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[Pour / Contre] Agriculture : faut-il une pause en matière de règles environnementales ?

A l’invitation de Toute l’Europe, deux députés européens confrontent leurs idées sur un sujet d’actualité brûlant. Alors que s’ouvre en France le Salon de l’agriculture, Anne Sander (Les Républicains) et Benoît Biteau (Les Ecologistes) s’opposent dans ce “Pour/Contre” - Agriculture : faut-il une pause en matière de règles environnementales ?

Anne Sander (PPE) est députée européenne depuis 2014. Benoît Biteau (Verts/ALE) est député européen depuis 2019. Crédits : Parlement européen / Toute l’Europe

POUR

Anne Sander, députée européenne Les Républicains (PPE), membre de la commission de l’Agriculture et du développement rural

“Vers une transition agricole raisonnable : pour une PAC qui accompagne”

Partout en Europe, la même colère d’une profession déclassée s’est exprimée. Il y a urgence à se porter au chevet des agriculteurs. Les maux sont évidemment connus, et pourtant ils vont crescendo.

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La pression normative, notamment en Europe, a augmenté de façon déraisonnable. Plutôt que de chercher à améliorer l’accès aux terres ou à rendre le métier attractif pour les jeunes, nous assistons à une avalanche de nouvelles règles. Certains dirigeants n’ont cessé de rendre la vie des agriculteurs impossible à coup de normes, de réglementations, de paperasse, d’administration, de contrôle, de surveillance, débouchant sur une suspicion permanente. On n’a cessé de rendre impossible la vie de ceux qui nous font vivre. Preuve en est, la profession n’attire plus les jeunes. La nouvelle PAC est à peine entrée en vigueur, que nous demandons déjà aux agriculteurs d’en faire davantage sans pour autant les accompagner dans la transition qui leur est demandée de mener à bien. Ce n’est pas sérieux.

C’est pourquoi, au sein des Républicains, nous appelons à stopper les nouvelles initiatives qui vont se superposer au millefeuille administratif qui pèse sur le quotidien des producteurs. Comment imaginer qu’un agriculteur consacre plusieurs heures chaque jour à remplir des papiers après une journée qui commence souvent très tôt ? Nombre d’initiatives durant ce mandat n’ont cessé d’augmenter leur fardeau administratif en plus d’entraver considérablement leur capacité à produire. Pour cette raison, je me suis opposée et continuerai à m’opposer aux textes sur la restauration de la nature, sur les produits phytosanitaires et sur les émissions industrielles.

Ecologie incitative

Au prochain mandat, l’écologie punitive ne doit plus avoir sa place. Nous devons enfin faire preuve de bon sens, de pragmatisme et prendre appui sur des études scientifiques sérieuses, tout ce qui a bien souvent manqué dans les initiatives issues de la stratégie “De la ferme à la table”. Il faut totalement revoir le chemin vers la transition environnementale en adoptant une écologie incitative via des mécanismes qui permettront aux agriculteurs de diversifier leurs revenus, mais aussi de valoriser leurs efforts. La certification carbone qui permettra aux producteurs de rémunérer le stockage du carbone dans le sol ou la réduction de leurs émissions en est un bon exemple. Il faut aller plus loin en encourageant la bioéconomie sans contraindre davantage.

Mais pour cela, il faudra accorder les moyens financiers nécessaires, et investir. L’agriculture de précision, les drones, la robotique, les nouvelles techniques génomiques, seront autant de solutions qui permettront à l’agriculture européenne d’être prête face aux enjeux climatiques, d’être plus vertueuse, tout en continuant à produire.

Produire plus et mieux

Nous devons continuer à produire davantage et à produire mieux. La question de la souveraineté alimentaire est à l’esprit de tous après les crises qui ont traversé cette législature. Si nous détricotons notre tissu productif européen, les consommateurs n’arrêteront pas pour autant de remplir leurs assiettes. Ils se tourneront vers des denrées produites à l’autre bout du monde à moindre coût avec des normes moins-disantes. Ce découragement généralisé des agriculteurs est déjà visible puisque depuis 10 ans, la France a perdu pas moins de 100 000 de ses exploitations agricoles.

La cohérence doit donc être le maître-mot. Il faut cesser d’accabler les producteurs européens et leur assurer un cadre de concurrence loyal. Au niveau européen, cela signifie que tous soient logés à la même enseigne en mettant fin à la sur-réglementation, qui est monnaie courante en particulier en France. Au niveau international, la politique commerciale doit refléter nos engagements environnementaux : les denrées qui entrent sur le marché européen doivent respecter nos standards.

Sans cela, la transition environnementale n’a guère de sens. Les agriculteurs sont en première ligne. Leur détresse et leur colère doivent être entendues.


CONTRE

Benoît Biteau, député européen Les Ecologistes (Verts/ALE), vice-président de la commission de l’Agriculture et du développement rural

Ce sont les lois environnementales qui protègent l’ensemble des citoyens et les agriculteurs”

Perte de rendement de 10 à 25 % à travers l’Europe, réduction de la valeur de la production agricole de 7 à 10 %, perte de valeur des terres agricoles de 5 à 9 %… Quel est donc ce scénario apocalyptique de décroissance agricole ? Il décrit probablement les impacts terribles du Pacte vert, comme certains le répètent à grand renfort de tribunes et de passages médias…

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Il s’agit en réalité de chiffres extraits d’un rapport du GIEC. Voilà la réalité ! Le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité et l’épuisement de ressources naturelles sont les plus grandes menaces pour notre sécurité alimentaire. D’ailleurs les paysans le savent bien : ils sont en première ligne face à ces bouleversements environnementaux. Le statu quo est impossible et il y a urgence à agir. Les normes environnementales sont un moyen d’y parvenir. Le mot norme est d’ailleurs un peu vide. Il s’agit finalement et tout simplement de la loi.

Lacordaire disait : “entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit”. C’est aussi le cas pour les lois environnementales. Elles sont le bouclier de ceux qui ne sont protégés par personne. Que les responsables politiques qui affirment que la réduction des pesticides n’est pas une nécessité viennent le dire, les yeux dans les yeux, aux parents des enfants victimes de cancers pédiatriques dans la plaine d’Aunis, ou aux familles de mes amis agriculteurs décédés des suites de cancers professionnels ! Ce sont bel et bien les lois environnementales qui protègent l’ensemble des citoyens et les agriculteurs.

En faire plus

Il faut d’ailleurs faire plus en matière de protection. Ce ne sont pas les reculs environnementaux qui feront le progrès social pour les agriculteurs, mais plus de “normes”. Ceux qui nous parlent aujourd’hui de détricoter les normes environnementales n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils sont les héritiers des forces politiques qui, à la fin du XXe siècle, ont méthodiquement détruit les règles économiques régulant les marchés agricoles, toujours au nom de la “liberté” et du laisser faire. Ces choix ont conduit à une concentration accrue du pouvoir et des profits au bénéfice d’une minorité. Nos campagnes se sont vidées des paysans, des oiseaux, de la vie, les paysages se sont effacés, les cours d’eau se sont taris…

Alors non, pas de pause mais une transformation. Il n’est pas concevable de faire reposer le poids de la transition sur les seules épaules des agriculteurs, déjà bien lourdes des problématiques économiques qu’ils rencontrent. Il faut mobiliser, par la loi, l’ensemble des acteurs des filières agricoles et alimentaires et il faut allier protection économique des agriculteurs et protection environnementale. C’est une condition nécessaire de la réalisation du Pacte vert agricole.

Des citoyens floués

La loi nous rassemble. Pour finir, il ne faudrait pas oublier que les lois, les normes, issues d’un processus démocratique, sont le ciment qui nous permet de vivre ensemble, en essayant de refléter les aspirations de la majorité des citoyens. Les Français ont très largement soutenu les manifestations des agriculteurs. Ils exprimaient haut et fort les angoisses d’une part croissante de la population : angoisse de la précarité, du déclassement, de ne pas vivre de son travail.

Détourner ces revendications légitimes vers une critique des normes environnementales est une faute majeure. Les citoyens se sentent floués. Alors qu’ils soutiennent en grande majorité une bifurcation du modèle agricole, leur sympathie envers les revendications économiques des paysans est instrumentalisée pour faire l’exact inverse. Les mêmes qui se targuent de représenter les agriculteurs ne font que creuser le fossé qui les sépare du reste de la population. Là où il faut du dialogue, de la fraternité, conditions démocratiques indispensables de la souveraineté alimentaire, ils sèment la discorde.



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Commentaires sur [Pour / Contre] Agriculture : faut-il une pause en matière de règles environnementales ?

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1 commentaire

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    SERGE CAETANO

    Il me paraîtrait judicieux qu’une pause en la matière soit mise en oeuvre, ne serait ce que pour intégrer le fait que dans le domaine environnemental, l’Europe serait plutot exemplaire au regard du reste de la planète. Par ailleurs, ce serait un signal fort et apaisant à l’égard du monde agricole en grande partie manipulé par certains partis ( RN en France) à l’approche des élections Européennes