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L’abstention aux élections : un phénomène européen ?

30 % d’abstention au premier tour : c’est ce qu’envisagent les dernières enquêtes d’opinion sur le scrutin présidentiel français. Les élections intéressent-elles de moins en moins de citoyens, en France et dans le reste de l’Europe ? Nous avons posé la question à Olivier Rozenberg, professeur à Sciences Po.

L'abstention aux élections : un phénomène européen ?
Crédits : Roibu / iStock

Selon plusieurs instituts de sondages, le taux d’abstention pourrait atteindre 30 % lors du premier tour de l’élection présidentielle française le 10 avril. S’il se confirme, ce chiffre constituera alors un record pour ce scrutin, pour l’instant atteint le 21 avril 2002, avec 28 % d’abstention. 

Comment expliquer cette participation en baisse ? Qu’en est-il dans les autres pays européens ? Est-ce un mauvais signe pour nos démocraties ? Toute l’Europe a posé ces questions à Olivier Rozenberg, professeur à Sciences-Po, membre du Centre d’études européennes et de politique comparée, et auteur du livre Les députés français et l’Europe, tristes hémicycles ?, aux éditions des Presses de Sciences Po.

Touteleurope.eu : Comment expliquer cette hausse annoncée de l’abstention lors du premier tour de l’élection présidentielle ?

Il faut être prudent. C’est un chiffre possible mais pas certain, on verra… On a eu des surprises ces dernières années suite à ce que les sondages annonçaient, tant au niveau de la participation que des scores des différents candidats.

Si l’abstention devait se confirmer à 30 %, il s’agirait d’une augmentation d’environ 10 points par rapport au scrutin de 2017. Cela pourrait tenir au fait que le suspense est assez limité sur l’issue du premier tour.

Les précédents scrutins ont montré que la mobilisation dépendait du caractère disputé des élections. Certains électeurs vont voter quand ils ont le sentiment que leur bulletin est crucial. L’exemple type est le second tour de la présidentielle de 1974, qui a opposé Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand : l’abstention y a été la plus faible des scrutins présidentiels en France, avec seulement 13 %, car les scores annoncés étaient très serrés. 

Comment la France se situe-t-elle par rapport à ses voisins européens en termes de participation ?

Si l’on compare les élections cruciales, c’est à dire la présidentielle en France avec les législatives chez nos voisins, la participation est au même niveau.

Dans les grandes démocraties qui nous entourent, en Allemagne, en Espagne et au Royaume-Uni, les taux de participation sont en moyenne de 70 % sur les années 2010. C’est un peu moins qu’en France, où le scrutin présidentiel personnalise davantage le combat électoral et peut donc susciter une plus grande attention. Mais même si la participation devait chuter à 70 % lors du premier tour, elle serait toujours au niveau de nos voisins.

Contrairement à une idée répandue, les Français votent lors de l’élection principale. Ils ont en revanche beaucoup moins voté lors des législatives et des élections intermédiaires ces dernières années.

Le vrai écart est avec les démocraties d’Europe centrale et orientale, où la participation est beaucoup plus faible, entre 50 % et 30 % en Pologne ou en Roumanie par exemple. Dans ces pays, la désaffection vis-à-vis des élections est arrivée très tôt après la chute du mur. La démocratie a tourné un peu à vide, avec seulement un électeur mobilisé sur deux, voire moins.

La participation aux élections est-elle de plus en plus faible ?

Non. Si vous prenez l’évolution de l’élection présidentielle française, il n’y a pas de tendance nette à la progression de l’abstention. En part absolue par ailleurs, la participation progresse puisque le nombre d’électeurs est de plus en plus important.

On surfe un peu sur le thème de l’indifférence électorale : on verra ce qu’il en sera demain, mais pour l’instant l’élection présidentielle continue à mobiliser beaucoup de monde.

On a eu un âge d’or de la participation dans les années 1950 à 1970 avec des taux de participation de 80-85 % pour les élections principales en Europe occidentale. On est aujourd’hui plutôt à 10 points de moins, entre 70 et 75 %, mais il ne s’agit pas d’une chute dramatique.

Chez nos voisins, on constate une légère tendance à la baisse, mais pas un effondrement. Depuis les années 1990, le Royaume-Uni a perdu 10 points, l’Allemagne aussi. L’Italie a perdu davantage, 25 points de participation, mais c’est parce que le vote y était auparavant obligatoire et ne l’est plus.

Constate-t-on une désaffection ou un désintérêt des Européens vis-à-vis de ces élections ?

Il faut un peu relativiser cela. Hormis l’Europe centrale et orientale, l’Ouest résiste bien. On est passé de 80 à 62 % de participation, des taux qui restent bien supérieurs à ceux des Etats-Unis.

D’autre part, bien des électeurs semblent se comporter comme des automobilistes avec Bison Futé… ils regardent s’il y a un danger, si les résultats sont serrés, et se mobilisent plus ou moins selon la configuration. On assiste donc plutôt à une abstention stratégique intermittente qu’à une désaffection massive.

Du côté des catégories les plus populaires en revanche, il peut effectivement y avoir des formes de désaffiliation politique, de désintérêt massif. En général, les électeurs les plus mobilisés sont les électeurs les plus nantis. Ce sont les plus intéressés par la politique et les plus fidèles lors des élections. L’abstention nuit surtout aux partis radicaux et populistes : c’est la ligne générale que l’on retrouve partout en Europe, dans des proportions diverses.

Mais on peut aussi observer des configurations plus spécifiques, avec par exemple des électeurs mécontents du sortant. L’interrogation se pose dans le cas français, où l’abstention pourrait cette fois venir de certains électeurs modérés, de gauche, non satisfaits de la configuration et des scores annoncés de leur champion.

Y a-t-il des “bonnes recettes” pour favoriser la participation à une élection ?

Ce n’est pas décidable en tout cas par le jeu des règles électorales. Il faut plutôt que les élections soient disputées, donc qu’il y ait une inconnue à l’avance sur le résultat. Ou bien que ces élections mobilisent en raison de leur caractère nouveau. La participation aux élections allemandes de 2017 a été plus forte qu’auparavant en raison du score annoncé de l’extrême droite. Même si celle-ci n’était pas en position de gagner, 12 % des votes signifient 12 % des sièges en Allemagne, ce qui a mobilisé les électeurs modérés soucieux de limiter cette percée le plus possible.

En dehors de ces diverses configurations politiques, les enquêtes montrent quelques “trucs” pour augmenter la participation : autoriser le vote par correspondance ; le faciliter comme en Suisse ; voter sur 2 jours (tout le week-end ou en intégrant un jour de semaine travaillée) ; éviter de faire voter pendant les ponts ; éviter de demander à se déplacer quatre fois dans l’année pour des élections nationales comme en France ; regrouper certaines élections ou les regrouper avec des référendums ; et enfin supprimer totalement la condition d’inscription, ce qui serait techniquement possible si les pouvoirs publics s’en donnaient la peine, en mettant en place d’autres systèmes de vérification de la qualité d’électeur ou de résident dans telle ou telle commune.

Certaines études montrent par exemple qu’autoriser à voter deux jours et par correspondance peut faire augmenter de 5 points la participation. Ce sont des facteurs à ne pas négliger. 

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