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Laurence Champier : “Les banques alimentaires luttent contre la précarité et le gaspillage”

Directrice de la Fédération française des banques alimentaires, Laurence Champier nous explique le rôle de ce vaste réseau de solidarité. Soulignant que le Covid-19 puis l’inflation ont accru la précarité et la pauvreté, elle revient sur le soutien de l’Union européenne à l’aide alimentaire en France.

Les banques alimentaires revendiquent plus de 7 000 bénévoles sur le terrain (ici à Rouen)
Les banques alimentaires revendiquent plus de 7 000 bénévoles sur le terrain (ici à Rouen) - Crédits : Fédération française des banques alimentaires

647 millions d’euros. C’est le montant dont dispose la France jusqu’en 2027 avec le programme du Fonds social européen plus (FSE+) en soutien à l’aide alimentaire.

Fin 2021, quatre associations à but non lucratif ont été sélectionnées par l’Etat pour distribuer les denrées obtenues au moyens des crédits européens : la Croix-Rouge française, les Restaurants du cœur, le Secours populaire et la Fédération française des banques alimentaires. Rencontre avec Laurence Champier, directrice fédérale de cette dernière association.

Toute l’Europe a réalisé cette interview dans le cadre du Village des initiatives FSE+, qui s’est tenu les 16 et 17 mars à Paris. Visant à mettre en valeur les projets soutenus par les fonds européens et à lancer la nouvelle programmation 2021-2027, l’évènement était organisé par le ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion en collaboration avec Régions de France.

Toute l’Europe : Quel est le rôle de la Fédération française des banques alimentaires ?

Laurence Champier : Nous sommes le premier réseau d’aide alimentaire en France. Nous comptons 79 banques alimentaires, accompagnant plus de 6 000 associations partenaires qui viennent s’approvisionner chez nous. Ce sont des centres communaux d’action sociale (CCAS), des associations comme la Croix-Rouge française, des associations indépendantes et plus de 1 000 épiceries sociales et solidaires. L’an dernier, nous avons accompagné 2,4 millions de personnes. Ce sont plus de 264 millions de repas qui ont été distribués en France métropolitaine, aux Antilles et à La Réunion. Au sein de la Fédération, il existe deux piliers : la lutte contre la précarité alimentaire et la lutte contre le gaspillage.

Notre réseau est ancré sur le territoire, avec 110 implantations. Nous espérons développer des banques alimentaires en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française. Nous montons aussi des projets co-construits avec d’autres réseaux, comme des épiceries itinérantes avec l’Ordre de Malte ou la Croix-Rouge. 20 % des personnes qui viennent à l’aide alimentaire sont en zone rurale. Cela suppose de réfléchir à nouveau aux questions des politiques sociales de proximité et de mobilité.

Comment les banques alimentaires s’approvisionnent-elles ?

Le projet associatif des banques alimentaires, qui a bientôt 40 ans, est basée en grande majorité sur le don et le gaspillage alimentaire. 75 % de nos approvisionnements sont issus de la grande distribution ou de l’industrie agro-alimentaire. Le “Soutien européen à l’aide alimentaire” (SEAA) représente à peu près 20 % de nos approvisionnements, sans compter les crédits nationaux pour les épiceries sociales. Nous réalisons ensuite des collectes auprès du grand public. Le dernier week-end de novembre, 120 000 gilets oranges dans tous les supermarchés demandent chaque année une petite partie de vos courses : cela peut aller jusqu’à 10 % de nos approvisionnements.

Comment se traduit le soutien européen à votre action ?

L’ancien Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) 2014-2020 a été intégré dans le Fonds social européen (FSE+) avec un objectif : le soutien en biens matériels. L’Etat a fait le choix que cela se concrétise par des achats de produits alimentaires, confiés à quatre associations nationales qui les redistribuent aux bénéficiaires.

Cela représente 30 millions d’euros par an en équivalent de produits achetés par l’Etat et mobilisés par la Direction générale de la cohésion sociale au ministère du Travail (DGCS). Les achats sont effectués par FranceAgriMer, qui est l’organisme intermédiaire. Ils sont ensuite livrés aux banques alimentaires qui les distribuent gratuitement.

Nos associations partenaires possèdent des modes de distribution très divers. Il y a de la maraude, des repas sociaux, de la distribution de colis à domicile, des épiceries… L’enjeu des banques alimentaires est d’avoir des produits qui correspondent à tous ces modes de distribution. Le SEAA nous permet d’avoir accès à des produits utiles gratuitement.

Quel est le profil des personnes qui viennent chercher une aide alimentaire ?

Nous avons réalisé une étude sur le profil sociodémographique des personnes accueillies à l’aide alimentaire au premier semestre 2022. 94 % des personnes bénéficiaires vivent sous le seuil de pauvreté. Cela représente une accélération par rapport à notre édition précédente, deux ans auparavant. Et malheureusement, l’emploi ne prémunit plus aujourd’hui d’avoir recours à l’aide alimentaire. 17 % d’entre elles ont un emploi et 17 % sont retraités. Si l’on regarde les personnes en emploi, 60 % d’entre elles sont en CDI. Et ces personnes ont souvent un logement.

Si je devais schématiser, avec un profil-type, cela correspondrait à une femme de 49 ans dans une famille monoparentale. Plus finement, les familles monoparentales avec une femme et des enfants ont des revenus inférieurs à des familles monoparentales composées d’un homme et des enfants car il y a des écarts de salaires.

Avez-vous perçu les conséquences du Covid-19 sur ces profils ?

Avec la pandémie, nous avons vu arriver des auto-entrepreneurs et des étudiants, ainsi que des personnes qui étaient au chômage partiel. Concrètement, une famille dont les enfants allaient à la cantine avec un quotient familial très faible, donc qui payaient le repas de midi peu cher, se retrouvaient à la maison avec des revenus tronqués et trois repas par jour à faire. Une réalité qui a pesé sur le budget alimentaire de ces familles précaires et pauvres.

Depuis le Covid-19, nous avons élargi notre projet associatif et nous achetons des denrées alimentaires pour compléter la baisse des dons mais aussi pour apporter une aide alimentaire qui soit de plus en plus riche, diversifiée et de qualité. Il faut qu’elle corresponde aux personnes concernées.

Les conséquences de l’inflation sont-elles visibles ?

Les ménages font des choix en raison de l’inflation. Nous avons mené une étude en juin, quasiment au début du phénomène de hausse des prix. 49 % des personnes interrogées nous disaient déjà avoir changé leurs habitudes de consommation. Il y a un report massif vers les produits discounts. Pour nos bénéficiaires, le recours à l’aide alimentaire est plus récurrent et sur une période plus longue. L’alimentation est devenue le deuxième poste de dépenses des ménages, alors que les dépenses sur les vêtements et les loisirs ont aussi servi de variables d’ajustement.

Comment améliorer l’accueil des bénéficiaires ?

Aide alimentaire et accompagnement sont indissociables. La loi Egalim 2 de 2018 dit que tout soutien alimentaire doit être assorti d’un accompagnement. Il peut s’agir d’un accueil inconditionnel, d’ateliers de cuisine… Il ne faut pas que la personne soit laissée seule avec son colis alimentaire.

Lancée en 2020, l’initiative “Bons gestes & bonne assiette” est un programme de prévention santé. Nous organisons des cycles de formation autour du bien manger, du diagnostic de problèmes de santé, de valorisation des compétences liées à l’alimentation. Tout le monde en a ! Nous recevons des personnes issues de l’immigration qui sont en très grande précarité et pour lesquelles le repas n’est plus un moment de plaisir et d’échanges. Nous les faisons cuisiner et nous échangeons. L’accompagnement se crée aussi avec un sentiment de fierté qu’elles ont obtenu grâce à la cuisine.

Le deuxième volet de notre programme consiste à former les bénévoles des associations à la nutrition. Nous leur apprenons aussi à débloquer des situations compliquées ou conflictuelles. Nous les sensibilisons au diabète et au surpoids. 25 % des personnes qui viennent auprès des banques alimentaires déclarent être en surpoids ou obèse. On sait que c’est un chiffre sous-dimensionné. Les bénéficiaires ont plus de problèmes de diabète et de maladies cardiovasculaires que le reste de la population.

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