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A la loupe

[Fact-checking] 80 % des lois françaises viennent-elles de l’Union européenne ? 

Ce chiffre est régulièrement avancé par les adversaires du projet européen. Il démontrerait la prétendue perte de souveraineté de la France, rendue incapable de prendre des décisions sans l’aval de Bruxelles. Mais il est faux.

Dans un pays comme la France, les lois d’origine européenne représenteraient plutôt 20 % des textes adoptés.
Dans un pays comme la France, les lois d’origine européenne représenteraient plutôt 20 % des textes adoptés. Crédits : iStock / mediaphotos. 

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE :

  • La part de lois françaises d’origine européenne serait plutôt de 20 % 
  • Ce type de calculs ne tient pas compte de la nature des lois votées 
  • La législation européenne est en grande partie construite par les Etats et les députés européens

“80 % des lois qui sont votées à l’Assemblée nationale sont soit des recommandations de l’Union européenne soit l’application directe de directives”, affirmait encore en 2019 la tête de liste du Rassemblement national pour les élections européennes, Jordan Bardella. Un argument régulièrement avancé à l’extrême droite de l’échiquier politique, mais aussi parfois à sa gauche. Le chiffre viendrait en tout cas appuyer l’idée que “Bruxelles décide de tout”, les Etats devant se résigner à lui obéir.

Alors d’où vient un tel chiffre ? Pas des textes européens en tout cas. Mais une partie de la faute revient peut-être à Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995 et considéré comme l’un des grands artisans de la construction européenne. “Vers l’an 2000, 80 % de la législation économique, peut-être même fiscale et sociale, sera décidée par les institutions européennes”, avait-il en effet déclaré en 1988. 

80 % de lois non issues de l’UE

Or la prédiction de M. Delors ne s’est pas vérifiée. C’est du moins ce qu’indiquent plusieurs chercheurs, qui ont tenté d’évaluer le poids de la législation européenne sur les textes votés au niveau national. Dans un pays comme la France, le chiffre (par ailleurs très difficile à calculer avec précision) serait plus proche des 20 % que des 80 %, indique notamment une étude de l’institut Jacques Delors publiée en 2018.

Selon le document, “l’européanisation des lois nationales” diffère selon les domaines. Elle dépasserait les 30 % là où l’activité législative européenne est effectivement intense : c’est notamment le cas de l’agriculture ou de l’environnement. En matière de transports, d’énergie ou encore de santé, la fourchette se situerait plutôt entre 20 % et 30 %. Elle tomberait à moins de 20 % dans les domaines du travail, de l’éducation ou de la défense. Et serait par définition nulle sur les secteurs sur lesquels l’Union n’a pas son mot à dire parce qu’ils relèvent de la seule compétence nationale.

Question de qualité, pas de quantité 

Mais il est de toute façon difficile de démontrer le poids de l’Union européenne en s’appuyant sur de tels chiffres. “Le raisonnement en termes de pourcentage ne veut strictement rien dire sur le plan juridique”, plaidait par exemple dès 2009 le correspondant à Bruxelles de Libération, Jean Quatremer. “Toutes les lois n’ont pas la même importance : un texte interdisant la peine de mort tient en une ligne, une directive européenne fixant les normes techniques à respecter lors de la construction des ascenseurs occupe des dizaines de pages”.

Parmi les règles perçues comme fondamentales figure celle des 3 % de déficit, souvent ciblée par le Rassemblement national. “Grâce à cette seule règle, on pèse sur les activités de plusieurs ministères. Son influence va plus loin que le chiffre”, concède l’ancien directeur de l’institut Jacques Delors, Yves Bertoncini. Toutefois, la France comme d’autres pays ont constamment dépassé ce plafond de 2007 à 2017, sans jamais avoir été condamnés pour cela. 

Les Etats à la manœuvre

Enfin, rappelons que les textes européens résultent - pour la plupart - de compromis entre les Etats membres et le Parlement européen. La France et les eurodéputés français y jouent donc un rôle significatif, tant dans la préparation des projets législatifs européens que dans les négociations sur le détail des mesures. 

Les Etats et leurs administrations interviennent notamment au sein de deux institutions majeures dans le processus législatif : le Conseil de l’Union européenne et le Conseil européen. Le premier prend ses décisions à la majorité qualifiée (chaque Etat membre a une voix pondérée en fonction de son poids démographique) ou à l’unanimité, selon le domaine. Mais tant que ses membres ne se sont pas mis d’accord, le texte ne peut être adopté. Ce sont donc les Etats membres, au sein desquels la France dispose d’un poids particulièrement important, qui ont aussi le dernier mot sur les textes européens. 

Quant au Conseil européen, il regroupe les chefs d’Etat ou de gouvernement des 27 Etats membres, et donne à l’Union ses grandes orientations. Il détermine le budget européen et demande régulièrement à la Commission de lancer un projet législatif sur un sujet donné.

Qu’est-ce qu’une “loi française d’origine européenne” ? 

La réponse à cette question est loin d’être évidente. Pour entrer en vigueur en France, une loi doit être discutée et votée par les deux chambres du Parlement (l’Assemblée nationale et le Sénat). Une partie des mesures qu’elle contient peut en effet être imposée par un texte préalablement adopté au niveau européen. 

Il peut s’agir dans ce cas d’une directive, qui établit une obligation d’objectif mais laisse les Etats membres libres quant aux moyens d’y parvenir. Ou bien d’un règlement, ou encore d’une décision de l’Union européenne : ceux-ci sont directement applicables mais peuvent néanmoins impliquer que le pays modifie son droit pour s’y conformer. En mars 2023 par exemple, une seule loi française a permis d’intégrer en droit national des mesures européennes sur la protection des épargnants, l’accessibilité des produits internet ou encore les congés des salariés parents. 

Un Etat qui n’appliquerait pas les textes européens risque des sanctions, notamment de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette Cour peut d’ailleurs elle aussi, en s’appuyant sur le droit européen, imposer à un Etat membre de modifier sa législation. 

En revanche, de nombreux actes européens n’ont aucun caractère contraignant : c’est notamment le cas des avis et des recommandations de la Commission, ainsi que des initiatives et des résolutions du Parlement européen.

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