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Nataliia Mazur, une voix de l’Ukraine au théâtre

A l’affiche de “Nous, l’Europe, banquet des peuples” joué au Théâtre de l’Atelier, à Paris, la comédienne ukrainienne vient rappeler la dure réalité et le conflit qui frappent son pays. Sa participation à une pièce sur la construction européenne résonne avec le destin d’un pays qui rêve aujourd’hui, plus que jamais, d’en faire partie.

Comme un clin d’œil à l’histoire européenne. Au moment de prendre la pose dans le Théâtre de l’Atelier, alors que la scène se prépare pour la séance du soir, le mot "Elargissement" s’éclaire dans le dos de la comédienne
Comme un clin d’œil à l’histoire européenne. Au moment de prendre la pose dans le Théâtre de l’Atelier, alors que la scène se prépare pour la séance du soir, le mot “Elargissement” s’éclaire dans le dos de la comédienne - Crédits : Toute l’Europe 

Précédée de son interprète, elle pénètre timidement dans le bar du Théâtre de l’Atelier. Nataliia Mazur commence pourtant à connaitre les lieux. Depuis le 7 mai, elle joue plusieurs soirs par semaine sur la scène de cet illustre théâtre, au pied de Montmartre, qui a vu défiler les plus grands.

L’ambiance feutrée de la pièce, dans un lieu inauguré sous Louis XVIII, contraste avec le t-shirt que porte la jeune comédienne. Un vêtement sobre, blanc, sur lequel on peut lire un seul mot : “MARIUPOL”. Un mot qui vient rappeler le destin tragique de cette ville de 400 000 âmes à l’est de l’Ukraine et la raison de la présence de Nataliia à Paris.

La touche ukrainienne du spectacle

Nataliia est née à Lviv, à l’ouest du pays et rien ne la prédestinait à participer à la pièce, “Nous l’Europe, banquet des peuples”. Lorsque l’œuvre est créée, à l’occasion du festival d’Avignon en 2019, l’Ukraine ne figure d’ailleurs pas au programme des deux heures de spectacle, récit exalté de l’histoire de l’Europe.

Mais lorsque la pièce reprend sa tournée, après deux années de pandémie, l’Europe a beaucoup changé. Et frappés par les événements survenus en Ukraine fin février, l’auteur Laurent Gaudé et le metteur en scène Roland Auzet comprennent que le continent en est transformé. “J’ai pensé qu’étant donné que nous allions jouer trois semaines à Paris (7 mai-29 mai), il fallait accueillir une artiste ukrainienne”, poursuit Roland Auzet.

Après quelques recherches, l’heureux sort désigne Nataliia. “J’ai reçu une proposition de la part de Dagmara [Dagmara Mrowiec-Matuszak], une actrice polonaise qui joue dans le spectacle”, explique-t-elle. La connexion s’est faite naturellement, car c’est à Varsovie que Nataliia avait récemment posé ses valises, après sept années consacrées au cinéma et au théâtre dans son pays.

Elan de solidarité

Dès lors, tout s’enchaine très vite pour la comédienne qui reçoit quelques semaines plus tard son texte, auquel elle apporte sa touche personnelle. “J’ai voulu ajouter ma propre réflexion pour montrer comment, moi, en tant qu’Ukrainienne, je vois les choses”, explique-t-elle. S’en suivent seulement trois petites répétitions avec toute la troupe “dans une très bonne ambiance” avant la grande première le 7 mai dernier.

Si elle salue l’accueil réservé par l’ensemble des comédiens de la troupe, Nataliia oublie de mentionner une anecdote, sans doute par pudeur. “Notre budget ne nous permettait pas de la rémunérer autant que les autres acteurs” indique Roland Auzet, avant d’ajouter “chacun a spontanément accepté de donner une partie de son cachet pour qu’elle puisse avoir un salaire équivalent”.

Ce geste envers l’actrice ukrainienne fait écho à l’élan de solidarité de toute l’Europe à l’égard de ses compatriotes. Au moment d’évoquer le destin tragique de son peuple, sa timidité s’efface un peu et sa voix devient plus grave, quand elle dénonce les atrocités commises par Moscou. “On remercie le fait que les Européens accueillent nos femmes et nos enfants pour leur donner l’amour et le soutien dont ils ont besoin”. Elle-même se dit surprise par ces attentions : “après le spectacle, beaucoup de personnes viennent m’exprimer leur soutien”.

Se battre “pour les valeurs européennes

Le destin de son pays, elle l’évoque aussi sur scène. Pourtant, il y a encore quelques mois, la pièce ne mentionnait pas l’Ukraine. Le symbole est donc fort pour la comédienne. “Ça me fait plaisir de représenter et de porter la voix de mon pays” dans un spectacle qui parle de la construction européenne, se réjouit-elle. Avant d’affirmer que la place des Ukrainiens est aux côtés des Européens. “L’Ukraine se bat pour elle-même, mais également pour les valeurs européennes !

En évoquant la candidature récente de l’ancienne nation soviétique à l’Union européenne, elle insiste pour rappeler que cet attachement à l’Europe ne date pas d’hier. “En 2013, en Ukraine, il y a eu une révolution qui défendait les valeurs européennes et c’est à ce moment-là que le pays a montré sa volonté de rejoindre l’UE […] Ça fait longtemps que l’Ukraine a fait ses preuves et c’est une garantie de notre sécurité”.

Dans la pièce, Nataliia s’exprime en partie en français, reprenant notamment à son compte une citation d’Albert Camus. Pourtant elle ne connait pas la langue de Molière et a appris son texte en phonétique. Le résultat est bluffant.

La fonction thérapeutique du théâtre ?

Poursuivant avec le même souffle, elle explique que son rôle dans la pièce est “utile”, car il permet de parler de l’Ukraine et de ne pas oublier ce qui se passe aux portes de l’Europe. Cependant, la jeune femme concède que jouer, aujourd’hui, n’a pas l’effet habituel. “Pour moi, le théâtre a toujours été quelque chose de thérapeutique mais là, ça ne marche pas comme d’habitude”, déplore-t-elle.

Malgré toute sa concentration, dans un spectacle épique, qui demande beaucoup d’énergie, Nataliia a sans doute l’esprit qui voyage, un peu plus à l’est. D’ailleurs, dès qu’elle le peut, elle retourne en Ukraine, où vivent toujours son mari et sa famille et où ils comptent bien rester. Et c’est en Ukraine, malgré le conflit persistant, qu’elle se rendra une fois la pièce terminée. Avant de quitter le bar du Théâtre de l’Atelier, de rejoindre la coulisse et la troupe, elle cherche ses mots, tente d’expliquer ce sentiment partagé lorsqu’elle retrouve ses proches. Et avoue, avec la volonté de braver le danger, “paradoxalement, même pendant la guerre, on ressent une forme de paix lorsqu’on est à la maison”.

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