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Comment le Parlement européen renforce ses règles de transparence depuis le scandale du Qatargate

L’affaire de corruption révélée en décembre 2022 a mis en lumière certaines failles sur la transparence de l’institution et sur la régulation des activités d’influence. Depuis, les parlementaires européens ont adopté plusieurs décisions pour tenter de les combler.

Avant la réforme des règles de transparence, les anciens eurodéputés conservaient l'accès aux couloirs du Parlement européen après la fin de leur mandat
Avant la réforme des règles de transparence, les anciens eurodéputés conservaient l’accès aux couloirs du Parlement européen à la fin de leur mandat - Crédits : Mathieu Cugnot / Parlement européen

Comment un scandale comme celui du Qatargate a-t-il pu arriver ? Pour de nombreux eurodéputés, cette affaire de corruption et d’ingérence par des Etats étrangers a révélé les failles du système de transparence du Parlement européen. Rapidement, ils ont plaidé pour instaurer des règles plus strictes afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

En septembre 2023, l’institution a ainsi adopté une révision de son règlement intérieur pour renforcer “les règles en matière d’intégrité, de transparence et de responsabilité”. Ces nouvelles dispositions sont entrées en vigueur le 1er novembre.

Les manques du registre de transparence

Au moment des faits, le lobbying au niveau européen était principalement encadré par le registre de transparence. Mise en place en 2011 et révisée dix ans plus tard, cette base de données – commune à la Commission, au Parlement et au Conseil de l’UE – répertorie l’ensemble des entités qui souhaitent mener des activités de lobbying.

Lobbying : quelle définition européenne ?

Selon la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en France, le lobbying se définit de la manière suivante dans l’UE : “toutes les activités menées dans le but d’influencer les politiques et les processus de décision des instruments de l’Union, quel que soit le lieu où elles sont réalisées et quel que soit le canal ou le mode de communication utilisé”. Sont considérées comme lobbyistes “toutes les organisations et personnes agissant en qualité d’indépendants, quel que soit leur statut juridique, exerçant des activités de lobbying”.

Toujours selon l’institution, cela inclut six catégories principales de lobbyistes : des cabinets de consultants, des entreprises et syndicats, des groupes de réflexion (think tanks) et institutions académiques, des organisations cultuelles, des représentations d’autorités locales et d’autres entités publiques.

L’inscription y était facultative, même si elle devenait (en théorie) obligatoire pour obtenir une accréditation au Parlement européen ou rencontrer des commissaires européens. Mais cette obligation était peu contrôlée et assortie de plusieurs exceptions. Au cœur du scandale du Qatargate, l’ONG Fight Impunity avait par exemple réussi à pénétrer dans l’enceinte du bâtiment. Les représentants de pays tiers (comme le Qatar et le Maroc) ou les anciens eurodéputés n’étaient quant à eux pas concernés par cette contrainte.

Depuis 2011, les parlementaires étaient également soumis au respect d’un code de conduite en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêts. Le règlement du Parlement européen exigeait par ailleurs que certains de ses membres (ceux en charge des dossiers législatifs et les présidents de commissions) publient leurs rencontres avec les représentants d’intérêts. Mais là encore, cette consigne restait théorique car le dispositif était peu contraignant et faiblement sanctionné. Enfin, à l’image des événements survenus dans le cadre du Qatargate, tous ces dispositifs ne régulaient pas les interactions entre politiques et lobbyistes…  à l’extérieur des bâtiments officiels.

Améliorer la transparence

Encore sous le choc des révélations, le Parlement européen a voulu réagir vite et mené son introspection pour tenter de combler les manques du système. Un mois plus tard, le 16 janvier 2023, sa présidente Roberta Metsola a présenté aux eurodéputés réunis à Strasbourg 14 pistes de réformes, avec un mot d’ordre : “renforcer l’intégrité, l’indépendance et la responsabilité” de l’institution.

Une première mesure a ainsi été adoptée le 1er mai 2023 imposant une “période de réflexion” aux anciens eurodéputés. Autrement dit, ces derniers ne peuvent exercer d’activité de lobbying dans les six mois qui suivent la fin de leur mandat. Passé ce délai, ils sont contraints de s’inscrire - comme tout le monde - au registre de transparence pour mener de telles actions et pénétrer les bâtiments de l’institution.

Les autres mesures nécessitaient de revoir le règlement intérieur du Parlement européen. C’est chose faite depuis le 13 septembre dernier, neuf mois après les premières révélations sur le scandale de corruption. Ce jour-là, les eurodéputés adoptent à une large majorité (505 voix pour, 93 contre et 52 abstentions) les modifications qui sont entrées en vigueur le 1er novembre.

Cette réforme vient notamment préciser la définition du conflit d’intérêts. En découle une interdiction pour les eurodéputés de s’engager dans “des activités de lobbying rémunérées qui sont en relation directe avec le processus décisionnel de l’Union”. Depuis le 1er novembre, ils doivent également notifier les autres activités rémunérées au-delà d’un seuil de 5 000 euros par an, en précisant le nom de l’employeur, son domaine d’activité et la nature de la tâche effectuée. Les parlementaires sont aussi contraints de déclarer leur patrimoine au début et à la fin de chaque mandat.

Autre obligation pour les députés (et leurs assistants), publier en ligne tous les rendez-vous avec des lobbyistes ou des représentants d’Etats tiers. Les “groupes d’amitié” avec ces mêmes pays tiers sont également ciblés par la réforme du règlement intérieur. Ces structures informelles et peu contrôlées dont faisaient partie certains des parlementaires suspectés dans l’affaire du Qatargate ne peuvent plus utiliser les ressources du Parlement européen et doivent déclarer leurs soutiens financiers ou en nature.

Vers un organe éthique européen ?

Une autre proposition faite dès 2019 par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen lors de sa prise de fonction est aussi revenue sur la table. L’exécutif européen a présenté le 8 juin dernier son projet d’organisme chargé d’établir des standards éthiques minimums pour l’ensemble des institutions européennes.

Ce nouvel organe éthique doit établir un socle commun de normes pour les sept institutions européennes, le Comité européen des régions et le Comité économique et social européen. Composé d’un membre de chaque institution et d’experts indépendants, il pourra statuer sur les déclarations de patrimoine et d’intérêts, les activités extérieures pendant et après le mandat ou encore les cadeaux et invitations reçus.

Cette nouvelle structure était réclamée de longue date par certains eurodéputés. Mais la proposition est loin de combler l’attente de plusieurs détracteurs qui lui reprochent l’absence d’un pouvoir d’enquête et de sanction. Dans ces conditions, l’adoption de la proposition avant les prochaines élections européennes prévues en juin 2024 semble difficile. Selon Contexte, seul le Parti populaire européen (PPE) soutiendrait le projet dans sa forme actuelle.

Trop ou pas assez ?

Comme l’atteste le résultat en septembre du vote sur la réforme des règles de transparence, une large majorité des eurodéputés soutient cette initiative. Pour Gilles Boyer (Renew), elle doit permettre de “[s’]engager ensemble sur la voie du rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans nos institutions après les profonds dégâts causés par le Qatargate”.

Certains estiment en revanche que le texte ne va pas assez loin. “En l’état actuel du rapport de force politique au Parlement, ce n’était pas possible d’obtenir beaucoup mieux. Mais je ne pense pas que ce sont des réformes suffisantes à long terme pour rendre cette institution tout à fait transparente et éviter les conflits d’intérêts ou les influences néfastes”, concédait Raphaël Glucksmann (S&D) à l’issue du vote. Sa compatriote Manon Aubry (GUE) s’estime également déçue après avoir plaidé (en vain) en faveur de l’interdiction de tous les revenus annexes.

Le constat est partagé par plusieurs associations, à l’image de Transparency International qui considère dans un communiqué que “les eurodéputés ont manqué l’occasion d’améliorer les règles éthiques du Parlement”. L’organisation regrette que “la nécessité de sanctions dissuasives et d’un véritable contrôle indépendant de la conduite des députés [n’ait] pas été abordée”. Des mesures qui auraient peut-être permis d’éviter le Qatargate, “le plus grand scandale de corruption à avoir touché le Parlement européen”.

Qu’est-ce que le Qatargate ?

Le 9 décembre 2022, deux médias belges révélaient qu’une vague de perquisitions venait d’être lancée contre plusieurs personnalités liées au Parlement européen. L’eurodéputée grecque Eva Kaïlí, alors vice-présidente de l’institution, est notamment interpellée à son domicile bruxellois avec 150 000 euros cachés en petites coupures dans des bagages à main et des sacs de voyage.

D’autres élus et des personnes de leurs entourages respectifs sont ainsi accusés d’avoir reçu de l’argent du Qatar et du Maroc pour tenter d’orienter certaines décisions européennes en leur faveur. Une enquête est en cours.

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