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Emmanuel Puisais-Jauvin : “L’Union européenne sort de toutes les vulnérabilités stratégiques”

Conséquence de la guerre en Ukraine, enjeux de souveraineté, mix énergétique, environnement ou relance industrielle… Emmanuel Puisais-Jauvin, Secrétaire général des affaires européennes, n’élude aucun dossier européen du moment, rappelle les positions de la France et confirme le changement géopolitique dans lequel l’Union européenne est pleinement engagée.

. "L’Union européenne et ses Etats membres sont déterminés à apporter un soutien sans faille à l’Ukraine. Cet engagement ne cesse d’être rappelé, au plus haut niveau des Etats", réaffirme Emmanuel Puisais-Jauvin - Crédits : Toute l'Europe
L’Union européenne et ses Etats membres sont déterminés à apporter un soutien sans faille à l’Ukraine. Cet engagement ne cesse d’être rappelé, au plus haut niveau des Etats”, réaffirme Emmanuel Puisais-Jauvin - Crédits : Toute l’Europe

Secrétaire général des affaires européennes et Conseiller Europe de la Première ministre, depuis août 2022, Emmanuel Puisais-Jauvin dirige le SGAE, service qui gère la coordination interministérielle sur les questions européennes. Le Secrétariat général des affaires européennes, sous l’autorité de la Première ministre, est le garant de la cohérence et de l’unité de la position française au sein de l’Union européenne. L’occasion d’évoquer l’actualité européenne et les sujets portés par la France, alors que l’on célèbre cette semaine la Journée de l’Europe. 

Toute l’Europe : La Journée de l’Europe, fêtée le 9 mai, tous les ans, célèbre la paix et l’unité des peuples européens. Prend-elle encore plus de sens, aujourd’hui, la Russie ayant rappelé que le principe de paix est bien fragile, même sur notre continent ?

Emmanuel Puisais-Jauvin : La paix, que l’on invoque souvent pour expliquer la construction européenne, est un argument qui parle moins aux jeunes générations. D’une certaine manière parce que le rêve est devenu réalité ! Je pense qu’effectivement, cette Journée de l’Europe, qui célèbre le lancement de la construction européenne avec la fameuse déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, est plus que jamais, en ces temps difficiles et de retour de la guerre sur notre continent, l’occasion de rappeler cet acquis fondamental qu’est la paix, que nous connaissons au sein de l’Union européenne depuis de nombreuses décennies. C’est ce qu’a rappelé la Première ministre à l’Assemblée nationale hier.

Face à ce conflit, les Etats membres montrent leur unité, dans le soutien à l’Ukraine et les sanctions à l’encontre de la Russie. L’Union européenne s’engage aussi sur des chemins nouveaux comme dernièrement avec l’accord sur les achats conjoints de munitions et l’envoi d’armes létales à un pays en guerre. Sommes-nous face à un changement radical de paradigme ?

Ce qui se passe en Ukraine, depuis le 24 février 2022, a provoqué au sein de l’Union européenne des évolutions profondes. Si nous avions dit, il y a cinq ans, que l’UE ferait tout ce qu’elle est en train de faire aujourd’hui, certains n’auraient pas manqué d’être sceptiques. Je crois que cette évolution participe du changement géopolitique dans lequel l’Union européenne est désormais pleinement engagée. Et en effet, les exemples sont là pour le montrer : que l’UE finance des armes létales est sans précédent. L’Europe se rend compte qu’elle est amenée à dépasser certains de ses tabous.

Jusqu’où peut aller le soutien à l’Ukraine et que prône la France, considérant que l’Union européenne ne peut durablement se construire avec un conflit qui s’enlise à ses frontières ?

L’Union européenne et ses Etats membres sont déterminés à apporter un soutien sans faille à l’Ukraine. Cet engagement ne cesse d’être rappelé, au plus haut niveau des Etats. Parce qu’effectivement, une guerre à nos portes est un sujet pour les Européens mais aussi parce que se joue là la remise en cause des valeurs européennes, des valeurs de l’Etat de droit. Il ne faut pas se tromper, au-delà de la guerre au sens le plus brutal et meurtrier du terme, il y a aussi une guerre des modèles. C’est pourquoi l’UE est pleinement engagée et l’unité européenne n’a pas faibli, depuis le début du conflit, y compris dans l’adoption des dix paquets de sanctions à l’encontre de la Russie.

Cette guerre a de nombreuses répercussions sur le quotidien des Européens, notamment en ce qui concerne le prix de l’énergie. La réforme du marché de l’électricité est en discussion, comment se positionne la France par rapport à la proposition de la Commission, qui ne change pas fondamentalement les règles du marché ?

L’énergie est un sujet qui s’est imposé avec énormément de force et de prégnance depuis le début de cette guerre du fait de la dépendance importante à l’égard des hydrocarbures russes. Les situations sont très différentes entre les Etats membres, mais le contexte de cette guerre nous a obligés à repenser fondamentalement notre manière de faire. L’UE a d’abord traité l’urgence : pas moins de huit Conseils énergie se sont tenus au second semestre 2022, dans un contexte de choc d’offre avec un renchérissement du prix du gaz et de l’électricité. Evidemment, le choc pour les consommateurs était considérable. Nous avons trouvé des solutions, qui ont permis d’amortir la hausse des prix et qui se sont ajoutées aux mesures nationales, comme en France où nous avons mis en place des boucliers tarifaires.

Aujourd’hui, nous sommes dans un nouveau moment, où il est utile de regarder comment adapter le marché européen de l’électricité. La proposition de la Commission, en cours de négociation, vise à préserver les acquis de son fonctionnement actuel, tout en corrigeant les effets négatifs que nous avons observés, tels que la volatilité des prix au détriment des consommateurs.

L’UE pourra-t-elle tenir ses objectifs d’ici 2030 d’un mix énergétique comportant 42,5 % de renouvelables ?

L’Europe est à l’avant-garde de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est un axe structurant de son action caractérisée à travers le Pacte vert ou “Green deal”. L’objectif est clair et les moyens sont multiples. Pour y arriver il faut s’engager dans un agenda de décarbonation, ce qui suppose de sortir des énergies fossiles. La France est déterminée à mettre en œuvre cet agenda, sous l’autorité de la Première ministre. Que ce soit à travers le renforcement des énergies renouvelables, au plan européen comme national, mais aussi en continuant à nous appuyer sur l’énergie nucléaire qui nous permet d’avoir une électricité très décarbonée. Pour atteindre cet objectif collectif, il faut jouer sur la palette de ces instruments, en sachant que chaque Etat membre est souverain en ce qui concerne son mix énergétique.

La France a bataillé pour que le nucléaire soit considéré comme une énergie bas carbone. Le nucléaire (70 % de la production électrique française) est-il une énergie indispensable à l’atteinte des objectifs européens ?

Nous en sommes convaincus. En 1957, lorsque nous avons créé la Communauté économique européenne, nous avons aussi créé la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), on l’oublie parfois ! Un nombre important d’Etats membres pense comme nous, l’énergie nucléaire est une énergie sur laquelle il faut compter dans cet objectif collectif de décarbonation.

Évoquons la souveraineté européenne. Ce conflit a rendu encore plus concret le principe de se défaire de toute forme de dépendance, que l’on parle d’énergie, d’économie, de commerce, d’industrie…

Cet agenda de souveraineté européenne porté par le président de la République, et tout à fait complémentaire de la souveraineté nationale, est devenu un agenda européen.

Cela veut dire qu’il faut sortir de toutes les vulnérabilités stratégiques, ce qui est en train de se réaliser. Pendant la présidence française du Conseil de l’UE nous avons beaucoup avancé sur ces sujets. C’était notamment l’un des enjeux majeurs de la réunion informelle des chefs d’État et de gouvernement de Versailles en mars 2022 qui a listé un certain nombre de dépendances stratégiques. Cette volonté est partagée par les Européens à tel point que la Commission a mis sur la table des propositions concrètes sur des sujets comme les semi-conducteurs ou les matières premières critiques. Mais il est important de préciser qu’autonomie ne veut pas dire autarcie. Être autonome ne veut pas dire se replier sur soi.

L’agenda de souveraineté rejoint la réponse européenne à l’IRA américain (Inflation Reduction Act) avec la présentation du Plan industriel vert par Ursula von der Leyen ?

Ce que la Commission européenne a proposé dans sa communication du 1er février dernier est au cœur du renouveau industriel européen. Les enjeux de politique industrielle reviennent en effet en force sur la scène européenne. L’IRA signifie d’abord que les Etats-Unis s’engagent dans un agenda de transition énergétique. On ne peut que s’en réjouir. Mais il faut aussi que, face à l’IRA qui offre de nombreuses opportunités aux entreprises sur le territoire américain, l’Europe réagisse. En étant par exemple plus rapide dans certains de ses processus, notamment en matière d’aides d’Etat.

Sur la question des aides d’Etat, l’Union européenne opère également un changement radical ?

Les règles sur les aides d’Etat sont au cœur du bon fonctionnement du marché intérieur. Elles encadrent les conditions dans lesquelles on peut apporter de la subvention publique. Si cet encadrement n’existait pas, le marché intérieur ne serait pas suffisamment régulé. Mais dans le même temps, il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi aux Etats-Unis il est simple d’obtenir de la subvention, parfois en quelques mois, là où au plan européen cela prend beaucoup plus de temps. Nous avons donc appelé avec d’autres à une modernisation des aides d’Etat pour envoyer un message clair aux entreprises : on veut pouvoir agir plus vite, plus fort et d’une manière plus prévisible. Ce n’est pas la seule réponse, mais une des réponses. Donc, oui, ce paquet industriel, qui a été proposé participe de ce que la président de la République a vraiment souhaité porter : remettre les enjeux de la politique industrielle au cœur de l’agenda européen.

Sommes-nous là dans l’application du concept “d’Europe moins naïve” ? Et d’une Europe plus protectionniste ?

L’Europe n’est plus naïve, c’est clair. Elle assume ses responsabilités et défend ses intérêts. Pour autant, ce n’est pas du protectionnisme. Ses décisions sont conformes aux règles de l’OMC et l’objectif est de mettre en place les conditions d’une concurrence saine et loyale. Prenons un exemple : l’Europe est un marché ouvert, cela veut dire que des entreprises de pays tiers peuvent participer aux appels d’offre organisés en son sein. Sauf que les entreprises européennes n’ont pas la même faculté dans les appels d’offres de certains pays tiers. Qu’avons-nous fait ? Nous avons établi une règle de réciprocité.

Le même principe de concurrence saine et loyale s’applique dorénavant pour les subventions étrangères ?

Oui,les subventions étrangères peuvent avoir un effet distorsif et inéquitable au regard de la concurrence. Lorsque vous êtes une entreprise largement subventionnée par votre Etat d’origine, il est plus facile de faire des offres moins chères qu’une entreprise qui est soumise à une réglementation d’aides d’Etat. Là aussi, nous sommes face à un enjeu de réinstauration d’une concurrence loyale.

Évoquons la gouvernance de l’UE et d’abord la question de l’élargissement qui revient fort dans l’agenda européen sous la pression de l’Ukraine ? Quid des pays des Balkans ?

L’élargissement est un sujet sur lequel les Européens jettent un regard nouveau, un sujet qu’ils appréhendent aussi d’un point de vue géopolitique et stratégique. L’octroi du statut formel de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie, ainsi que la reconnaissance de la perspective européenne à la Géorgie, s’inscrivent dans la réponse au bouleversement provoqué par la guerre en Ukraine. La France a été pleinement en soutien de l’octroi de ces statuts. Vous avez raison de citer également les Balkans, qui font aussi partie de la famille européenne, comme nous l’avons rappelé lors de la conférence sur les Balkans occidentaux (juin 2022) organisée durant la PFUE.

Et demain, comment s’organise une Europe potentiellement à 35 Etats ?

La position de la France, exprimée par la voix du président de la République, est très claire sur les évolutions institutionnelles de l’Union : il ne doit y avoir ni tabou ni totem. Ce n’est pas un tabou, car il ne faut pas s’interdire de modifier les traités, dès lors que les objectifs seraient bien identifiés. Et ce n’est pas un totem parce que la révision des traités n’est pas une fin en soi. L’important est de savoir ce que politiquement, nous voulons faire.

Nous sommes à un an des élections européennes, dans une actualité qui, depuis quelques années, met l’UE sur le devant de la scène (Brexit, crise Covid, plan de relance, guerre en Ukraine, énergie…). Pensez-vous que les citoyens ont aujourd’hui une meilleure connaissance des prises de décisions à l’échelon européen ?

Vous avez raison, les questions européennes sont très présentes dans l’actualité. Cela tient aussi au fait que l’Europe est un sujet majeur pour nos plus hautes autorités. Le discours de la Sorbonne du président de la République [en septembre 2017 NDLR], extrêmement structurant pour définir la politique européenne de la France, reste notre boussole au SGAE et nous continuons à le mettre pleinement en œuvre.

Donc, vous diriez que les questions européennes sont aujourd’hui mieux partagées par la population ?

Il me semble que l’on doit encore faire œuvre de pédagogie pour expliquer comment fonctionne l’Europe. Vous avez fait référence aux élections européennes de l’an prochain. Il faut expliquer combien le Parlement européen est important. Le Parlement européen est co-législateur dans quasiment tous les domaines. Donc élire des femmes et des hommes qui vont y siéger, c’est élire des personnes qui vont écrire la législation pour 450 millions d’Européens. L’année qui s’ouvre devra aussi montrer tout ce que l’Europe apporte au quotidien. Ce scrutin constitue une échéance fondamentale.

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