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Laurence Boone : “Une nouvelle Union européenne naîtra du futur élargissement”

Guerre en Ukraine, politique migratoire, élargissement… A six mois des prochaines élections, la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes revient pour Toute l’Europe sur les grands dossiers du moment.

Laurence Boone est Secrétaire d'Etat chargée des Affaires européennes depuis le 4 juillet 2021
Laurence Boone est secrétaire d’Etat chargée des Affaires européennes depuis le 4 juillet 2022 - Crédits : MEAE

L’actualité européenne en cette fin d’année est chargée. Alors que l’élargissement et ses conditions occupent une partie des discussions entre les Etats membres, le Pacte Asile et migration fait également l’objet de négociations entre les Vingt-Sept.

Le temps est compté : les électeurs européens sont appelés à voter du 6 au 9 juin prochain pour renouveler le Parlement européen. Et d’ici là, les institutions européennes souhaitent boucler les dossiers législatifs prioritaires. Or les sondages comme les résultats des derniers scrutins dans les Etats membres font craindre une montée du populisme.

Des sujets que la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Laurence Boone suit de près, et sur lesquels nous l’avons interrogée.

Dix pays dont l’Ukraine sont désormais candidats pour intégrer l’Union européenne. Celle-ci vit-elle une nouvelle grande étape de sa construction ?

Laurence Boone : Il n’y a pas de doute, nous vivons un moment historique ! Mais qui s’inscrit dans un temps différent de l’élargissement des années 2000. Celui-ci était la conséquence de la chute du mur de Berlin, avec en perspective le remplacement des régimes autoritaires par des régimes démocratiques, et donc le prolongement de cet idéal européen de paix et de prospérité.

Aujourd’hui, la guerre est en Ukraine et au Proche Orient. Des troupes russes stationnent toujours en Géorgie et la situation dans les Balkans est parfois tendue. Enfin, nous connaissons une montée des régimes autocratiques et un réarmement des pays. Le cadre de l’élargissement est donc très différent.

Faut-il repenser le cadre d’adhésion à l’Union européenne ?

D’une part, l’élargissement doit se faire de façon différente afin que les pays candidats ne perdent pas l’enthousiasme et la dynamique de réformes en chemin. C’est une nouvelle Union européenne qui naîtra de cet élargissement.

D’autre part, plusieurs questions se posent : Quelles politiques l’Europe qui s’élargit doit-elle mettre en œuvre en priorité ? Quelles seront les conséquences de cette réforme des politiques pour le budget et la gouvernance ? Comment fonctionner à 35 voire plus ? Comment organiser une convergence fiscale et sociale ? Il faut également repenser la politique de défense. Tous les pays se réarment aujourd’hui : l’augmentation des budgets de défense de chaque pays est spectaculaire. Et tout le monde a en tête les élections américaines, avec un possible retour de Donald Trump qui pourrait laisser l’Europe assumer seule sa défense. Nous avons intérêt à rassembler nos forces en Européens.

Une procédure accélérée d’adhésion s’est ouverte avec l’Ukraine, et peut-être la Moldavie à l’avenir. Que répondre aux pays des Balkans, qui ont fait acte de candidature depuis plus longtemps ?

Laurence Boone : Nous devons évacuer la question de la date, pour travailler plutôt sur l’ambition. Si les réformes sont mises en œuvre rapidement par ces pays, alors le processus d’adhésion doit être très rapide. Celui-ci est basé sur le mérite et les progrès réalisés par les pays candidats pour intégrer l’acquis communautaire.

Lors du précédent élargissement, rien ne changeait jusqu’au moment où tout l’acquis communautaire était repris par le pays candidat. C’était long et éprouvant. Désormais, nous avançons différemment, que ce soit pour l’Ukraine, la Moldavie ou les Balkans. Les pays participent ainsi à des politiques européennes, et obtiennent des financements dans la transition énergétique ou numérique. Ce processus est beaucoup plus incitatif. En gardant à l’esprit que, pour tous, le socle commun est le respect de l’état de droit. Parce que c’est ce qui nous différencie.

La France dans l’Europe, quel avenir, quelles priorités ?

A quelques mois des élections européennes, la secrétaire d’Etat aux Affaires européennes propose une consultation citoyenne à travers l’application Agora dont le but “est de recueillir les impressions de tous les citoyens français sur l’Europe”.

Les résultats vont nous aider à construire un agenda stratégique pour la période 2024-2028 de façon à avancer sur les sujets qui doivent être traités au niveau européen dans l’intérêt des citoyens français”, explique Laurence Boone. La plateforme est ouverte jusqu’au 29 décembre.

La guerre en Ukraine sévit depuis bientôt deux ans. Quelle perception en ont vos homologues européens ?

Laurence Boone : En raison de leur histoire et de leur géographie, la perception du danger par les populations est très différente d’un pays à l’autre.

La Pologne et les pays baltes craignent une invasion russe. La première a disparu de la carte pendant 120 ans et les seconds ne sont des démocraties libres que depuis 30 ans. Toutes les personnes avec lesquelles j’échange dans ces pays ont un souvenir de la dictature soviétique.

Mais un socle est indéboulonnable depuis le début de la guerre : l’idée que la Russie ne peut pas gagner. En 2008, l’Ossétie du Sud, en Géorgie, a été envahie par la Russie. Puis en 2014 la Crimée, en Ukraine, a été annexée par Moscou. Aujourd’hui, tous les Européens sont convaincus qu’il faut arrêter les Russes de façon beaucoup plus volontaire que par le passé.

L’Union européenne risque-elle d’avoir à sa porte un conflit qui s’enlise ?

Laurence Boone : Aujourd’hui, la situation sur le terrain est devenue plus difficile, notamment à l’approche de l’hiver. Le président russe Vladimir Poutine joue la montre, et compte sur la fatigue américaine comme européenne. C’est la raison pour laquelle nous devons être, au niveau européen, un soutien de premier plan. Les Etats membres doivent s’accorder  pour revoir le cadre financier pluriannuel afin d’augmenter l’aide à l’Ukraine et que cette aide soit économique, militaire et humanitaire. Sur ce point, c’est très positif : il n’y a pas de fatigue européenne !

Mais nous devons encore avancer sur la défense et renforcer tout ce qui a été fait depuis le début de la guerre en Ukraine. Nous devons poursuivre les achats en commun à travers l’Agence européenne de défense et les investissements capacitaires pour développer la production d’équipements et de munitions. La guerre coûte cher, et nous avons tout intérêt à agir au niveau européen pour protéger l’Europe.

Un autre conflit international préoccupe l’Union européenne, la situation au Proche-Orient. L’UE est-elle condamnée à n’y être qu’un acteur de second plan ?

Laurence Boone : Je ne crois pas. Ce conflit nous touche tous, il fait appel à notre histoire et à notre mémoire, celle de la construction européenne. La naissance d’Israël est aussi le résultat de la Shoah, de la Seconde Guerre mondiale.

Les pays arabes, Israël et les Etats-Unis sont les principaux acteurs dans la résolution du conflit, mais l’Union européenne en est partie prenante à travers sa politique de voisinage, puisqu’il s’agit de la rive sud de l’Europe. La France par l’action du Président de la République Emmanuel Macron, de la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna et du ministre des Armées Sébastien Lecornu joue également un rôle important. Enfin, rappelons bien sûr qu’il y a eu des victimes françaises le 7 octobre dernier, et que parmi les otages figurent toujours des Français.


Laurence Boone le 28 septembre 2023, lors d'une conférence de presse à l'issue d'un Conseil Affaires générales
Laurence Boone le 28 septembre 2023, lors d’une conférence de presse à l’issue d’un Conseil Affaires générales - Crédits : PEUE / Miguel Toña

Les Etats membres se sont engagés à adopter le Pacte sur la migration et l’asile d’ici février 2024. Pensez-vous que ce délai sera tenu ?

Laurence Boone : Nous voulons que ce dossier soit réglé avant ! Et ce sera une grande victoire pour l’Europe de montrer qu’elle est capable d’agir sur la question migratoire entre humanité et responsabilité. Qu’elle peut remettre en marche les frontières migratoires, prendre le temps de traiter les dossiers et rétablir le juste équilibre entre la lutte contre l’immigration illégale et le respect des droits fondamentaux de chacun.

La France est très attachée au Pacte migratoire, que nous avons défendu lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (janvier-juin 2022). Il ne s’agit pas de refuser les demandes d’asile, mais d’être capable de maîtriser les flux migratoires. Nous devons distinguer les demandes d’asile et les demandes de migration économique, notamment en provenance de pays sûrs. Le pacte migratoire répond à ces enjeux.

L’autre volet du Pacte repose sur la solidarité. Nous devons réformer le “règlement de Dublin” pour éviter aux premiers pays d’entrée dans l’UE de porter le poids de cette immigration dans le traitement des dossiers, et permettre de répartir les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire.

En parallèle, nous avons des discussions avec les pays de transit et d’origine. Nous avons conclu des accords européens pour instaurer des politiques d’investissement et favoriser le maintien économique des populations sur place, mais également pour s’attaquer aux criminels qui organisent des trafics d’êtres humains. Ces engagements européens sont en discussion pour être étendus aux pays du G7 voire du G20, puisque les trafics s’organisent au niveau mondial.

Il est important que les Etats membres s’accordent sur le Pacte asile et migration. Mais nous devons aussi convaincre les Européens que ce mécanisme fonctionne au niveau européen. Ce sujet, sur lequel surfent les extrêmes, intéresse tous les citoyens .

La COP28 se déroule du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï. Quel est le message porté par la France à travers l’Union européenne ?

Laurence Boone : Avec le Pacte vert, l’Europe est la région la plus écologique au monde. L’Union européenne a mis en place des règles et un système de subventions assurant une transition énergétique accélérée en comparaison des autres régions. 

On peut tous se fixer des objectifs écologiques, mais il faut avoir les moyens de les atteindre, et c’est ce que l’Europe fait. Au niveau national, nous pouvons être fiers de certaines avancées comme dans le domaine du nucléaire, où la France fait figure de bonne élève puisque nous appartenons aux pays européens dont l’énergie est la plus décarbonée. Lors de cette COP, l’Union européenne devrait porter de nouvelles ambitions concernant le méthane. 

Parlons des élections européennes. Avez-vous des inquiétudes sur la montée du populisme en Europe ?

Laurence Boone : Sans s’en effrayer, il faut néanmoins s’en inquiéter pour mieux la combattre. Nous assistons en effet à la montée des partis extrêmes. Si l’on y regarde de plus près cependant, lors des dernières élections espagnoles le parti d’extrême droite Vox n’est pas entré au gouvernement. En Suède et en Finlande, l’extrême droite ne gouverne pas seule. En Italie, Giorgia Meloni ne mène pas la même politique que Matteo Salvini. En Pologne les extrêmes ont reculé, et aux Pays-Bas Geert Wilder n’a pas encore construit sa coalition.

Il faut donc se battre. Et nous pouvons y arriver si nous tenons un discours de vérité et de franchise sur ce que fait l’Union européenne, sur ses avancées à propos du climat, de l’immigration, de la défense ou du numérique, cette Europe qui protège…

…qui protège le pouvoir d’achat, lequel pourrait aussi être un thème de campagne. L’Union européenne peut-elle agir pour contrecarrer l’inflation à laquelle nous sommes confrontés ?

Laurence Boone : Oui, le pouvoir d’achat sera un important thème de campagne. L’Europe ne peut pas tout faire sur le pouvoir d’achat, mais elle peut agir sur les prix de l’énergie et du logement. Elle peut utiliser une partie de la politique de cohésion pour la construction de logements et la rénovation des bâtiments, avec un impact très visible sur le quotidien et le confort des citoyens.

A six mois des élections, le Parlement européen s’active pour avancer sur l’agenda législatif. Avez-vous des craintes sur le contenu de la campagne qui pourrait être focalisé sur des sujets éloignés des dossiers européens ?

Laurence Boone : La campagne sera en partie focalisée sur des thèmes nationaux. Certaines listes ont déjà annoncé qu’il s’agira d’un référendum contre le président de la République. Ceci est totalement déloyal vis-à-vis des électeurs. Le Parlement européen vote, avec le Conseil de l’Union européenne, des lois importantes qui affectent la vie quotidienne des citoyens.

Les dossiers législatifs sur lesquels travaillent les eurodéputés concernent le climat, la rénovation énergétique des bâtiments, les voitures, les transports, mais aussi la santé. Transformer le débat en référendum contre le gouvernement, cela signifie élire des députés européens qui, dans le meilleur des cas, ne seront pas présents au Parlement européen, et dans le pire des cas, ne votent pas au niveau européen des lois qui bénéficient aux citoyens français.

Un nouveau prix pour récompenser l’engagement politique de jeunes femmes européennes

Auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, la secrétaire d’Etat Laurence Boone lance une nouvelle initiative pour reconnaître l’engagement de femmes de moins de 40 ans en politique ayant notamment fait l’actualité en raison de leurs contributions au projet européen. Elle vise à contribuer au développement de leurs carrières, avec pour objectif d’en faire de futures leaders politiques. Les lauréates bénéficieront du mentorat de femmes politiques aux parcours reconnus.

Un appel à candidatures est lancé du 15 novembre au 15 janvier 2024. Constitué de 10 membres, journalistes femmes et hommes, le jury remettra ce prix le 1er mars 2024.

Comment sensibiliser et mobiliser les Français à six mois des élections ?

Laurence Boone : Il faut parler aux électeurs des sujets qui les concernent, de l’Europe concrète. Se concentrer sur les thèmes du quotidien, comme le pouvoir d’achat, la transition énergétique qui sera moins chère et moins coûteuse grâce à l’Europe, la protection des frontières, le logement et les effets de la politique de cohésion. 

Nous devons remettre en avant les valeurs de l’Union européenne, la paix et la démocratie. L’Europe porte des valeurs qui persistent à travers le temps, c’est ce qui fait sa force.

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