Jouer à armes égales avec les autres grandes puissances. C’est l’objet du pacte vert industriel annoncé le 1er février par la Commission européenne. Alors que l’UE s’est dotée d’ambitions climatiques élevées, avec la neutralité carbone en 2050 pour objectif final de son Pacte vert pour l’Europe, ce plan doit permettre à l’industrie de se conformer à ces nouvelles exigences sans perte de compétitivité. L’idéal étant de lui en faire gagner.
Dans quel contexte le plan a-t-il été élaboré ?
Le plan a pour partie été motivé par l’entrée en vigueur, en août dernier, de l’Inflation Reduction Act (IRA) aux Etats-Unis. Destiné à financer la transition écologique, celui-ci prévoit entre autres 370 milliards de dollars de subventions pour l’industrie, largement conditionnées à une production dans le pays.
De quoi susciter des inquiétudes quant à la compétitivité des industriels européens, déjà confrontés à une concurrence chinoise fortement subventionnée. Avec en particulier la crainte de voir de nombreuses délocalisations aux Etats-Unis, par ailleurs encouragées par un coût de l’énergie plus faible qu’en Europe.
Que contient le plan vert industriel ?
Le plan proposé par la Commission se décline en quatre piliers : réglementation, financements, compétences et commerce international.
Cadre réglementaire : le but est de rendre la réglementation européenne plus prévisible et plus simple en matière de technologies propres.
L’exécutif européen a annoncé une proposition à venir de “règlement sur l’industrie à zéro émission nette”. Ce texte aura vocation à définir les objectifs de l’UE en termes de capacité industrielle neutre en carbone, comme les énergies renouvelables. Il doit ainsi bâtir le cadre réglementaire nécessaire pour que les secteurs “verts” puissent se déployer rapidement (simplification et accélération des autorisations, faciliter la mise en œuvre de projets stratégiques européens, soutien au développement technologique…).
La Commission inclut également dans ce plan la “réglementation sur les matières premières critiques”, déjà annoncée en septembre 2022. Poussée par la France et l’Allemagne et largement soutenue par les autres Etats membres de l’UE, celle-ci vise à assurer l’accès des industriels européens à des matières premières essentielles aux technologies clés, en particulier les terres rares dont l’Europe est très dépendante. La réforme du marché de l’électricité, notamment demandée par les pays ibériques et la France, doit elle aussi compléter le nouveau cadre réglementaire. Une proposition à ce sujet est attendue en mars.
Accès aux financements plus rapide : avec ce pilier, la Commission propose que les Vingt-Sept soient autorisés à accorder plus rapidement et facilement des aides d’Etat aux entreprises.
Depuis fin octobre 2022, les règles en matière d’aides d’Etat ont déjà été temporairement assouplies, en réponse à la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine. Mais la réforme proposée le 1er février par la Commission permettrait de faire bénéficier d’exemptions un plus grand nombre d’acteurs industriels engagés dans la transition écologique. Les projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC), qui associent des sociétés de plusieurs Etats membres, seraient notamment facilités.
En plus des aides nationales, la Commission souhaite favoriser les financements au niveau européen. Elle mise dans un premier temps sur la valorisation d’instruments européens déjà existants. A savoir REPowerEU (qui vise notamment à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes), InvestEU (un programme d’investissement appelé à mobiliser 372 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2027) et le Fonds pour l’innovation.
Dans un second temps, l’exécutif européen proposerait d’ici à l’été 2023 la création d’un “Fonds de souveraineté européen”. Celui-ci financerait des secteurs stratégiques pour l’Union européenne. Ses contours restent cependant encore à définir.
Développement des compétences : la Commission européenne estime que 35 à 40 % de tous les emplois risquent d’être impactés par la transition écologique. Alors que 2023 a été instituée “Année européenne des compétences”, l’institution avance en particulier la création d’ ”académies des industries à zéro émission nette”. Le but serait d’accroître les compétences des travailleurs des industries stratégiques et de permettre à des personnes issues d’autres secteurs de se reconvertir.
Commerce international plus ouvert : “L’UE entend s’appuyer sur une stratégie industrielle ambitieuse mais aussi sur un marché ouvert. Car elle veut avoir les capacités d’étendre ses opportunités d’exportation, afin de prendre une plus grande part dans l’offre mondiale”, explique Elvire Fabry, spécialiste de géopolitique du commerce à l’Institut Jacques Delors. “Les Etats-Unis, eux, se sont dotés d’une stratégie très ambitieuse, mais celle-ci repose sur une approche plus protectionniste”, poursuit la chercheuse.
Le plan vert industriel prévoit ainsi de favoriser un commerce international ouvert, notamment dans le cadre de l’OMC, et de poursuivre le développement des accords de libre-échange de l’UE. La Commission entend par ailleurs créer un “club des matières premières critiques”, regroupant pays consommateurs et producteurs pour éviter les ruptures d’approvisionnement.
L’exécutif se dit prêt à protéger le marché unique de la concurrence déloyale des acteurs extra-européens, en utilisant notamment les mesures antisubventions. Celles-ci ont pour but d’empêcher des produits ayant bénéficié d’aides d’Etat anticoncurrentielles d’entrer dans le marché intérieur.
Quelles étapes avant la mise en œuvre du plan vert industriel ?
Le plan est au menu du Conseil européen en grande partie consacré aux questions de compétitivité, jeudi 9 et vendredi 10 février à Bruxelles. Mais il ne s’agira probablement que d’une première occasion pour les dirigeants européens d’échanger directement leurs vues.
Car l’importance et la diversité des mesures proposées devraient demander beaucoup de discussions aux Vingt-Sept. D’autant qu’en matière économique, les divergences peuvent être fortes. Les Etats du Nord comptent, par exemple, parmi les plus libéraux et les moins interventionnistes de l’UE. Ils s’opposent ainsi régulièrement aux pays du Sud, plus favorables aux interventions publiques dans l’économie.
Surtout, de nombreuses capitales craignent qu’un assouplissement des aides d’Etat favorisent avant tout les pays les plus riches et donc les plus à même de subventionner leurs industries, France et Allemagne en tête. Lors de la présentation du plan le 1er février, la commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager a elle-même alerté sur le “risque sérieux pour la concurrence et l’intégrité du marché unique” de cette réforme, et insisté sur les conditions qui devaient être mises en œuvre pour le limiter.