parvenu à un accord politique à la majorité qualifiée de 21 membres (quatre pays se sont abstenus sur le volet “solidarité” du pacte, la Hongrie et la Pologne ont voté contre). Le 4 octobre 2023, c’est le volet “crise” qui a obtenu un accord du Conseil. Enfin, l’essentiel du Pacte a fait l’objet d’un compromis entre Parlement et Conseil le 20 décembre 2023.

Renforcer les frontières extérieures

Une large partie du Pacte sur la migration et l’asile est consacrée à la protection des frontières de l’espace européen. 

L’une des mesures phares concerne la mise en place d’un premier filtrage, aux frontières de l’Union européenne, des personnes tentant d’entrer illégalement sur le territoire européen. L’objectif est d’accélérer le traitement des demandes d’asile avant l’entrée dans l’UE. Ce filtrage permettrait tout d’abord de déterminer, dans un délai de sept jours, si le demandeur doit déjà faire l’objet d’une procédure de retour - par exemple si une précédente demande d’asile a déjà été refusée. 

Surtout, une procédure spéciale de demande à la frontière serait imposée aux migrants dont la demande est recevable, mais qui sont jugés a priori peu susceptibles d’obtenir une protection internationale. Les ressortissants dont les chances d’obtenir l’asile sont considérées comme faibles au vu de leur pays d’origine (lorsque moins de 20 % des ressortissants de ce pays obtiennent de fait l’asile au sein de l’UE) ou de leur statut passeraient obligatoirement par cette procédure. Tout comme ceux considérés comme un danger pour la sécurité nationale ou l’ordre public. Le délai de traitement des demandes ne pourra alors pas dépasser douze semaines. Si les mineurs non accompagnés ne seront pas concernés par cette procédure spéciale, ce sera en revanche le cas des familles accompagnées de leurs enfants. 

Les demandeurs d’asile dont la demande est rejetée doivent être renvoyés dans un délai inférieur à douze semaines. Le pays de retour pourra être le pays d’origine ou un pays tiers : il sera déterminé par chaque Etat membre en fonction d’une liste nationale de “pays sûrs”. Le Pacte prévoit néanmoins la constitution progressive d’une liste européenne.

Ce filtrage s’appuie en partie sur le renforcement de l’instrument Eurodac, qui recueille les données - notamment biométriques - des migrants sur le sol européen. Aux empreintes digitales déjà collectées viendraient s’ajouter des images faciales ainsi que des informations supplémentaires telles que le nom, le prénom, la nationalité, la date et le lieu de naissance. Des informations sur les décisions d’éloignement, de retour ou de réinstallation permettront en outre de mieux identifier les personnes introduisant plusieurs requêtes. L’âge minimum pour la collecte des données est abaissé de 14 à 6 ans.

Garantir la solidarité entre Etats membres

Après l’échec d’un plan européen de 2016, qui avait tenté d’imposer à certains Etats la relocalisation des demandeurs d’asile, le nouveau Pacte migratoire vise la flexibilité.

La Commission aurait la possibilité de déclencher un “mécanisme de solidarité” impliquant tous les Etats en cas de “pression migratoire” constatée dans un ou plusieurs Etats membres (par exemple l’Italie ou la Grèce). Les Etats membres auraient alors le choix entre deux options : accueillir une partie des demandeurs d’asile (mesure qui serait soutenue financièrement par l’UE) ou bien aider l’Etat sous “pression” à accueillir ces demandeurs d’asile, à travers un soutien financier et/ou la construction de centres d’accueil. 

Le Conseil souhaite ainsi qu’au moins 30 000 demandeurs d’asile soient relocalisés depuis les pays de première ligne vers les moins exposés, selon une répartition préétablie (la France devrait ainsi accueillir 4 000 demandeurs depuis d’autres Etats membres). Les Etats qui refusent cette relocalisation seraient alors contraints de verser une compensation financière de 20 000 euros par personne. 

Un fonds de solidarité sera créé : tous les pays de l’UE devront y participer par des transferts (d’un demandeur ou d’un bénéficiaire d’une protection internationale du territoire d’un Etat membre bénéficiaire vers le territoire d’un Etat membre contributeur) et/ou des contributions financières.

Dix-huit des membres de l’UE (et trois pays associés) avaient formellement approuvé, le 22 juin 2022, une première version du mécanisme de solidarité pour une durée d’un an renouvelable. Celle-ci visait spécifiquement les migrants secourus en mer, objet fréquent de litiges, en Italie notamment. Les Etats s’étaient engagés à réaliser 10 000 relocalisations de demandeurs d’asile lors de la première année, un objectif non tenu. 

Faire face aux crises

Le volet “crise” du pacte migratoire prévoit des règles spécifiques en cas d’afflux, de risque d’afflux de migrants irréguliers ou d’instrumentalisation de vagues migratoires par un pays ou un acteur tiers. Il accélère et facilite certaines procédures, comme le déclenchement du mécanisme de solidarité par un Etat membre ou l’octroi d’une protection temporaire à des groupes de personnes originaires de pays en guerre. 

Il élargit aussi le système de filtrage décrit plus haut : les apatrides et les ressortissants de pays tiers dont le taux de reconnaissance du droit d’asile est relativement faible (égal ou inférieur à 50 % en première instance au niveau européen, contre 20 % pour le mécanisme en temps normal) pourraient alors eux aussi être déboutés aux frontières extérieures de l’UE. 

En outre, les délais d’enregistrement des demandes d’asile et les procédures à la frontière seraient allongés, autorisant un Etat membre à maintenir les arrivants plus longtemps dans des centres de détention aux frontières extérieures. 

Harmoniser la politique européenne

Le Pacte tente également d’harmoniser l’application de la politique migratoire et d’asile dans les Etats membres. Notamment en s’assurant que les règles déjà en vigueur soient bien appliquées par tous : en vertu du régime d’asile européen commun, les Etats membres sont par exemple tenus de respecter des normes communes pour des procédures d’asile équitables et efficaces, ce qui n’est pas toujours le cas. 

L’une des missions de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), inaugurée le 19 janvier 2022 en remplacement de l’ancien Bureau européen d’appui en matière d’asile, est de vérifier et d’appuyer cette effectivité des règles. Une mission qui doit débuter le 31 décembre 2023, grâce à une réserve de 500 experts. L’agence doit également fournir un soutien opérationnel et technique et proposer des formations aux autorités nationales des pays de l’UE. 

Le Pacte prévoit par ailleurs de faciliter l’immigration légale depuis les pays tiers. Le 18 décembre, Parlement et Conseil de l’Union européenne se sont également accordés sur une révision de la directive permis unique : celle-ci simplifie la procédure de demande de titre de séjour afin d’exercer un travail dans un Etat membre, et renforce les droits des travailleurs issus de pays tiers. Les Etats membres conservent toutefois le dernier mot au sujet des travailleurs qu’ils souhaitent accueillir, notamment leur nombre. 

Les négociations se poursuivent par ailleurs sur la révision de la directive sur les résidents de longue durée. La Commission a proposé, en avril 2022, de renforcer le droit des résidents de longue durée de se déplacer et de travailler dans d’autres Etats membres.

Enfin, la directive “carte bleue européenne”, destinée à favoriser l’accueil des ressortissants de pays tiers hautement qualifiés, a été adoptée le 20 octobre 2021. Elle devait être transposée dans les Etats membres avant le 18 novembre 2023. 

Faciliter les retours

La Commission a également proposé d’intensifier les accords de réadmission avec les pays d’origine des migrants, comme ceux déjà conclus avec la Turquie ou la Libye, pour faciliter le retour des personnes n’ayant pas obtenu l’asile. L’accès aux visas européens serait facilité pour les Etats qui accueillent leurs ressortissants reconduits, et durci à l’inverse pour les moins coopératifs. Le 2 mars 2022, un nouveau coordinateur de l’UE chargé des retours a été nommé. 

Le 24 janvier 2023, la Commission européenne a publié une stratégie opérationnelle pour une politique plus efficace en matière de retours. Celle-ci invite les Etats membres à négocier chacun avec quelques pays partenaires pour qu’ils acceptent le retour d’un plus grand nombre de leurs ressortissants. Seuls 21 % des migrants irréguliers reviennent effectivement dans leur pays d’origine après avoir reçu une décision négative d’un Etat membre sur leur demande d’asile. En 2022, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a décompté 187 000 personnes entrées illégalement en Europe, soit une hausse de 24 % par rapport à 2021.

La fin du système de Dublin ?

Quelques jours avant la présentation du Pacte sur la migration et l’asile en 2020, Ursula von der Leyen avait annoncé vouloir “abolir le règlement de Dublin”, qui régit l’accueil des demandeurs d’asile depuis 1990. Un système peu efficace et dénoncé par les Etats en première ligne dans la gestion des demandes d’asile.

Peu après la crise des réfugiés de 2015, année où 1,28 million de demandes d’asiles avaient été déposées sur le territoire de l’UE (contre environ 966 000 en 2022), la précédente Commission avait tenté de faire adopter plusieurs réformes. Un projet resté lettre morte face aux réticences des Etats membres à faire preuve de plus de solidarité dans l’accueil des migrants. Ceux-ci se concentrent en effet dans les pays d’arrivée des routes migratoires : l’Italie, la Grèce, l’Espagne ou encore Malte.

Conformément au système de Dublin, les demandes d’asile ont majoritairement été traitées dans les pays d’entrée sur le territoire européen. Bien qu’un système de relocalisation des demandeurs ait été adopté, sa mise en œuvre a été largement limitée. L’hostilité de plusieurs pays européens, dont ceux du groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie), a largement contribué à cet échec. 

Adopté en 2016, un accord controversé avec la Turquie a néanmoins permis de limiter l’afflux de migrants sur le territoire européen. En contrepartie d’une rétribution financière, le pays s’est engagé à exercer des contrôles plus stricts à ses frontières pour juguler l’immigration illégale ainsi qu’à accueillir tous les migrants illégaux venus de son territoire et arrêtés en Grèce. L’année suivante, un accord similaire a été conclu avec la Libye. Le 16 juillet 2023, c’est avec la Tunisie que l’UE a conclu un tel partenariat. 

De fait, le nouveau projet ne semble pas remettre fondamentalement en cause la règle générale de Dublin : qu’importe le pays de l’UE où le demandeur d’asile se trouve, il verrait sa demande traitée par le pays qui a enregistré son arrivée sur le sol européen. 

Certaines exceptions permettent aujourd’hui de déroger à ce principe, comme la présence d’un membre de sa famille dans un autre Etat membre. Le Pacte y ajoute de nouveaux critères d’exception, tels que l’intérêt de l’enfant, les diplômes, les relations significatives avec le pays et les connaissances linguistiques du demandeur. Les cas de regroupement familial seront par exemple traités en priorité et les liens familiaux identifiés rapidement.

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    Vidal

    Trafic d’êtres humains et esclavage
    Trafic d’enfants, prostitution forcée, tourisme sexuel, immigration clandestine.
    Cela rapporte, sauf pour ceux et celles qui en sont les victimes.
    Qui dans sa vie n’a pas rêvé du Paradis sur Terre ou de l’Eldorado, qui trop souvent se transforme en enfer ? Le Paradis promis, n’étant en réalité qu’un mirage. Trop de gens se font avoir par des marchands de bonheur sans scrupules qui profitent de la naïveté et surtout de la crédulité de leurs victimes, dont beaucoup sont malheureusement exploitées par leur propres congénères, qui au lieu du Paradis leurs font vivre l’enfer.
    Force est de constater que l’esclavage existe toujours au 21ème siècle, que ce soit la prostitution forcée, ou l’exploitation des clandestins par des employeurs peu scrupuleux, les clandestins étant une manne et surtout une main d’œuvre docile et sous payée et ou, non déclarée et donc de ce fait sans couverture sociale.
    Exploité par leurs semblables et le pire exploités par des gens de leurs propres familles qui les traitent en esclave, ceci devant rembourser le prix de leur passage et de leur calvaire.
    Des clandestins qui doivent maudire le jour où ils ont décidés de tenter l’aventure au risque et péril de leur vie. Combien sont morts dans la course à l’Eldorado ? Que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas les plus démunis qui tentent l’aventure, cela coute trop cher, (3000€ étant le minimum, certains dépensant jusqu’à 20.000€ voire plus).
    Pour un qui réussit à s’en sortir, combien sombrent dans la misère et le désespoir le plus profond ? Contrairement à ce que certains et ou certaines associations affirment, la plupart des candidats à l’exil ne meurent pas de fin dans leur pays d’origines, ils veulent tout simplement gagner un peu plus d’argent que dans leurs propres pays. Le paradoxe c’est que des étrangers comme les asiatiques s’enrichissent en Afrique, donc moralité, avec de la bonne volonté, il est parfaitement possible de gagner sa vie, même en Afrique, il leur suffit d’avoir juste un peu de jugeote et surtout beaucoup de volonté.
    A l’exception de deux ou trois pays, l’Afrique n’est pas pauvre, même le désert possède ses richesses qui ne demandent qu’à être exploitées (connaissant le Sahara pour y avoir vécu pendant 11 mois d’affilés)

    Juste une question : Quand l’union Européenne se décidera-t-elle de déclarer la guerre aux trafiquants d’êtres humains ?
    Pour info : Ceci a été expédié au Commissariat aux droits de l’homme de Genève en Suisse et en retour, environ une année plus tard, en (2009) j’ai reçu un message de félicitation de la part du haut Commissaire aux droit de l’homme « Genève » message que je conserve depuis…
    Actuellement il est fait un amalgame entre clandestins pour raison économique et demandeurs d’asile politique.
    CBV