CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE
Les finances de l’Union européenne proviennent en grande partie des contributions des Etats membres.
Trois nouvelles ressources propres doivent être mises en place à partir de 2023 : elles proviendraient du marché du carbone, de l’équivalent d’une nouvelle “taxe carbone” aux frontières et du futur impôt mondial sur les multinationales.
Leur objectif : rembourser le plan de relance européen, alimenter un nouveau “fonds social pour le climat”, et diversifier les recettes pour rendre l’Union moins dépendante des Etats.
Depuis les années 1980, ce sont les contributions financières des Etats membres qui financent l’essentiel du budget européen (les deux tiers en 2022). Et tous les sept ans, les négociations pour déterminer le montant des recettes et la répartition des dépenses de l’UE font rage entre les Vingt-Sept, chacun s’efforçant de faire coïncider au mieux finances européennes et intérêts nationaux.
Un fonctionnement qui, selon certains, nuit à l’efficacité de l’Union. Et rend d’autant plus nécessaire la création de ressources supplémentaires, détachées des budgets nationaux.
Pourquoi introduire de nouvelles ressources budgétaires pour l’Union européenne ?
Longtemps, des voix se sont élevées pour introduire des ressources permettant à l’UE de moins dépendre des contributions, et donc des arbitrages, de ses Etats membres.
Des ressources qui doivent ainsi permettre aux priorités européennes de pas être “esclaves des contraintes budgétaires nationales”, expliquait par exemple l’ancien sénateur Pierre Bernard-Reymond dans un rapport sur le sujet en 2012. Ces priorités seraient alors conçues “en fonction de leur valeur ajoutée intrinsèque” et détachées “des strictes contingences nationales”. Concrètement, le pouvoir de pression exercé par les Etats lors des négociations budgétaires aurait moins de répercussions sur le financement final des politiques européennes.
Au cours des dernières années, l’évolution du contexte international, l’émergence de nouveaux enjeux transnationaux (numérique, climatique…) ou encore le départ du Royaume-Uni (alors troisième contributeur financier au budget européen) ont fait avancer le projet. En 2018, la première proposition de budget de la Commission prévoyait ainsi d’intégrer de nouvelles ressources propres.
Mais c’est surtout la pandémie de Covid-19 qui a mis le sujet au centre des discussions. La mise en place d’un nouveau plan de relance européen de 750 milliards d’euros (dont 390 milliards d’euros de subventions aux Etats), pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie, a contraint les dirigeants à s’accorder sur les moyens de le financer. En juillet 2020, les Vingt-Sept ont validé le principe d’un grand emprunt commun européen pour alimenter ce plan, et sur son remboursement à partir de 2028 grâce à de nouvelles ressources indépendantes des deniers nationaux.
L’impact du Brexit sur le budget européen
D’après les données de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le départ du Royaume-Uni fait perdre à l’UE l’équivalent de 15,5 % de ses ressources propres, soit 27,9 milliards d’euros par an. Deux mécanismes viennent partiellement compenser cette perte.
Premièrement, le départ du Royaume-Uni entraîne la fin du financement du “rabais” britannique, soit une économie estimée de plus de 5 milliards d’euros par an.
Deuxièmement, si le Royaume-Uni n’est plus un Etat membre de l’UE depuis le 1er février 2020, le pays continue de verser une contribution au budget communautaire. Il s’agit en effet de la facture dont il doit s’acquitter, conformément à l’accord de retrait conclu en octobre 2019, afin d’honorer les engagements financiers pris lorsque le Royaume-Uni était encore membre de l’UE.
Selon les calculs de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le Royaume-Uni devrait alimenter le budget de l’UE à hauteur de 5 milliards d’euros par an en moyenne pendant encore quelques années (et plus de 10 milliards d’euros en 2022).
D’où viennent aujourd’hui les recettes de l’Union ?
Depuis 1988, le budget annuel de l’Union européenne est encadré par un cadre financier pluriannuel (CFP), ou plafond budgétaire à long terme.
Etabli sur sept années, celui-ci vise notamment à répartir et à limiter les dépenses et les recettes qui pourront être mobilisées au cours de la période pour mener à bien les politiques européennes, en fonction des priorités définies en commun.
Aujourd’hui, le budget de l’Union européenne est alimenté par :
- une contribution directe des Etats membres (dite “ressource RNB”, représentant 67 % du budget de l’UE en 2022). Ces transferts financiers des Etats à l’Union sont calculés pour chaque Etat en fonction de son revenu national brut, certains pays bénéficiant par ailleurs de réductions. Elle existe sous sa forme actuelle depuis 1988.
- une ressource propre fondée sur la TVA (11 % du budget 2022). Elle correspond à un transfert par les Etats membres d’une fraction du montant de la TVA qu’ils perçoivent sur leur territoire (0,3 % pour 2021-2027).
- des ressources propres “traditionnelles” (11 % du budget 2022). Introduites dans les années 1970, elles correspondent pour l’essentiel aux droits de douane perçus par l’UE lorsque des marchandises en provenance de pays tiers entrent dans le marché unique. L’ensemble de ces ressources est perçu auprès des acteurs économiques par les Etats membres qui les versent ensuite à l’UE.
- une contribution du Royaume-Uni (6 % du budget 2022), qui doit encore régler sa part des dépenses réalisées par l’Union européenne avant son départ en 2020. Ce versement pourrait s’étaler pendant encore plusieurs années, avec des montants pouvant varier du simple au double d’une période à l’autre.
- une contribution fondée sur les déchets plastiques non recyclés (près de 4 % du budget 2022). Il s’agit de la première des nouvelles ressources propres à avoir été mise en place. Depuis le 1er janvier 2021, chaque Etat membre paie une contribution supplémentaire de l’ordre de 0,80 euro par kg de plastique non recyclé. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une taxe, chaque Etat restant libre de créer ses propres instruments pour récoler le montant de cette contribution. Dans son projet de 2018, la Commission européenne estimait à 6,6 milliards d’euros l’enveloppe générée annuellement par cette ressource, la France devant être l’un des plus importants contributeurs (plus d’un milliard d’euros par an). Une réduction annuelle forfaitaire est accordée aux 17 pays dont le RNB par habitant était inférieur à la moyenne européenne en 2017.
L’UE complète son budget par des amendes infligées aux entreprises ne respectant pas les règles de concurrence, par des contributions de pays tiers à certains programmes de l’Union, ou encore par l’impôt sur les rémunérations du personnel de l’UE. L’ensemble, qui n’est pas compris dans les ressources propres, ne représente toutefois que 1 % du total des recettes de l’UE.
Des ressources autonomes ?
Le budget de l’Union est financé presque entièrement par des recettes qualifiées de “ressources propres” (99 %).
Or contrairement à ce que le terme peut laisser penser, celles-ci ne sont pas toujours “propres” à l’Union et indépendantes des contributions nationales. En effet, celles fondées sur la TVA, le plastique non recyclé et surtout le RNB sont de fait collectées à travers un prélèvement européen sur les impôts nationaux.
Ainsi, plusieurs auteurs considèrent que seuls les droits de douanes constituent, actuellement, une véritable ressource propre. Ceux-ci découlent directement des politiques européennes et n’ont pas d’impact sur les budgets nationaux.
Quelles nouvelles ressources propres sont envisagées ?
Depuis la proposition de la Commission européenne en 2018, envisageant l’introduction d’un “panier de nouvelles ressources propres”, puis l’accord des dirigeants européens en 2020 sur le nouveau cadre financier pluriannuel, la nature de ces ressources a pu évoluer. Certains projets semblent avoir été abandonnés (redevance numérique…), tandis que d’autres ont vu le jour.
Après la mise en place de la contribution plastique en 2021, la Commission européenne a présenté les contours de trois nouvelles ressources le 22 décembre 2021. Celles-ci, qui vont désormais être négociées par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne, seraient fondées sur le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, sur une extension du marché carbone européen et sur l’impôt mondial sur les multinationales.
- L’extension du marché carbone européen (à partir du 1er janvier 2023). Au sein de ce marché mis en place en 2005, les émissions de CO2 sont monétisées et échangées entre les entreprises. L’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre en fixant un prix élevé de la tonne de CO2 émise, assortie de quotas. La Commission européenne propose d’étendre ce marché aux secteurs aérien et maritime, et de prévoir un nouveau système pour inclure également les bâtiments (chauffage) et le transport routier (carburant). Tandis que les recettes du marché du carbone sont actuellement transférées aux Etats membres, l’exécutif européen propose qu’un quart d’entre elles alimentent désormais le budget de l’Union européenne. Soit une manne financière de 12 milliards d’euros par an en moyenne sur la période 2026-2030, estime la Commission.
- Un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (à partir du 1er janvier 2023). Cet instrument vise à mettre en place un prix du carbone sur les importations de certains biens en provenance de l’extérieur de l’UE : il s’appliquerait dans un premier temps au fer et à l’acier, au ciment, à l’aluminium, aux engrais et à l’électricité. Les producteurs des pays non membres de l’UE devront acquérir des certificats pour couvrir les “émissions intégrées” de leurs marchandises, ou bien “verdir leurs processus de production”. Tandis que les entreprises européennes, aujourd’hui soumises à des contraintes environnementales plus importantes que la concurrence étrangère, ne seraient plus pénalisées par ces différences. La Commission propose que 75 % des recettes de ce nouvel instrument alimentent le budget européen, soit 1 milliard d’euros par an en moyenne sur la période 2026-2030.
- L’impôt mondial sur les sociétés multinationales (2023 au plus tôt). Ce projet, qui a obtenu l’accord de 136 pays le 8 octobre 2021, prévoit deux piliers : un taux d’impôt minimum de 15 % sur les bénéfices de ces sociétés partout dans le monde, et une réaffectation d’une partie de l’impôt aux Etats dans lesquels les très grandes entreprises réalisent effectivement leurs profits. La Commission propose ainsi que les Etats de l’Union européenne réallouent eux-mêmes une partie de ces recettes au budget de l’Union européenne. Si l’exécutif européen envisage de préciser le fonctionnement de cette nouvelle ressource propre courant 2022, il estime que celle-ci pourrait représenter entre 2,5 et 4 milliards d’euros par an.
Le montant cumulé de ces trois nouvelles ressources propres serait donc de 17 milliards d’euros. Or la Commission souhaite non seulement l’utiliser pour rembourser le plan de relance européen (un montant compris entre 15 et 16 milliards d’euros à partir de 2026) mais aussi pour financer le futur fonds social pour le climat, à hauteur de 8 milliards d’euros par an. Elle prévoit ainsi, d’ici la fin 2023, de présenter un “deuxième panier de nouvelles ressources propres” axé sur une réforme de la répartition des droits d’imposition entre les Etats membres (BEFIT).
Si l’on en croit également les conclusions du Conseil européen de juillet 2020, celui-ci pourrait également prévoir la mise en place d’une nouvelle taxe sur les transactions financières. Proposée par la Commission en septembre 2011, celle-ci a fait l’objet de nombreux débats entre les pays européens avant d’être abandonnée en 2016. Le projet est revenu sur le devant de la scène, particulièrement depuis la crise sanitaire. Selon les estimations de la Commission, la taxe pourrait rapporter 10 milliards d’euros par an.
Les projets de taxe “Gafa” et d’impôt européen sur les sociétés
L’idée de taxer le chiffre d’affaire des entreprises du numérique, poussée notamment par la France, revient régulièrement dans le débat européen depuis plusieurs années. D’après les estimations de la Commission, une telle taxe aurait rapporté 1,3 milliards d’euros par an.
La dernière proposition de la Commission a été enterrée en mars 2019, en raison de l’opposition de plusieurs pays dont l’Irlande, qui accueille beaucoup de grandes entreprises américaines du numérique. Plusieurs pays européens, dont la France, ont alors mis en place leur propre taxe nationale sur les activités numériques.
Revenu à l’agenda lors des négociations autour du plan de relance en juillet 2020, le projet européen semble avoir été abandonné au profit de l’impôt mondial sur les multinationales. Plusieurs pays, au premier plan desquels les Etats-Unis, ne souhaitaient pas voir une nouvelle taxe européenne s’y ajouter.
Quant au projet d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS), il a été mentionné pour la première fois par l’exécutif européen au début des années 2000. Il visait à harmoniser le périmètre (“l’assiette”, et non le taux) de l’impôt des sociétés au sein des Etats membres de l’Union. Face au blocage de certains pays d’un côté, et aux négociations sur la mise en place d’un impôt mondial de l’autre, la Commission européenne a annoncé que ce projet serait remplacé par une réforme plus générale de la répartition des droits d’imposition entre Etats, intitulée BEFIT.