Toute L'Europe – Comprendre l'Europe

Marché de l’électricité : le Comité économique et social européen demande “plus de régulation”

Dans un avis récent, l’organe consultatif de l’Union européenne propose que les pouvoirs publics puissent acheter de l’électricité pour la revendre à un prix stable aux consommateurs. Rencontre avec le co-rapporteur du texte, le syndicaliste Christophe Quarez.

Christophe Quarez propose un "service complémentaire de gouvernement"
Christophe Quarez propose un “service complémentaire de gouvernement” - Crédits : Union européenne 2023

Le marché européen de l’électricité n’a pas fini de faire parler de lui. Alors que les Etats membres peinent à se mettre d’accord sur les modalités de la réforme conçue par la Commission européenne, le CESE a adopté le 14 juin un avis sur la proposition de l’exécutif, formulée en avril dernier. 

Le contexte est particulier. Malgré la crise énergétique en partie provoquée par l’invasion russe en Ukraine, il n’y a pas eu de coupures massives d’électricité cet hiver dans l’UE. Le “signal prix” a par ailleurs incité les particuliers et les entreprises à réduire leur consommation d’électricité. D’un côté, certains disent que le marché de l’électricité tel qu’il a été conçu depuis les années 1990 a tenu bon. De l’autre, ses détracteurs dénoncent le lien entre le prix de l’électricité et celui du gaz.

Si la Commission européenne ne souhaite pas révolutionner le fonctionnement du marché de court terme (des échanges libres d’électricité dont le prix est fixé par les coûts de production de la dernière centrale appelée), ses propositions veulent faciliter les contrats de long terme. Avec l’idée d’obtenir des tarifs plus stables pour les consommateurs finaux, alors que la reprise économique puis la guerre en Ukraine ont accentué la volatilité des prix sur le marché.

Christophe Quarez, co-rapporteur de l’avis voté par le CESE, nous explique en quoi il souhaite aller “plus loin” que la Commission.

Christophe Quarez est secrétaire fédéral de la Fédération de la chimie et de l’énergie de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Après une expérience au sein de Gaz de France puis de GrDF Ile-de-France, il intègre le CESE en 2015.

Toute l’Europe : Quel bilan tirez-vous de cette année de crise énergétique ?

Christophe Quarez : Plusieurs phénomènes se sont croisés cet hiver. Nous avons été favorablement surpris par les efforts des consommateurs, particuliers comme industriels. Les indications des pouvoirs publics et les signaux prix ont conduit à une baisse de la consommation. Les gens ont fait attention, ont baissé leur chauffage… Il y a eu de réelles économies, c’est une évidence. Les températures étaient aussi plutôt douces. Il faut aussi dire que l’Union européenne a pris des engagements importants sur les stockages de gaz, qui ont été remplis plus tôt que d’habitude. Grâce à tout cela, l’Europe s’en est sortie.

Le marché de l’électricité n’a-t-il pas montré sa résistance cette année ?

La réduction de la consommation a fait baisser les prix du gaz. En fin d’année dernière, ils ont quasiment retrouvé leurs niveaux d’avant la crise. De là à dire que le marché a bien fonctionné…  Au mois d’août 2022, la France avait un prix de l’électricité à environ 1 000 euros le kilowattheure (KWh) sur le marché de court terme, poussé par la hausse du gaz, alors même que les coûts de production français sont autour de 50 euros par KWh. C’est cela qui met le feu aux poudres et qui a créé des polémiques.

Les effets d’aubaine ont été exceptionnels. Des producteurs d’électricité d’origine renouvelable, subventionnés par les pouvoirs publics pour développer ces énergies, ont revendu de l’électricité à des prix de marché scandaleux. L’Etat a tout de même récupéré une partie de ces profits et des mécanismes européens ont été mis en place.

Le système n’est pas juste aujourd’hui. Je viens d’évoquer le grand écart entre le prix du gaz et celui du KWh d’électricité, mais il ne rend pas justice non plus aux consommateurs. L’électricité est un produit indispensable. Les consommateurs ne peuvent pas faire le choix de ne pas l’acquérir, contrairement aux arbitrages que l’on fait sur un marché traditionnel.

Quels sont les objectifs de la réforme du marché de l’électricité présentée par la Commission européenne ?

La proposition de la Commission a un principal objectif à mon sens : réduire la volatilité des prix. Les intentions sont bonnes mais les instruments ne vont pas assez loin. Dans notre avis, nous essayons d’introduire les notions de service public et d’intérêt général. Ce n’est pas dans le texte de la Commission. Rappelez-vous, quand on a commencé à libéraliser les marchés à la fin des années 1990. L’ouverture à la concurrence devait automatiquement faire baisser les prix pour les consommateurs en cassant les monopoles des entreprises historiques. Force est de constater que cela ne fonctionne pas suffisamment. L’effet inverse se produit même en période de crise.

Que proposez-vous ?

Nous demandons plus de régulation. Mon collègue néerlandais Jan Dirx a eu l’idée d’un “service complémentaire de gouvernement”. Le prix du marché doit refléter les coûts moyens de production. Lorsque le système ne fonctionne pas, il faut une intervention publique. Il pourrait y avoir un prix minimum qui rassure les producteurs et les investisseurs, ainsi qu’un prix maximum qui rassure les consommateurs. C’est un système hybride entre libéralisation et régulation. Cela aurait le mérite d’orienter les investissements vers les énergies décarbonées. Avec un tel système, les pouvoirs publics achèteraient de l’électricité aux producteurs, et la revendraient aux fournisseurs. C’est un amortisseur des prix.

Nous voulons des solutions pérennes pour éviter ce qu’il s’est passé l’année dernière avec des réponses différentes d’un Etat membre à l’autre. L’Espagne et le Portugal ont subventionné le gaz pour produire de l’électricité. Ce sont des mesures temporaires qui ne vont pas au fond du sujet.

La question du nucléaire divise les Etats membres…

Je suis partisan d’un mix décarboné, composé d’énergies renouvelables et de nucléaire. La consommation d’électricité va beaucoup augmenter. Nous ne pouvons pas avoir un mix uniquement composé d’énergies renouvelables, comme le souhaitent certains Etats membres.

Par exemple, je préfère parler d’hydrogène “décarboné” plutôt que d’hydrogène “vert” afin d’inclure le nucléaire. La Commission européenne veut à la fois importer de l’hydrogène, sans regarder le coût carbone de ces importations, tout en n’étant pas claire sur la place du nucléaire pour en produire en Europe.

Quelles sont les prochaines étapes de la réforme du marché de l’électricité ?

Notre texte a été voté la semaine dernière, nous allons désormais rencontrer les différents acteurs des autres institutions européennes. Nous reprenons les échanges maintenant, cela va être intéressant de creuser le sujet. Notre approche va beaucoup plus loin que celle de la Commission européenne, c’est vrai. Nous sommes d’accord sur les constats mais leurs mesures sont plutôt timides. Il y a tout de même de la précipitation dans cette affaire. La consultation de la Commission n’a pas duré longtemps et nous ne prenons pas le temps de faire des études d’impact complètent ou plus précises. Les Etats membres n’ont pas non plus le même calendrier en tête. Les Allemands auraient aimé repousser la réforme après les élections européennes de juin 2024 alors que les Français ou les Espagnols souhaitaient une évolution plus rapide.

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

  • Economie et social

  • L'Europe et moi

  • Energie

  • Economie et euro

  • Organes et agences

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Marché de l'électricité : le Comité économique et social européen demande "plus de régulation"

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide

1 commentaire

  • Avatar privé
    PAGES DIDIER

    Je ne suis qu’un simple citoyen français retraité et ma demande est simple.…..
    Que peut faire la France afin de réduire le prix de l’énergie qui fait partie du pouvoir d’achat (travail, vie…)? Le gouvernement français ne semble plus gérer le système car déjà les augmentations sont programmées pour 2024 et 2025.…Merci pour une réponse “éclairée” .…de votre part. Cordialement.