Sa vie
“La puissance n’est pas fatalement le contraire de la liberté. Non, la Communauté n’existera véritablement que si elle a les moyens de défendre ses valeurs et d’être généreuse. Soyons assez puissants pour nous faire respecter et pour promouvoir nos valeurs de liberté et de solidarité.”
“L’Union n’agit que pour mener les tâches qui peuvent être entreprises en commun de manière plus efficace que par les Etats oeuvrant séparément.”
“Je refuse une Europe qui ne serait qu’un marché, une zone de libre-échange sans âme, sans conscience, sans volonté politique, sans dimension sociale. Si c’est vers ça qu’on va, je lance un cri d’alarme.”
“Le modèle économique européen doit se fonder sur trois principes : la concurrence qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit.”
“Dans un tel ensemble, les Etats acceptent le transfert d’un certain nombre de compétences au niveau européen et la possibilité, très souvent, de prendre des décisions à la majorité qualifiée dans les domaines ainsi transférés. C’est l’approche fédérale, à laquelle obéissent déjà un certain nombre de politiques communautaires, et dont s’inspire aussi le traité sur l’UEM. C’est le contraire de l’Europe des nations, qui repose sur la pratique intergouvernementale par opposition à la politique communautaire. La coopération intergouvernementale suppose que les Etats-nations ne font des choses en commun que lorsqu’ils sont tous d’ accord. La Fédération d’Etats-nations est un mariage de ces deux formules. Elle permettrait de définir clairement ce qui est communautaire et ce qui reste du ressort des Etats. Je propose même d’inscrire dans le traité les compétences qui seraient explicitement réservées aux nations, notamment la politique de l’éducation, l’emploi, la sécurité sociale, la culture, l’aménagement du territoire, etc… Les décisions seraient prises dans ces domaines au plus près des citoyens, ce qui renforcerait la cohésion sociale et le sentiment d’appartenance à la nation.”
in Le Nouvel Observateur, 06 Juin 1998.
“Lorsque je suis rentré dans la vie militante européenne, j’ai toujours dit : je suis pour une approche fédéraliste mais non pour le dépérissement des nations. C’est pourquoi, j’ai relancé cette notion de Fédération des Etats-Nations, surtout dans un souci pédagogique. Le terme fédération signifie que l’approche fédérale est la seule qui permet d’être plus efficace et plus démocratique, celui d’Etats-Nations, que les Etats n’ont pas à disparaître.”
“Je considère que les pays qui veulent aller plus loin dans le partage de la souveraineté doivent le faire. Mon souhait est qu’il y ait deux ensembles cohérents et distincts : un ensemble constitué par les pays d’avant-garde qui iraient plus avant dans le partage de la souveraineté, l’autre par les nouveaux arrivants. Bien entendu, l’ensemble formé par les pays d’avant-garde serait ouvert à ceux qui souhaiteraient y adhérer et rempliraient les conditions nécessaires pour y accéder.”
Jacques Delors naît à Paris le 20 juillet 1925. Autodidacte, il mène de front ses études, une activité professionnelle (d’abord à la Banque de France) et un engagement dans le syndicalisme chrétien (CFTC, Reconstruction). Dans les années soixante, il est l’un des principaux inspirateurs de la seconde gauche et devient le responsable du club “Citoyens 60” crée par la “Vie Nouvelle” , mouvement d’inspiration personnaliste.
En 1969, il rejoint le cabinet de Jacques Chaban-Delmas. Conseiller en charge des Affaires sociales, il s’occupe des affaires sociales et culturelles puis des questions économiques, financières et sociales. Jacques Delors adhère au Parti socialiste en novembre 1974.
1979-1989 : la carrière européenne et le “Livre Blanc”
En 1979, il est élu au Parlement européen où il préside la Commission économique et monétaire.
En 1981, il est nommé ministre des Finances, portefeuille qu’il conserve jusqu’en 1984. Face à l’aggravation de la crise économique, il convertit les socialistes français aux politiques de rigueur et de désinflation compétitive.
Après avoir quitté le gouvernement, il assurera, de janvier 1985 à décembre 1994, trois mandats en tant que président de la Commission européenne. Ces derniers seront marqués par une profonde relance de la construction européenne.
Le 14 juin 1985, Jacques Delors transmet au Conseil un projet d’accord sur l’achèvement du marché intérieur. Ce “Livre blanc” , présenté par la Commission, est approuvé par le Conseil européen de Milan des 29-30 juin 1985. En près de 310 mesures, il vise à stimuler la reprise économique, à assurer les libertés de circulation des individus, des biens, des services et des capitaux et à réunir les marchés nationaux en un marché unique pour le 31 décembre 1992 au plus tard. Ainsi parle-t-on de “l’objectif 92” . Ce texte aboutit à la signature de l’Acte unique en février 1986.
Jacques Delors préside ensuite le comité chargé d’étudier le projet d’une Union économique et monétaire (1988-1989). Les travaux du comité Delors inspireront très largement le volet économique et monétaire du Traité de Maastricht et la naissance de la monnaie unique européenne.
C’est Jacques Delors qui suggéra que le comité spécial sur l’union monétaire soit composé des gouverneurs des banques centrales, plus indépendants des gouvernements, plutôt que des ministres des Finances qui formaient déjà le Conseil économique et financier de la Communauté (Ecofin) et dont certains se montraient hostiles au projet. Après de vives discussions, le président de la Bundesbank allemande se rallie au projet à condition toutefois que la future Banque centrale européenne (BCE) soit indépendante.
1989 : le plan Delors
Le “Rapport Delors” , approuvé par la Commission, est présenté le 12 avril 1989 et reprend la définition de l’Union économique et monétaire (UEM) déjà exprimée par le plan Werner en 1970.
Trois clauses sont insérées :
- la convertibilité totale et irréversible des monnaies ;
- la libéralisation complète des mouvements de capitaux ;
- la détermination de parités fixes entre les monnaies européennes.
La dernière modalité, l’adoption d’une monnaie unique présente de nombreux avantages, puisqu’elle facilite les mouvements des individus et les échanges commerciaux en supprimant les risques et les coûts de change des devises et favorise ainsi les investissements et la croissance économique.
Pour réaliser l’UEM par l’harmonisation des politiques fiscales et budgétaires, le “Rapport Delors” propose un processus en trois étapes :
- La première étape est l’aboutissement du marché unique, grâce à la coordination soutenue des politiques économiques et de la coopération monétaire et à l’approbation de toutes les monnaies au mécanisme de change du Système Monétaire Européen (SME). Pendant cette phase, doit être négocié et ratifié un traité d’UEM ;
- Dans un deuxième temps, il s’agit de mettre en place un Système européen de banques centrales (SEBC) ;
- La phase finale transfère certaines compétences économiques et monétaires aux institutions de l’Union et elle assure le passage irrévocable à des parités fixes et, si possible, à une monnaie unique remplaçant les monnaies nationales.
Le plan Delors définit ainsi les mesures à prendre pour créer l’UEM ainsi que les transferts de souveraineté qu’elle induit. Il ne fixe néanmoins ni agenda, ni délais qui appartiennent à la détermination politique des États membres.
La fin de son mandat à la Commission européenne
Négociateur reconnu, Delors obtient à plusieurs reprises la conciliation des intérêts contradictoires des Etats membres. Il est ainsi l’initiateur des politiques de réformes budgétaires (les deux “paquets Delors”), de la Charte sociale européenne adoptée en 1961 et des programmes Erasmus.
Signé en 1992, le Traité de Maastricht augmente considérablement les compétences de l’Union européenne.
Le Livre blanc sur la croissance, la compétitivité et l’emploi (1993) est adopté par le Conseil européen. A la fin de son mandat, Jacques Delors laisse une Europe profondément rénovée et élargie à quinze Etats.
Toujours présent dans le débat européen et économique par l’influence de sa personnalité et de ses activités, il crée le think tank Notre Europe en octobre 1996, dont il est aujourd’hui le président fondateur.
Il a été le Président du Collège d’Europe de Bruges de 1995 à 1999. Il a présidé le Conseil pour l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) entre 2000 et 2009. Il a reçu le titre de Docteur Honoris Causa de 24 universités et divers prix et distinctions : Prix Jean Monnet (1988), Prix Louis Weiss (1989), Prix Prince des Asturies (1989), Prix Charlemagne (1992), Prix Carlos V (1995), Prix Erasme(1997), Prix de l’économie mondiale (2006). Il a reçu la médaille de la Paix de la ville de Nimègue en mars 2010.
Sélection d’ouvrages de Jacques Delors
- En collab. avec Jean-Louis Arnaud, Mémoires, Plon, 2004.
- Sous la direction de Jacques Delors, L’éducation : un trésor est caché dedans, Rapport à l’Unesco de la Commission internationale sur l’éducation pour le XXIème siècle, Odile Jacob, 1996.
- Combats pour l’Europe, Economica, 1996.
- En collab. avec Dominique Wolton, L’unité d’un homme, Odile Jacob, 1994.
- Le nouveau concert européen, Odile Jacob, 1992.
- En collab. avec le Club Clisthène, La France par l’Europe, Grasset, 1988.
- En collab. avec Philippe Alexandre, En sortir ou pas, Grasset, 1985.
- Changer, 1975, Stock.