Toute L'Europe – Comprendre l'Europe
  • Synthèse

Etat de droit : chronologie du conflit entre l’Union européenne et la Pologne

Indépendance de la justice, primauté du droit européen, droits des LGBT… Depuis plusieurs années, le gouvernement polonais porte atteinte aux principes de l’état de droit. Des dérives qui vont à l’encontre des valeurs de l’UE, et contre lesquelles les institutions européennes tentent d’agir.

Mateusz Morawieck (ici à côté d’Ursula von der Leyen en décembre 2019) est à la tête du gouvernement polonais depuis 2017 - Crédits : Etienne Ansotte / Commission européenne

Au pouvoir depuis 2015 en Pologne, le parti national-conservateur Droit et justice (PiS) de Jarosław Kaczyński a introduit de nombreuses réformes affaiblissant l’état de droit dans le pays. Atteintes à à l’indépendance judiciaire, à la liberté de la presse, aux droits des personnes LGBT… Autant de mesures qui s’inscrivent contre les valeurs démocratiques défendues par l’Union européenne.

Dès son deuxième article, le traité sur l’Union européenne (TUE) indique ainsi que “l’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.”

Gardienne de ces principes, la Commission européenne a entamé depuis plusieurs années un bras de fer avec ceux qui portent ces dérives autoritaires. Cela peut ainsi aller du simple dialogue instauré entre les institutions européennes et l’Etat membre, à l’avis (exigeant une réponse de l’Etat visé), à la procédure d’infraction (plusieurs fois enclenchée contre la Pologne), au déclenchement de l’article 7 du traité sur l’UE pouvant suspendre le droit de vote d’un Etat membre au Conseil, et enfin jusqu’au nouveau mécanisme de conditionnalité des fonds européens. De son côté, le Parlement européen a lui aussi régulièrement dénoncé les violations de l’état de droit dans le pays. Retour sur plus de 10 ans d’affrontements entre Bruxelles et Varsovie, autour des principes européens fondamentaux.

Outre la Pologne, d’autres gouvernements européens ont eux aussi directement menacé les valeurs européennes :

2015-2020 : En Pologne, le parti “Droit et Justice” met en cause l’indépendance de la justice 

Après l’élection en mai 2015 du président Andrzej Duda, les élections législatives en Pologne apportent à leur tour une majorité absolue au parti conservateur “Droit et Justice” (PiS) au mois d’octobre.

Accusant l’ancien pouvoir de centre-droit d’avoir voulu prendre le contrôle du Tribunal constitutionnel, le président conservateur Duda annule la nomination des cinq juges (sur les 15 membres) qui avaient été nommés par son prédécesseur. En décembre 2015, cinq nouveaux juges sont choisis et prêtent serment devant le président du PiS (ce que n’avaient pas fait les cinq juges précédemment nommés). Ces nouveaux juges offrent au PiS une majorité de partisans au Tribunal constitutionnel, en vue de nouvelles réformes judiciaires. L’opposition et de nombreux juristes dénoncent un coup de force ; des manifestants se mobilisent.

Liberté de la presse

Une partie des atteintes à l’état de droit menées par le nouveau gouvernement conservateur concerne l’indépendance de la presse. Le 31 décembre 2015, le Parlement polonais adopte une loi qui confie au gouvernement le pouvoir de nomination et de révocation des dirigeants de la télévision et de la radio publiques.

Le 16 décembre 2016, des centaines de personnes bloquent le Parlement polonais, empêchant la Première ministre Beata Szydło et le chef du PiS Jarosław Kaczyński d’en sortir. Les manifestants protestent notamment contre le nouveau règlement du Parlement qui limite l’accès de la presse aux travaux des parlementaires et se révoltent contre ce qu’ils estiment être une dérive autoritaire. Les 17 et 18 décembre 2016, des milliers de personnes manifestent devant le Parlement, le Tribunal constitutionnel et le palais présidentiel de Pologne.

Le 28 décembre 2015 est promulguée la loi qui réforme le fonctionnement du Tribunal constitutionnel, introduisant le vote à la majorité qualifiée pour les décisions les plus importantes.

Face à ces réformes controversées en matière de contrôle des médias et de justice, la Commission présidée par Jean-Claude Juncker déclenche un mécanisme inédit le 13 janvier 2016 : c’est la procédure de “sauvegarde de l’état de droit”, qui vise à instaurer un dialogue avec l’Etat concerné. Ce mécanisme comprend trois étapes : évaluation suivie d’un avis, recommandations pour résoudre les problèmes pointés du doigt puis suivi de leur mise en œuvre dans l’Etat membre concerné. C’est donc une procédure intermédiaire préventive qu’utilise la Commission en privilégiant le dialogue avec les gouvernements avant de passer par la procédure de l’article 7 du Traité sur l’Union Européenne (TUE).

La crise relative au Tribunal constitutionnel n’étant pas résolue, la Commission juge nécessaire le 1er juin 2016 d’adopter un avis sur l’état de droit en Pologne. Cette dernière est invitée à y répondre par des observations, avant que la Commission ne décide ou non d’enclencher l’article 7 du TUE. Celui-ci peut aboutir, si et seulement si les autres Etats l’approuvent à l’unanimité, à la suspension des droits de vote de la Pologne au sein du Conseil.

Le 20 décembre 2016, le président Andrzej Duda nomme Julia Przyłębska à la présidence du Tribunal constitutionnel, l’une de ses proches que l’ancien président de l’institution refusait de faire siéger parmi les 5 juges désignés en novembre 2015 par la majorité conservatrice. La Commission européenne estime alors qu’il y a “un problème persistant d’état de droit” en Pologne.

Le 15 juillet 2017, le Parlement polonais adopte deux projets de loi controversés sur le pouvoir judiciaire : l’une a pour but d’attribuer au ministre de la Justice le pouvoir de nommer et de révoquer les présidents de tribunaux, l’autre doit mettre un terme au mandat des membres du Conseil national de la magistrature pour confier au Parlement (dominé par le PiS) le pouvoir de nommer ses remplaçants.

Le 19 juillet 2017, la Commission européenne ordonne à Varsovie de suspendre ces nouvelles réformes judiciaires, sous peine de déclencher l’article 7 du traité sur l’UE.

Le 29 juillet 2017, la Commission engage une procédure d’infraction concernant la loi polonaise sur les juridictions de droit commun, en raison des dispositions de cette législation sur le départ anticipé des juges à la retraite et leurs conséquences sur l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Varsovie rejette les demandes de l’exécutif européen et le Parlement polonais adopte définitivement les réformes judiciaires le 8 décembre 2017.

Le 20 décembre 2017, la Commission européenne demande au Conseil européen d’enclencher l’article 7 du traité sur l’UE à l’encontre de la Pologne. Cette étape, à l’issue de laquelle les 26 autres Etats membres doivent constater à l’unanimité un “risque clair d’une violation grave de l’état de droit en Pologne” pour que le pays soit démis de ses droits de vote au Conseil, n’avait encore jamais été franchie. Cette “option nucléaire” comporte toutefois une faiblesse de taille : l’opposition d’un seul autre pays, ici la Hongrie qui soutient la Pologne, suffit à la rendre inopérante.

Le 2 juillet 2018, la Commission européenne engage une procédure d’infraction contre Varsovie en raison d’une nouvelle loi réformant la Cour suprême, qui doit entrer en application le lendemain. Celle-ci prévoit la mise à la retraite des juges âgés de plus de 65 ans, ce qui entraînerait la mise à la retraite d’un tiers des 72 juges de la Cour.

Les deux procédures d’infraction du 29 juillet 2017 et du 2 juillet 2018 conduisent le gouvernement polonais à supprimer les dispositions contestées.

Ensuite, le 3 avril 2019, l’exécutif européen lance une nouvelle procédure d’infraction à l’encontre de Varsovie à cause de son régime disciplinaire qui porte atteinte à l’indépendance des juges polonais et qui n’apporte pas les garanties nécessaires pour mettre les juges à l’abri d’un contrôle politique.

Le 29 avril 2020, la Commission européenne lance une nouvelle procédure d’infraction à l’encontre de la Pologne. C’est la quatrième fois que l’exécutif européen s’oppose aux décisions du gouvernement mené par le parti “Droit et justice”. En cause cette fois, une nouvelle loi du pouvoir en place (entrée en vigueur en février 2020) qui permet au gouvernement de sanctionner les juges qui critiqueraient les réformes de la justice.

Depuis 2021 : libertés individuelles et primauté du droit en Pologne

  • Atteintes aux droits LGBT

Le 15 juillet 2021, la Commission européenne ouvre des procédures d’infraction contre la Hongrie et la Pologne pour “atteintes au valeurs fondamentales de l’Union européenne”. En cause en Pologne : des résolutions anti-LGBT appliquées par certaines collectivités polonaises qui ont décrété des “zones sans idéologie LGBT”. Les pays ont deux mois pour répondre à la mise en demeure de la Commission, qui se dit “profondément préoccupée” par la situation.

Le 3 septembre 2021, la Commission européenne constate de nouveau des discriminations injustifiées contre les personnes LGBT en Pologne et demande à cinq régions polonaises de corriger leurs politiques hostiles aux communautés LGBT, sous peine qu’elles soient privées de fonds de cohésion. Sous cette pression de l’UE, moins d’un mois après la menace de l’exécutif européen, quatre régions polonaises font marche arrière sur les chartes homophobes qu’elles avaient adoptées et y renoncent.

  • Pologne : de la réforme judiciaire à la remise en cause de la primauté du droit européen

Le 14 juillet 2021, le Tribunal constitutionnel polonais déclare contraire à sa constitution une ordonnance rendue le jour même par la CJUE, qui exige la suspension des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise. L’institution européenne estime que cette instance ne présente pas de garantie d’indépendance et n’est pas à l’abri d’influences des pouvoirs exécutif et législatif.

Le 7 septembre 2021, la Commission demande à la CJUE d’imposer des sanctions financières à la Pologne sous forme d’astreintes quotidiennes, tant que l’Etat membre n’aura pas suspendu les activités de la chambre disciplinaire de sa Cour suprême (jugée pas assez indépendante).

Le 7 octobre 2021, le Tribunal constitutionnel polonais (dont la composition est majoritairement représentée par le PiS) juge que l’interprétation des traités européens par la CJUE s’avère parfois incompatible avec la Constitution de la République de Pologne. Une décision qui revient à affirmer que le droit polonais prime le droit de l’Union européenne. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki avait précisément demandé au tribunal de se prononcer sur la légitimité des institutions de l’UE à juger ses réformes du système judiciaire polonais.

Le 19 octobre 2021, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dénonce le jugement du Tribunal constitutionnel polonais, qui “remet en cause les fondations de l’Union européenne” selon elle.

Quelques jours plus tard, le 27 octobre 2021, la Cour de justice de l’UE condamne Varsovie à un million d’euros d’astreinte quotidienne tant qu’elle ne se sera pas conformée à la décision de la Commission lui demandant, en juillet, de suspendre le fonctionnement de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise.

A la suite des arrêts du 7 octobre 2021, la Commission européenne lance le 22 décembre 2021 une procédure d’infraction à l’encontre de la Pologne. 

La Pologne n’ayant par ailleurs toujours pas mis fin aux activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, l’exécutif européen annonce le 20 janvier 2022 avoir réclamé au gouvernement polonais le paiement de 69 millions d’euros de pénalités.

En 2022, la Pologne n’ayant pas réagi, la Commission européenne a mis en œuvre sa menace de prélèvement sur la part du budget européen qui devaient en principe lui être versée, afin de régler cette astreinte. Début mai, le pays était ainsi déjà privé de 160 millions d’euros de fonds européens.

Le 13 janvier 2023, les députés polonais adoptent un texte réformant la chambre disciplinaire de la Cour suprême, condition imposée par l’Union européenne. Le texte doit encore être adopté par le Sénat. 

Le 21 avril 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé de réduire cette astreinte à 500 000 euros par jour. Le juge a estimé que certaines mesures prises par le gouvernement polonais depuis sa condamnation à payer l’astreinte justifiaient cette diminution. La CJUE doit rendre son arrêt sur le fond de l’affaire au mois de juin 2023.

Depuis 2020 : conditionnalité des fonds européens et plan de relance européen

En parallèle, l’Union européenne et la Pologne se sont affrontés sur des questions d’ordre budgétaire.

Le 16 novembre 2020, Budapest et Varsovie bloquent ensemble le budget pluriannuel de l’Union européenne et le plan de relance approuvé en juillet de la même année pour faire face à la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19. La création d’un mécanisme permettant de priver de fonds européens les Etats membres accusés de violer les principes de l’état de droit a poussé les deux pays à s’opposer à cet accord.

Trois semaines après avoir mis leur véto au plan de relance européen et au budget communautaire, les dirigeants polonais et hongrois affirment les 8 et 9 décembre 2020 qu’ils sont prêts à le lever après avoir obtenu des garanties interprétatives suffisantes et un compromis sur la mise en œuvre de ce mécanisme de conditionnalité à l’état de droit.

Le règlement relatif au mécanisme de conditionnalité est officiellement adopté le 16 décembre 2020.

Le 5 avril 2022, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen annonce devant le Parlement européen que l’organe exécutif européen va prochainement lancer la première activation de ce mécanisme de conditionnalité à l’état de droit contre la Hongrie. Cette procédure est formellement ouverte le 27 avril par le commissaire européen au Budget Johannes Hahn.

La Commission européenne s’est montrée plus conciliante envers la Pologne. Elle a relevé de “nets progrès” dans ses derniers contacts avec l’Etat. Ursula von der Leyen a également déclaré que, sur la réforme du régime disciplinaire des juges et la réintégration des magistrats révoqué, “nous sommes proches” du démantèlement des réformes controversées.

Le 1er juin 2022, Ursula von der Leyen annonce que la Commission européenne donne son feu vert au plan de relance polonais de 35,4 milliards d’euros. Celui-ci demeurait bloqué depuis plus d’un an à cause de manquements en matière d’indépendance de la justice. Deux semaines plus tard, le 17 juin, les Etats membres l’adoptaient également.

Au 16 mai 2023, la Pologne n’a pas encore touché le moindre euro du plan de relance européen. Le texte voté par les députés polonais le 13 janvier 2023 doit être une première étape vers le déblocage des fonds. Interrogé sur le sujet à l’époque, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait déclaré que la loi “doit encore passer la seconde chambre, avant que l’on ne puisse analyser le texte final”.

L’invasion de l’Ukraine réchauffe les relations entre la Pologne et l’Union européenne

Depuis février 2022 et le début de l’invasion russe, la Pologne a manifesté un soutien fort à son voisin ukrainien. Varsovie a ainsi accueilli près d’1,6 million de réfugiés fuyant le pays. Et le pays se montre également partisan de sanctions plus dures contre Moscou, quitte à froisser son partenaire hongrois. 

Une situation qui a joué en faveur du pays, sans doute à l’origine du déblocage du plan de relance par exemple. En janvier 2023, le Premier ministre Mateusz Morawiecki déclarait de son côté : “Il faut mettre fin au conflit à l’Ouest, le véritable ennemi est à l’Est”.

Votre avis compte : avez-vous trouvé ce que vous cherchiez dans cet article ?

Pour approfondir

  • Fonctionnement de l'UE

  • Droit de l'Union européenne

  • Budget

  • Droits fondamentaux et du citoyen

À la une sur Touteleurope.eu

Flèche

Participez au débat et laissez un commentaire

Commentaires sur Etat de droit : chronologie du conflit entre l’Union européenne et la Pologne

Lire la charte de modération

Commenter l’article

Votre commentaire est vide

Votre nom est invalide