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Thibault Vinçon : “l’Union européenne est fille de l’histoire du continent européen”

Acteur-interprète depuis le début des années 2000, passant par le théâtre, le cinéma et les séries télévisées, Thibault Vinçon joue dans “Nous, l’Europe, banquet des peuples” depuis sa création en 2019. Un spectacle adapté d’un texte poétique de Laurent Gaudé et mis en scène par Roland Auzet. Au Théâtre de l’Atelier à Paris en mai.

Thibault Vinçon assis dans les fauteuils du Théâtre de l'Atelier. Un endroit devenu familier, en trois semaines de représentation d’un spectacle en scène jusqu’au 29 mai. Crédits : Toute l'Europe
Thibault Vinçon assis dans les fauteuils du Théâtre de l’Atelier. Un lieu devenu familier, en trois semaines de représentation d’un spectacle en scène jusqu’au 29 mai. Crédits : Toute l’Europe

A chaque représentation de cette pièce consacrée à l’histoire européenne, pleine de tumultes, Thibault Vinçon déploie son énergie pendant plus de deux heures dans un spectacle qui ne laisse pas indifférent. Courant, dansant, chantant, criant… Les interprètes multilingues de “Nous, l’Europe, banquet des peuples” livrent avec force l’histoire tragique du continent européen depuis 1848 et toute la complexité que recouvre la construction européenne.

Thibault Vinçon, lui, la connaît bien l’Europe. Il la porte dans son cœur. Il est aujourd’hui marié à l’actrice grecque Artemis Stavridi, également interprète dans la pièce. Leur union a donné naissance à de jeunes “Européens”, comme il se plaît à dire. Pour lui, l’idée européenne n’est donc pas un concept abstrait.

Le comédien de 45 ans, diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris en 2003, a été récompensé d’une étoile d’or de la révélation masculine au festival de Cannes en 2006 pour son rôle dans le film “Les Amitiés maléfiques” du réalisateur Emmanuel Bourdieu. Il avait déjà côtoyé et travaillé auprès du metteur en scène Roland Auzet avant “Nous, l’Europe, banquet des peuples”, à deux occasions : “Steve V, King Different” en 2014 et “Ecoutez nos défaites” en 2018, spectacle adapté d’un texte de Laurent Gaudé. Déjà.

Toute l’Europe : L’une des particularités de la pièce “Nous, l’Europe, banquet des peuples” est qu’elle met en scène des acteurs de différentes nationalités (polonaise, française, grecque…), comment faites-vous pour travailler ensemble ?

Thibault Vinçon : Au moment des répétitions, on a travaillé essentiellement en anglais. Bien qu’il y ait eu le Brexit entre-temps, c’était la “langue commune”. Mais naturellement, on a glissé de l’anglais vers le français. Par exemple, Dagmara (Mrowiec-Matuszak), qui est Polonaise et qui joue dans le spectacle, ne parlait pas du tout un mot de français. Assez vite, puisqu’on réglait souvent des détails en français, elle a adapté son écoute et maintenant elle le comprend très bien.

L’immense majorité des autres acteurs étaient quand même bilingues. Je pense par exemple à Artemis Stavridi qui est Grecque, mais qui a vécu en Belgique, ou encore à Olwen Fouéré qui est Irlandaise, mais d’origine française.

Donc on est passé de l’anglais au français un peu insensiblement comme langue commune. Finalement, ceux qui n’étaient pas bilingues le sont devenus !

Alors que la distribution a évolué, vous jouez cette pièce depuis sa création en 2019. Y-a-t-il eu des évolutions en trois années de représentations ?

Thibault Vinçon : Oui ! Souvent ! On a la chance d’avoir un auteur vivant, et bien vivant ! Laurent Gaudé suit la création de Roland Auzet (metteur en scène) et par petites touches, par petits ajouts, il a retranché, corrigé, changé certains passages du texte.

Dans le spectacle, on peut même dire qu’il y a une “case actualité” lorsque nous sommes tous devant le mur qui occupe la scène. A la création du spectacle, il y avait ainsi un passage sur les attentats de Paris en 2015 et sur le rapport qu’avait l’Europe au terrorisme. C’‘était un texte très beau et fort. Puis est arrivée la pandémie. Laurent et Roland ont alors décidé de faire de cet espace une “case d’actualité” en enlevant le texte sur le terrorisme, considérant que le premier questionnement de l’Europe, à ce moment-là, était la pandémie. Le texte a été adapté. Puis, quand la guerre a éclaté en Ukraine, j’ai eu Roland au téléphone et je lui ai dit : “il faut absolument adapter cette case” et il m’a répondu : “c’est en cours”.

Non seulement il fallait le faire, mais on s’est également dit qu’il était important d’agir concrètement. Roland a ainsi fait venir Nataliia Mazur, une artiste ukrainienne, qui joue dans le spectacle. Cette case est donc consacrée à l’Ukraine, à Nataliia qui exprime tout son ressenti sur le conflit.

Donc la pièce n’est pas figée, et au contraire elle évolue au fil de l’actualité et des événements…

Thibault Vinçon : Absolument ! Tout le temps. C’est vrai pour plusieurs autres petits passages qui ont été rabotés, coupés, rajoutés… Le spectacle est très vivant !

Durant la représentation, alors que l’on évoque le sentiment d’appartenance, il y a un moment où je me tourne vers la salle, m’adresse aux spectateurs et je dis : “et vous, vous êtes d’où ? vous vous sentez d’où ?”. Il arrive que des spectateurs fassent des réponses assez longues. Dans le sud par exemple, des personnes ont pris un long temps pour répondre. Je trouve ça super ! Parce qu’ils s’approprient le spectacle. Et c’est le but ! On n’a pas le monopole de la pensée sur scène. On sait très bien que les gens dans la salle peuvent être en désaccord avec ce qui est dit dans le spectacle et c’est très intéressant de pouvoir l’entendre.

Vous brisez le “quatrième mur” continuellement…

Thibault Vinçon : On essaie oui ! En tout cas, ce n’est pas du tout de la provocation parce que comme dit Mallarmé : “le théâtre est le foyer des plaisirs pris en commun”. Il ne s’agit pas du tout de faire insulte au public en présentant un prosélytisme pro-européen, mais il s’agit plutôt de célébrer nos valeurs. Puis ce serait naïf parce que, globalement, les gens farouchement anti-européens ne viennent pas voir ce spectacle. Mais il peut y avoir des tensions !

Par exemple, au moment où s’exprime le grand témoin ?

Thibault Vinçon : Oui, au milieu du spectacle intervient un “grand témoin”. Chaque soir, un invité différent monte sur scène auquel on pose des questions qui ont trait à son attachement à l’Europe, au jour où il s’est senti le plus européen, à son “âme européenne”. Mais ce ne sont pas forcément des invités pro-européens, ils peuvent aussi avoir des doutes, des questionnements…

Quand on a créé le spectacle à Avignon, Pascal Lamy (commissaire européen de 1999 à 2004 et directeur général de l’Organisation mondiale du commerce de 2005 à 2013) était invité en grand témoin, un soir. Des spectateurs se sont levés et ont hurlé. Roland Auzet leur a donné la parole en leur tendant un micro : ils ont exprimé la violence qu’avaient été pour eux les relations entre la Commission européenne et la Grèce au moment de la crise post-2008.

Nous parlions tout à l’heure d’un spectacle vivant, en voilà un exemple : les grands témoins réorientent également le contenu de la pièce, par leurs réponses, par leurs souvenirs, par la réaction qu’ils génèrent dans la salle…

Est-ce que cette pièce a joué un rôle dans votre vision de la construction européenne ?

Thibault Vinçon : J’aime énormément un passage du spectacle : quand Laurent Gaudé parle de la lenteur de l’Europe, c’est-à-dire du fait que sa lenteur est constitutive de sa force. Il explique très bien que cette lenteur est une réaction à la violence de la guerre, à sa rapidité… La violence, c’est la rupture brutale d’une médiation, d’un dialogue.

Bien sûr que l’Europe apparaît comme une espèce d’énorme superstructure très lente à réagir… Mais elle réagit, et sa lenteur la protège d’un certain nombre de mauvais choix qui pourraient la précipiter dans le chaos. Je n’en étais pas convaincu au départ en commençant à jouer la pièce, et plus on joue - peut-être parce que le spectacle par métaphore est une grosse machine aussi - plus j’en prends conscience.

En fait, penser à plusieurs prend forcément beaucoup de temps. Donc, l’idée de “forum européen” est extrêmement salvateur. Au final, on ne peut pas attendre de l’Europe la solution qu’on attendrait d’un homme providentiel. La solution européenne, c’est une solution collective, lente, peut-être un peu fastidieuse, mais elle est nécessaire. Sa lenteur la protège de déconvenues.

Pour conclure, quand on vous a présenté la pièce, comment avez-vous réagi ? On peut penser que l’Europe n’est pas très vendeuse pour le théâtre…

Thibault Vinçon : Je relie votre question à la précédente. Il y a une pensée dans ce texte, dans ce poème épique de Laurent Gaudé “Nous l’Europe, banquet des peuples”, une idée que je vais résumer très simplement… alors qu’elle n’est pas simple !

Pour Laurent, l’Union européenne est fille de l’histoire du continent européen. Dans le fond quand on parle de l’Europe, il y a tout le temps un grand malentendu et on le ressent chaque soir dans l’écoute des gens. Personne n’est contre le “bloc européen”. Par définition on ne peut pas l’être. Ce serait comme être contre l’eau, le vent, le feu… C’est une sorte de force “à être”, c’est le bloc européen, c’est un continent. Et l’Union européenne est la réponse nécessaire à l’histoire du bloc européen. J’en ai la ferme conviction aujourd’hui. C’est à force de jouer la pièce que j’ai fini par le comprendre, parce qu’au départ je me disais : “c’est quoi sa vision ? De quelle Europe me parle-t-il ?”.

En fait, les gens sont contre l’Europe politique qui est constituée comme une union, avec les traités européens, la lourdeur, le refus du référendum de 2005… Ils sont contre cette Europe institutionnelle. Mais en filigrane, on comprend à travers le texte de Laurent Gaudé, que “ce n’est pas l’une sans l’autre”. L’Europe institutionnelle est directement la fille de l’histoire du bloc européen, un prolongement logique, de bon sens philosophique et politique. Cette pièce m’a donné une rage folle à le faire entendre.

Souvent, les gens ne comprennent pas très bien la fin du spectacle où il y a une forme de lâcher-prise, comme si on disait : “l’Europe va au chaos, mais faisons quand même la fête”. Ce n’est pas la philosophie du texte. Au contraire, elle encourage à ce qu’on se batte pour l’Europe, y compris comme institution, parce que si ce n’est pas la meilleure manière de fonctionner, ce n’est pas la pire.

“Nous, l’Europe, Banquet des peuples”, pièce de théâtre en représentation jusqu’au dimanche 29 mai au Théâtre de l’Atelier à Paris. 

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