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Qu’est-ce que le socle européen des droits sociaux ?

Adopté en 2017, le socle européen des droits sociaux permet à l’Union européenne de fixer un cadre et des objectifs en matière sociale. Mais au-delà de sa dimension symbolique, ce texte a déjà inspiré de nombreuses initiatives comme la garantie de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Une liste qui s’est allongée dans le cadre d’un plan d’action présenté par la Commission européenne début mars 2021.

La bannière du Socle européen des droits sociaux ornant le bâtiment du Berlaymont de la Commission européenne à Bruxelles - Crédits : Commission européenne
La bannière du Socle européen des droits sociaux ornant le bâtiment du Berlaymont de la Commission européenne à Bruxelles - Crédits : Commission européenne

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE

- Le socle européen des droits sociaux n’a pas de valeur juridique contraignante mais il permet de définir un cadre commun pour les droits sociaux des citoyens européens.

- Ce texte vise à relancer l’Europe sociale, à l’arrêt depuis la crise de la zone euro, à travers des engagements budgétaires, des initiatives législatives ou la coordination des politiques nationales.

- Il a déjà inspiré plusieurs directives européennes et a débouché sur un nouveau plan d’action en matière sociale en mars 2021.

Dans quel contexte le socle européen des droits sociaux a-t-il été adopté ?

Lors de son discours sur l’état de l’Union en 2015, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker avait évoqué pour la première fois l’idée d’une “boussole” destinée à orienter l’Europe vers “la protection des travailleurs de l’Union européenne” . En novembre 2017, à Göteborg en Suède, l’idée s’est concrétisée, à travers l’adoption par la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen, du socle européen des droits sociaux. Pensé originellement pour les pays de la zone euro, il s’applique finalement aux Vingt-Sept et joue depuis ce rôle de boussole. En effet, s’il n’est pas contraignant juridiquement, il revêt “une valeur politique” , comme le souligne un rapport du Sénat français.

Le texte liste ainsi 20 grands principes sociaux vers lesquels l’Europe doit tendre. Parmi eux, l’éducation, la formation, l’égalité hommes-femmes ou encore l’égalité des chances et la garantie d’un salaire juste. La publication du texte s’est accompagnée d’un document de réflexion sur la dimension sociale de l’Europe, qui fait le point sur les objectifs à atteindre dans le domaine à l’horizon 2025.

S’il constitue une avancée notable, le socle n’offre qu’un cadre non contraignant. Les traités interdisent en effet expressément à l’UE d’harmoniser les législations dans le domaine social, comme le rappelle l’article 4 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les articles 152 et 153 du même traité insistent quant à eux sur la nécessaire mise en place d’un dialogue avec les différents partenaires sociaux afin de “[prendre] en compte la diversité des systèmes nationaux” et de “faciliter le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie” . Dans ce cadre, la Commission avait lancé une grande consultation en 2016 dont l’objectif était de recueillir les ambitions de chacun. Une année de débats entre institutions européennes et partenaires sociaux a permis de fixer ces 20 principes.

Quels sont les 20 principes du socle ?

Les 20 principes du texte sont réunis au sein de trois chapitres :

Égalité des chances et accès au marché du travail
Education, formation et apprentissage tout au long de la vie / Egalité des sexes / Egalité des chances / Soutien actif à l’emploi

Des conditions de travail équitables
Des emplois sûrs et adaptables / Salaires / Informations concernant les conditions d’emploi et protection en cas de licenciement / Dialogue social et participation des travailleurs / Equilibre entre la vie professionnelle et la vie privée / Environnement de travail sain, sûr et adapté et protection des données.

Protection et inclusion sociales
Accueil de l’enfance et aide à l’enfance / Protection sociale / Prestations de chômage / Revenu minimum / Prestations de vieillesse et pensions / Soins de santé / Inclusion des personnes handicapées / Soins de longue durée / Logement et aide aux sans-abri / Accès aux services essentiels.

Chantier majeur des années 80, l’Europe sociale figurait parmi les priorités de Jacques Delors à la tête de la Commission européenne. En 1989, sous son égide, l’UE a notamment adopté la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs. Celle-ci “fixe les grands principes sur lesquels se fonde le modèle européen du droit du travail” et défend “un socle de principes minimaux”. Ces derniers ont été repris dans le traité de Maastricht, le traité de Lisbonne et dans la Charte européenne des droits fondamentaux, adoptée à Nice en 2000.

Cet élan s’était notablement essoufflé avec la crise de la zone euro, estimait en 2017 Jean-Claude Barbier, sociologue et directeur de recherche au CNRS. Ce dernier dénonçait en effet un “asservissement systématique des politiques sociales via le semestre européen” . Ce dispositif, mis en place en réaction à la crise financière, recommande des réformes à engager pour maintenir la bonne santé économique et budgétaire des États membres. Le socle européen des droits sociaux a donc été pensé comme son alter ego en matière sociale. Mais en 2017, année de son adoption, le chercheur qualifiait ce socle de “petite lueur encore bien faible” dans un “paysage social européen négatif”, où les enjeux économiques restent prégnants. Cette recherche d’équilibre entre dimensions sociale et économique se retrouve dans le préambule du socle européen des droits sociaux, le texte précisant que la visée de cohésion sociale s’accompagne d’un objectif d’amélioration de la compétitivité européenne pour attirer des investissements. La dimension économique n’y est donc pas éludée.

Chercheuse en charge des questions sociales à l’institut Jacques Delors, Sofia Fernandes nuance néanmoins : “Même s’il est vrai que le semestre européen édicte principalement des recommandations en termes budgétaires et économiques qui peuvent parfois contrevenir aux objectifs de développement social, depuis trois ans et l’adoption du socle européen des droits sociaux, on assiste à une ‘socialisation’ du semestre européen, c’est-à-dire que les enjeux sociaux sont mieux pris en considération”.

Quel est le but du socle européen des droits sociaux ?

La création du marché unique a notamment permis de garantir le principe de libre circulation des travailleurs. En 2019, 17 millions de citoyens européens vivaient ou travaillaient dans un autre État membre que celui de leur naissance. Un phénomène d’ampleur donc, qui n’est pas sans soulever des défis importants pour l’UE. Avec l’élargissement de l’UE à l’Est notamment, la Fondation Robert Schuman affirme que l’enjeu actuel consiste à “éviter une concurrence commerciale fondée sur le dumping social, qui induit une pression vers le bas dans les normes sociales des pays les plus avancés”. Le socle européen des droits sociaux vise justement à éviter cet écueil, largement dénoncé par la France et les pays scandinaves, pour les systèmes sociaux plus développés.

Pour ce faire, la Commission européenne doit néanmoins composer avec une marge de manœuvre limitée. Concrètement, au sujet du salaire minimum européen par exemple, dans son initiative présentée en octobre 2020, l’exécutif européen s’est voulu très clair sur l’étendue de ses prérogatives en la matière : “l’Union ne peut pas intervenir directement en ce qui concerne le niveau des rémunérations, de manière à ne pas interférer avec la compétence des États membres et l’autonomie des partenaires sociaux dans ce domaine”, explique-t-il. La proposition de la Commission européenne vise ainsi à garantir le caractère “adéquat” des salaires minimums lorsqu’ils existent dans un État membre, mais aucunement à une harmonisation de leurs montants au niveau de l’UE ni à imposer le principe d’une rémunération minimale dans les pays qui n’ont pas légiféré à ce sujet. Si le socle européen des droits sociaux a pour ambition affichée de niveler par le haut le droit social au sein des États membres, il n’a donc pas forcément vocation à édicter des normes européennes unifiées.

Chronologie du socle européen des droits sociaux

- Septembre 2015 : Jean-Claude Juncker annonce le projet d’un Socle européen des droits sociaux dans son discours sur l’état de l’Union.

- Mars 2016 : La Commission européenne en présente officiellement les grandes lignes en mars 2016.

- Mai-Décembre 2016 : Grande consultation publique ayant recueilli 16 500 retours sur les orientations à donner à ce socle européen des droits sociaux.

- 17 novembre 2017 : Lors d’un sommet à Göteborg, le texte est adopté par le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne.

- Mars 2018 : La Commission européenne présente son tableau de bord d’évaluation des indicateurs sociaux, destiné à permettre une convergence entre les Etats membres.

- Juillet 2019 : Ursula von der Leyen s’engage en faveur de la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux lors de son discours devant le Parlement de Strasbourg.

- Mars 2021 : La Commission européenne dévoile son plan d’action destiné à mettre en œuvre les orientations du socle européen des droits sociaux.

De quels moyens la Commission dispose-t-elle pour mettre en œuvre les principes du socle européen des droits sociaux ?

Le socle européen des droits sociaux n’ayant pas de valeur juridique contraignante, la Commission européenne dispose de trois armes pour influer sur les politiques sociales en Europe, résume Sofia Fernandes : “Elle peut jouer sur le budgétaire, non seulement par le biais des financements européens mais aussi en accordant plus de marge de manœuvre aux États, comme elle l’a fait en suspendant le Pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux gouvernements de financer la réponse à la crise de la Covid-19. Sur le législatif, en adoptant des directives qui fixent des normes sociales minimales communes. Ou sur la coordination, l’outil le plus soft, en incitant les États membres à prendre des dispositions nationales”.

La Commission européenne, via Eurostat, publie notamment un tableau de bord des données sociales des États membres permettant de dresser un bilan pays par pays. A partir de ce constat, elle émet des recommandations dans le cadre de ses prérogatives en la matière. Les États et les partenaires sociaux sont ensuite libres de les mettre en œuvre ou non.

Quelles réalisations européennes concrètes ont été inspirées par le socle européen des droits sociaux ?

S’il n’a pas force de loi, le socle européen des droits sociaux a néanmoins déjà inspiré plusieurs initiatives législatives européennes depuis son adoption. Ainsi, en 2019, la directive sur l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, a repris littéralement l’intitulé d’un des principes du texte, cité comme un cadre structurant par la Commission européenne. La directive relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles, elle, a donné plus de protection aux travailleurs les plus précaires et “s’inscrit en droite ligne du socle européen des droits sociaux” , affirme la Commission européenne.

Dès sa prise de fonction, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé son ambition d’accomplir une “Europe plus sociale”. En juillet 2020, la Commission européenne a, par exemple, présenté sa stratégie en matière de compétences en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience, accordant une attention particulière aux salariés non permanents et aux salariés touchés par la crise. Dans le même temps, elle a dévoilé un paquet de mesures de soutien à l’emploi des jeunes. Pendant cette période, la Commission a aussi financé un mécanisme européen de réassurance chômage, baptisé SURE, destiné à soutenir les systèmes nationaux de protection sociale des travailleurs des pays membres, en leur permettant de bénéficier de prêts à très faibles taux d’intérêt pour un montant total de 100 milliards d’euros.

Ces initiatives témoignent d’une réalité, soulignée par Sofia Fernandes : l’Union peut influer sur les politiques sociales en mobilisant ses prérogatives économiques. “Quand on note qu’InvestEU [programme destiné à financer l’investissement en Europe] dispose d’un pilier social [4 des 37 milliards alloués, destinés à financer des investissements sociaux et le développement des compétences], que la Commission a suspendu les contraintes du Pacte de stabilité et de croissance, ou encore qu’elle a lancé le mécanisme SURE, on observe que l’Europe est active en matière sociale. Cette crise a mis en lumière un changement de paradigme en termes de gestion des conséquences sociales de la crise au niveau des institutions européennes. Au cours de la crise de la zone euro, on demandait à la Grèce et au Portugal de baisser les salaires et de couper dans leurs dépenses d’éducation ou de santé, ce qui allait à l’encontre des ambitions sociales de l’Europe. Aujourd’hui, la réponse européenne à la crise illustre une volonté de limiter son impact social”.

Ambition phare du mandat d’Ursula von der Leyen, le Pacte vert pour l’Europe comporte également un volet social. Le Fonds de transition juste, destiné à permettre la transition énergétique dans les régions européennes les plus consommatrices d’énergies fossiles, financera notamment la requalification des travailleurs ayant perdu leur emploi du fait de cette transition.

Quelle est la prochaine étape ?

Le 4 mars 2021, la Commission européenne a présenté un plan d’action ayant vocation à concrétiser davantage les objectifs portés par le socle européen des droits sociaux. Celui-ci comporte trois objectifs principaux à atteindre d’ici à 2030 :

  • un emploi pour au moins 78 % des 20-64 ans
  • une participation à des activités de formation pour au moins 60 % des adultes chaque année
  • 15 millions de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale en moins

Ce plan d’action matérialise la contribution de la Commission européenne au sommet social de Porto (Portugal), qui aura lieu les 7 et 8 mai 2021. Point d’orgue de la présidence portugaise du Conseil (1er janvier 2021 - 30 juin 2021), ce sommet, lequel rassemblera institutions européennes, États membres et partenaires sociaux, sera l’occasion pour l’ensemble de ces acteurs de débattre et de renforcer leurs engagements quant à la concrétisation du socle européen des droits sociaux.

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