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  • Synthèse

Etat de droit : chronologie du conflit entre l’Union européenne et la Hongrie

Liberté de la presse, séparation des pouvoirs, droits LGBT… Depuis plusieurs années, le gouvernement hongrois porte atteinte aux principes de l’état de droit. Des dérives qui vont à l’encontre des valeurs de l’UE, et contre lesquelles les institutions européennes tentent d’agir.

Depuis plusieurs années, la Hongrie défie l’Union européenne sur la question de l’état de droit (image : les eurodéputés discutent de la situation en Hongrie avec le Premier ministre Viktor Orbán, 2017) - Crédits : Flickr Parlement européen CC BY-NC-ND 2.0

Les dernières dates importantes :

  • 12 décembre 2022 : accord entre les Etats membres de l’UE pour bloquer 12,1 milliards d’euros de fonds européens destinés à la Hongrie 
  • 30 novembre 2022 : la Commission européenne propose de geler le versement de 13,3 milliards d’euros de fonds européens à la Hongrie
  • 27 avril 2022 : déclenchement du mécanisme de conditionnalité contre la Hongrie
  • 16 février 2022 : la Cour de justice de l’UE valide le mécanisme de conditionnalité
  • 15 juillet 2021 : la Commission ouvre des procédures d’infraction contre la Pologne et la Hongrie pour des atteintes aux droits LGBT

Au pouvoir depuis 2010 en Hongrie, le parti national-conservateur de Viktor Orbán (Fidesz) a introduit de nombreuses réformes affaiblissant l’état de droit dans le pays. Atteintes contre les ONG, la liberté de la presse, l’indépendance judiciaire, les droits LGBT… Autant de mesures qui s’inscrivent contre les valeurs démocratiques défendues par l’Union européenne.

Dès son deuxième article, le traité sur l’Union européenne (TUE) indique ainsi que “l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.”

Gardienne de ces principes, la Commission européenne a entamé depuis plusieurs années un bras de fer avec ceux qui portent ces dérives autoritaires. Cela peut ainsi aller du simple dialogue instauré entre les institutions européennes et l’Etat membre, à l’avis (exigeant une réponse de l’Etat visé), à la procédure d’infraction (plusieurs fois enclenchée contre la Hongrie et la Pologne), au déclenchement de l’article 7 du traité sur l’UE pouvant suspendre le droit de vote d’un Etat membre au Conseil, et enfin jusqu’au nouveau mécanisme de conditionnalité des fonds européens.  

De son côté, le Parlement européen condamne lui aussi régulièrement les violations de l’état de droit en Hongrie. Pourtant, si certaines actions européennes ont été suivies d’effets, la tendance “illibérale” du gouvernement ne semble pas avoir été profondément ébranlée. Retour sur plus de 10 ans d’affrontements entre Bruxelles et Budapest, autour des principes européens fondamentaux.

Outre la Hongrie, d’autres gouvernements européens ont eux aussi directement menacé les valeurs européennes :

2010-2013 : En Hongrie, les réformes de Viktor Orbán inquiètent l’UE

Les élections législatives hongroises organisées en avril 2010 se soldent par la victoire du Fidesz (de son nom complet “Fidesz-Union civique hongroise”). Emmené par son chef Viktor Orbán, le parti obtient environ 52,7 % des suffrages exprimés, ce qui lui offre une majorité dépassant les deux tiers à l’Assemblée nationale avec 263 sièges sur 386. Cette large victoire permet à Viktor Orbán d’être élu Premier ministre de Hongrie, fonction qu’il avait déjà occupée de 1998 à 2002.

  • Liberté de la presse

Adoptée le 21 décembre 2010, une nouvelle loi sur les médias prévoit des amendes pouvant atteindre 730 000 euros pour les chaînes de télévision et de radio qui porteraient atteinte à l’intérêt public, à l’ordre public ou à la morale, sans que ces concepts ne soient clairement définis. Elle attribue en outre à une autorité composée de membres du parti au pouvoir, le Fidesz, la fonction de contrôler le contenu des informations diffusées.

Cette loi controversée entre en vigueur le 1er janvier 2011, alors que la Hongrie entame une présidence tournante du Conseil de l’UE pour six mois.

Le 3 janvier 2011, la Commission présidée par José Manuel Barroso demande des clarifications au sujet de cette réforme. Elle émet des “doutes” et des “inquiétudes”, à propos notamment de l’indépendance de la nouvelle autorité de supervision.

Le 21 janvier 2011, Bruxelles met en demeure la Hongrie et lui accorde deux semaines pour répondre à ses demandes, puisque la loi contrevient selon elle au droit européen.

Viktor Orbán cède finalement à la pression et accepte, le 16 février 2011, d’amender les éléments contestés de sa loi sur les médias.

  • Justice

Le 12 décembre 2011, c’est cette fois à propos de sa réforme de la justice que la Commission européenne demande des clarifications au Premier ministre Viktor Orbán. Elle estime certaines mesures (telles que l’abaissement de l’âge de départ à la retraite des juges de 70 à 62 ans) contraires au principe de séparation des pouvoirs. Adoptées par le Parlement hongrois, celles-ci entrent en vigueur le 1er janvier 2012.

Le 7 mars 2012, la Commission adresse à Budapest deux avis relatifs à l’âge de départ en retraite des magistrats et à l’indépendance de l’autorité hongroise de protection des données personnelles. L’exécutif européen donne un mois à la Hongrie pour réformer sa législation, sous peine de poursuites devant la Cour de justice de l’UE.

La mesure prévoyant l’avancement de l’âge de départ à la retraite des juges de 70 à 62 ans sera finalement abandonnée, après un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de novembre 2012 qui la juge discriminatoire.

  • Indépendance de la Banque centrale

Le 19 décembre 2011, la Commission européenne demande à Budapest de retirer deux projets de réformes qui entreraient en contradiction avec les traités européens. L’une concerne l’indépendance de la Banque centrale hongroise, mise en cause par la fusion prévue avec un Comité monétaire dont les membres pourraient être limogés par le pouvoir législatif. L’autre est liée à la politique fiscale.

Le 22 décembre 2011, Viktor Orbán rejette ces demandes de l’exécutif européen.

Le 30 décembre 2011, la réforme contestée de la Banque centrale est adoptée par le Parlement hongrois. Alors que le pays est en pleine crise économique, la Commission et le Fonds monétaire international (FMI) décident par conséquent d’interrompre un projet de crédit financier (de 15 à 20 milliards d’euros) envisagé pour la Hongrie.

Le 6 juillet 2012, une nouvelle version révisée de la loi sur la Banque centrale hongroise est présentée, dont le texte a été validé cette fois-ci par les institutions internationales.

  • Constitution hongroise

La nouvelle Constitution de Hongrie entre en vigueur le 1er janvier 2012. Plusieurs des dispositions (notamment celles au sujet de l’indépendance de la Banque centrale, du statut des juges et de l’autorité de protection des données personnelles) qu’elle contient avaient auparavant été vivement dénoncées par l’opposition et par des milliers de manifestants.

Le 17 janvier 2012, la Commission européenne adresse à la Hongrie trois mises en demeure en raison de la non-conformité de dispositions de la nouvelle Constitution vis-à-vis des traités européens.

Le 11 mars 2013, le Parlement hongrois adopte un nouvel amendement à la Constitution, qui prévoit de diminuer les prérogatives du pouvoir judiciaire en plaçant de facto les pouvoirs politiques (législatif et exécutif) au-dessus.

La Commission européenne fait alors rapidement part de ses préoccupations en ce qui concerne la primauté du droit, le droit de l’Union européenne ainsi que l’état de la démocratie et des libertés en Hongrie. C’est la première fois qu’un Etat membre de l’Union se place ouvertement aussi loin des valeurs communautaires.

Le 3 juillet 2013, le Parlement européen vote un rapport porté par le Portugais Rui Tavares. Celui-ci conclut que “la tendance systémique et générale [de la Hongrie] à modifier à plusieurs reprises le cadre constitutionnel et juridique” est “incompatible” avec les valeurs européennes et que cette tendance “aboutira à un risque manifeste de violation grave” de ces mêmes valeurs.

Mais le 20 novembre 2013, l’exécutif européen clôt sa procédure d’infraction car elle considère que la Hongrie a pris les mesures nécessaires et a mis sa législation en conformité avec le droit de l’UE.

2017-2020 : atteintes contre les ONG et activation de l’article 7

La Hongrie poursuit ses réformes controversées, qui touchent désormais la société civile.

  • Attaques contre l’Université d’Europe centrale

Le 4 avril 2017, le Parlement hongrois vote une loi sur l’enseignement supérieur, qui vise à priver de licence d’exploitation certains établissements d’origine étrangère. Son but quasiment avoué est d’interdire l’Université d’Europe centrale financée par le milliardaire hongro-américain George Soros, puisque c’est la seule université étrangère à ne pas pouvoir s’y conformer.

Dans un arrêt du 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne juge que la loi hongroise de 2017 sur l’enseignement supérieur est contraire à la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui garantit la liberté académique et la liberté d’entreprise. Les juges de la Cour dénoncent “un moyen de discrimination arbitraire” introduit par la Hongrie, et des conditions “incompatibles avec le droit de l’Union”.

  • Affaiblissement des ONG

Dans la foulée, le 7 avril 2017, le parti de Viktor Orbán dépose une nouvelle proposition de loi afin de contraindre les organisations non gouvernementales (ONG) à déclarer leurs ressources financières qui proviennent de donateurs étrangers. Une nouvelle fois, il apparaît que ce projet est particulièrement visé contre le milliardaire américain George Soros puisqu’en 2016 il a distribué 3,6 milliards de dollars aux ONG de Budapest. A cause de cette proposition de loi, les ONG perçues comme “agents de l’étranger” craignent de perdre leurs revenus financiers indispensables à leur activité d’opposition politique. Elle est finalement adoptée le 13 juin 2017.

Un mois plus tard, le 13 juillet, la Commission européenne engage une procédure d’infraction concernant cette loi hongroise. La conclusion tirée est qu’elle n’est pas conforme au droit de l’UE puisqu’elle porte notamment atteinte à la liberté d’association et qu’elle introduit des restrictions disproportionnées à la libre circulation des capitaux. Budapest bénéficie d’un mois pour répondre à cette mise en demeure.

Considérant que la Hongrie ne répond pas à ses préoccupations, la Commission européenne adresse un avis motivé (deuxième étape de la procédure d’infraction) le 4 octobre 2017 A présent, Budapest dispose d’un délai d’un mois pour prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’avis motivé.

La troisième étape de la procédure d’infraction, le recours devant la Cour de justice de l’Union européenne, est franchie le 7 décembre suivant.

Le 18 juin 2020, la Cour de justice de l’Union européenne condamne cette loi, l’estimant contraire à la liberté de circulation des capitaux au sein de l’UE. Elle statue que ces restrictions imposées aux ONG bafouent le droit à la liberté d’association, le droit au respect de la vie privée et celui à la protection des données personnelles.

Le 18 février 2021, la Commission européenne lance une nouvelle procédure en infraction contre la Hongrie pour cette même loi. L’exécutif européen met en demeure le gouvernement de Viktor Orbán de l’abroger dans un délai de deux mois.

Le 20 avril 2021, le gouvernement hongrois abroge sa loi sur les ONG jugée non conforme au droit européen en envoyant une proposition en ce sens au pouvoir législatif.

  • Vers l’activation de l’article 7

Le 26 avril 2017, la Commission européenne ouvre une procédure d’infraction à l’encontre de Budapest au sujet de la nouvelle loi adoptée sur l’enseignement supérieur (voir plus haut).

Il s’agit seulement de la seconde fois que cette procédure exceptionnelle est actionnée dans l’histoire de l’Union européenne. En effet, l’article 7 n’avait été déclenché qu’une seule fois jusqu’ici par la Commission contre la Pologne en décembre 2017.

Depuis le déclenchement de cette procédure exceptionnelle, le Conseil de l’UE a auditionné les autorités hongroises les 16 septembre et 10 décembre 2019.

Aujourd’hui, le Conseil n’a pas encore statué : il n’a pas constaté l’existence d’un risque clair de violation grave de l’état de droit. L’unanimité requise au Conseil européen pour l’enclenchement du “volet répressif” de la procédure de l’article 7 constitue également un obstacle important puisque Varsovie et Budapest ont fait savoir qu’elles seraient solidaires l’une de l’autre au Conseil européen. La procédure est aujourd’hui dans l’impasse.

  • Pouvoirs exceptionnels illimités

Alors que la pandémie de Covid-19 commence à toucher l’ensemble du continent européen, un état d’urgence est instauré le 11 mars 2020 en Hongrie. Le Parlement hongrois accorde au Premier ministre Viktor Orbán le droit de légiférer par ordonnances.

Le chef du gouvernement hongrois peut dès lors prolonger indéfiniment ses pouvoirs exceptionnels sans l’accord du Parlement. La loi adoptée par les députés hongrois prévoit également de punir d’une peine allant jusqu’à 5 ans d’emprisonnement la diffusion de “fausses nouvelles” sur le Covid-19 ou sur les mesures gouvernementales.

  • Atteintes aux droits LGBT

Le 15 juillet 2021, la Commission européenne ouvre des procédures d’infraction contre la Hongrie et la Pologne pour “atteintes au valeurs fondamentales de l’Union européenne”. En Hongrie, la mesure en cause est une loi contre la représentation et la “promotion” de l’homosexualité.

Depuis 2020 : mécanisme de conditionnalité des fonds européens

Le 16 novembre 2020, Budapest et Varsovie bloquent ensemble le budget pluriannuel de l’Union européenne et le plan de relance approuvé en juillet de la même année pour faire face à la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19. La création d’un mécanisme permettant de priver de fonds européens les Etats membres accusés de violer les principes de l’état de droit a poussé les deux pays à s’opposer à cet accord.

Trois semaines après avoir mis leur véto au plan de relance européen et au budget communautaire, les dirigeants polonais et hongrois affirment les 8 et 9 décembre 2020 qu’ils sont prêts à le lever après avoir obtenu des garanties interprétatives suffisantes et un compromis sur la mise en œuvre de ce mécanisme de conditionnalité à l’état de droit.

Le règlement relatif au mécanisme de conditionnalité est officiellement adopté le 16 décembre 2020.

Le 5 avril 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonce devant le Parlement européen que l’organe exécutif européen va prochainement lancer la première activation de ce mécanisme de conditionnalité à l’état de droit contre la Hongrie. Cette procédure est formellement ouverte le 27 avril par le commissaire européen au Budget Johannes Hahn.

Le 30 novembre 2022, la Commission européenne propose finalement de geler le versement de 13,3 milliards d’euros de fonds européens à la Hongrie, dont 7,5 milliards d’euros sont issus des fonds de cohésion destinés au pays. Les 5,8 milliards d’euros restants correspondent aux subventions allouées dans le cadre du plan de relance européen. La Commission estime que “la Hongrie n’a pas suffisamment progressé dans ses réformes et doit respecter ses engagements afin de recevoir les fonds européens”. Pourtant ces mannes financières semblent indispensables pour Budapest en proie à de graves difficultés économiques. 

Petite subtilité : lors de l’annonce du gel de 13,3 milliards d’euros (dont une partie issue du plan de relance), la Commission européenne a tout de même validé le plan hongrois. Une étape qui était nécessaire avant la fin de l’année, sans quoi Budapest aurait pu définitivement perdre 70 % de son allocation. Mais pour toucher les fonds, le gouvernement hongrois doit mettre en œuvre les réformes indiquées par la Commission européenne.

Le 12 décembre 2022, les ambassadeurs des Vingt-Sept sont parvenus à un accord pour débloquer la situation. Cette validation nécessitait la majorité qualifiée des Etats, soit au moins 15 pays sur 27 représentant au minimum 65 % de la population de l’UE.

Le Conseil a ainsi décidé de suspendre 6,3 milliards d’euros sur les 7,5 initialement proposés par la Commission européenne. Le plan de relance hongrois est par ailleurs validé mais 27 “super jalons” devront être atteints pour débloquer les 5,8 milliards d’euros. Cette décision a également permis de débloquer les deux autres dossiers dans la balance : l’aide financière de 18 milliards d’euros à destination de l’Ukraine ainsi que le projet d’impôt mondial sur les grandes entreprises de 15 % proposé par l’OCDE.

Le 24 avril 2023, la ministre hongroise en charge des Affaires européennes Judit Varga annonce sur son compte Twitter que son pays a trouvé un “accord technique” avec la Commission européenne concernant les super jalons exigés. Budapest espère ainsi un déblocage dans les prochains mois, jugeant que “la balle est dans le camp de [l’exécutif européen]”. “Des étapes internes vont suivre pour analyser les progrès réalisés”, a pour sa part répondu le commissaire européen à la Justice Didier Reynders.

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Pour approfondir

  • Fonctionnement de l'UE

  • Droit de l'Union européenne

  • Budget

  • Droits fondamentaux et du citoyen

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