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A la loupe

[Fact-checking] Le Parlement européen n’a-t-il aucun pouvoir en comparaison de l’Assemblée nationale ?

Quel est le pouvoir des députés européens que nous élirons le 9 juin ? Est-il comparable à celui des députés français ? Et face à la Commission européenne, que pèse le Parlement européen ? Décryptage.

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Le Parlement européen comptera 720 membres après le 9 juin, contre 577 pour l’Assemblée nationale - Crédits : Mathieu Cugnot / Parlement européen | debraydavid / iStock

CE QUE VOUS ALLEZ APPRENDRE DANS CET ARTICLE 

  • A la différence des députés nationaux, les députés européens ne peuvent pas proposer de lois. 
  • Ils partagent également plusieurs pouvoirs avec le Conseil.
  • Ils jouent un rôle fondamental et disposent d’une grande autonomie. 

Le 9 juin prochain, les citoyens français se rendront aux urnes pour élire 81 des 720 députés du Parlement européen. Seule institution dont les membres sont élus au suffrage universel direct depuis 1979, ce parlement continue parfois de souffrir d’un manque de considération.

A sa naissance en 1957, il n’est certes qu’une assemblée sans réel pouvoir. Il est d’ailleurs composé de parlementaires nationaux, délégués par leurs parlements respectifs. Mais au fil des années, le Parlement européen va progressivement gagner en compétence et en autonomie. Il conserve toutefois un certain nombre de différences avec l’Assemblée nationale. 

Pas d’initiative législative pour les eurodéputés

Une de ces différences souvent soulignée entre députés nationaux et européens est la capacité à proposer des textes de lois. Au sein de l’Union européenne, c’est la Commission européenne (l’exécutif européen) qui dispose de l’initiative législative. Et pour cela, celle-ci doit généralement suivre les orientations définies par le Conseil européen, qui rassemble les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres. La Commission européenne soumet ensuite ses propositions de “lois” (directives ou règlements pour l’essentiel) au Conseil de l’UE et au Parlement européen en vue de leur adoption. 

Côté français en revanche, les députés de l’Assemblée nationale, tout comme les sénateurs, peuvent déposer eux-mêmes des “propositions de lois” et ne s’en privent pas. Au cours de la législature 2017-2022, 2 419 textes ont ainsi été proposés par les parlementaires français. 

Bien que les députés européens ne disposent pas sur le papier d’un tel pouvoir, la réalité est plus nuancée. D’une part, les députés nationaux partagent ce pouvoir avec le gouvernement. Or si ce dernier n’a déposé que 320 “projets de lois” pendant cette période, la grande majorité de la législation française est plutôt d’origine gouvernementale : 240 textes (68 %) arrivés à terme sont issus du gouvernement, contre 114 issus de parlementaires. 

D’autre part, le Parlement européen peut tout de même inviter la Commission à élaborer une proposition sur un sujet particulier, en adoptant un rapport d’initiative législative (article 225 du traité sur le fonctionnement de l’UE). L’exécutif européen est alors libre de suivre ou non la proposition, mais s’engage à présenter “une proposition législative dans un délai d’un an” ou à inscrire celle-ci “dans son programme de travail de l’année suivante”. En cas de refus, il doit “en précise[r] les motifs circonstanciés au Parlement”, précise un accord-cadre entre les deux institutions. Et d’après une étude menée par le service de recherche du Parlement européen (EPRS) couvrant la période juillet 2019 - décembre 2021, 152 des 178 résolutions du Parlement européen ont été suivies de réponses. Et dans 43 % des cas, la Commission européenne a mis en place une action ou promis de le faire.

Un vrai rôle de colégislateur…

Dans le cadre de la procédure législative ordinaire, qui concerne un grand nombre de domaines, le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont sur un pied d’égalité pour amender et adopter des nouvelles mesures européennes. Toutes les lois doivent être votées par les deux institutions avant d’entrer en vigueur. 

Le Parlement européen peut d’ailleurs être ambitieux et modifier en profondeur les textes proposés par la Commission européenne. Pour ne citer que quelques exemples, le Parlement européen a par exemple musclé certaines dispositions du règlement européen sur les services numériques (DSA), qui vise à combattre les produits et les contenus illicites en ligne. Les eurodéputés y ont ajouté par la voie d’amendements l’interdiction de la publicité ciblant les mineurs. 

Le Parlement européen peut en revanche être considéré par certains comme un “purgatoire médiatique”, où il est plus difficile de faire parler de soi. Ce qui n’empêche pas de nombreux parlementaires européens de considérer que leur rôle a une influence notable sur la vie des citoyens. Certains parviennent aussi à faire entendre leurs voix depuis Bruxelles ou Strasbourg, à l’image de Manon Aubry (La Gauche), Pascal Canfin (Renew) ou Raphaël Glucksmann (S&D).

Sur le plan budgétaire, les parlementaires défendent également leurs priorités. En décembre 2020, l’eurodéputée allemande Sabine Verheyen (PPE) estimait que le Parlement s’était “imposé dans les négociations” pour venir gonfler le projet du programme Erasmus+ (+80 % de hausse sur la période 2021-2027 par rapport à la précédente).

… partagé avec les Etats 

A l’inverse de l’Assemblée nationale, le Parlement européen n’a cependant pas le dernier mot pour adopter un texte seul. Une approbation du Conseil de l’Union européenne, qui représente les 27 Etats membres, est inévitable pour entériner un projet européen.

Dans les faits, le Conseil de l’UE peut d’ailleurs bloquer un tel projet sur une période indéterminée. Ce qui arrive notamment lorsque ses membres ne parviennent pas à s’accorder…

Dans plusieurs domaines par ailleurs, certaines décisions ne relèvent pas de la procédure ordinaire. Comme en matière de fiscalité ou de sécurité, où le Parlement européen n’a qu’un pouvoir de véto et ne peut pas amender les projets législatifs. 

En matière budgétaire aussi, le pouvoir du Parlement européen connait quelques limites. Le budget annuel sur lequel il se prononce est plafonné par un cadre financier pluriannuel de sept ans, largement déterminé par les Etats membres. Contrairement à l’Assemblée nationale, qui de son côté se prononce sur un budget non contraint.

Plus d’autonomie

Contrairement aux députés français à Paris, les eurodéputés jouissent en revanche d’une totale autonomie vis-à-vis de l’exécutif. “Le parlementaire européen est un homme libre, maître de son bulletin de vote”, écrivait en 2019 Jean-Louis Bourlanges, actuellement député MoDem des Hauts-de-Seine, après avoir été eurodéputé pendant près de 19 ans. 

L’autonomie des députés européens peut également se faire sentir au sein de leur groupe politique, où se côtoient plusieurs nationalités et donc des sensibilités différentes. Malgré des consignes de vote communes au groupe, il est fréquent (et admis) de voir des voix dissidentes. En témoigne par exemple le vote sur la restauration de la nature de juillet 2023 : si les groupes de gauche (GUE, S&D et Verts) ont voté unanimement en faveur du projet, ce n’est pas le cas de Renew : 19 des 101 membres s’y sont opposés et 9 se sont abstenus.

Du côté de l’Assemblée nationale, le groupe politique dont est issu le gouvernement a de plus grandes chances d’obtenir une majorité absolue. Le mode de scrutin de la Ve République favorise en effet l’émergence de telles majorité solides. L’opposition est donc généralement plus encline à s’opposer d’une seule et même voix aux textes. 

L’argument semble toutefois moins valable depuis le dernier renouvellement de la chambre au printemps 2022, où aucun groupe ne détient non plus la majorité, rendant plus que jamais nécessaire la recherche de compromis sur chaque projet ou proposition de loi. Comme au Parlement européen donc, et comme dans beaucoup de parlements nationaux, où la culture du compromis est beaucoup plus présente. 

Un pouvoir de contrôle de la Commission 

La Constitution française prévoit que l’Assemblée nationale peut adopter une motion de censure ou “désapprouver le programme ou une déclaration de politique générale du gouvernement”. Deux situations qui entrainent sa démission. Sur la centaine de motions déposées sous la Ve République, une seule a été adoptée en 1962, conduisant à la démission du gouvernement Pompidou.

Le Parlement européen dispose d’un pouvoir similaire. Selon le traité sur l’Union européenne, il “exerce des fonctions de contrôle politique”. Les eurodéputés peuvent adopter une motion de censure pour obliger les membres de la Commission à “démissionner collectivement de leurs fonctions. Si aucune des huit motions de censure soumises n’a abouti, la menace d’un tel scénario en 1999 a poussé la Commission dirigée par Jacques Santer à démissionner.

En revanche, si l’Assemblée nationale peut être dissoute par le président de la République (ce qui s’est produit à 5 reprises), le Parlement européen est à l’abri d’une telle menace.

Enfin, les eurodéputés se démarquent des parlementaires français d’une autre manière : ils sont chargés d’élire le président de la Commission européenne, sur proposition des chefs d’Etats et de gouvernement. Le Parlement européen procède également à des auditions de chaque commissaire désigné. Ce qui n’est pas une formalité, certains n’ayant effectivement pas franchi cette étape en 2019. Les eurodéputés procèdent enfin à un vote pour valider l’ensemble du collège.

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