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[Interview] Didier Reynders : “Sur l’état de droit, nous préférons le dialogue aux sanctions”

Commissaire européen à la Justice depuis 2019, Didier Reynders souhaite “répandre une culture de l’état de droit” en Europe. Alors que la Commission européenne est engagée dans un bras de fer avec la Pologne et la Hongrie à propos de l’indépendance de la justice, des libertés individuelles et du pluralisme des médias, l’ancien ministre belge revient sur les sanctions politiques et financières que pourrait activer l’UE.

Didier Reynders est aussi en charge de la protection des consommateurs, d'approfondir la relation avec le Conseil de l'Europe et de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données
Didier Reynders est aussi en charge de la protection des consommateurs, d’approfondir la relation avec le Conseil de l’Europe et de la mise en œuvre du règlement général sur la protection des données - Crédits : Christophe Licoppe / Commission européenne

A l’occasion de sa visite à Paris les 6 et 7 décembre, le commissaire européen à la Justice a présenté le second rapport de la Commission européenne sur l’état de droit à l’Assemblée nationale. Après une conférence devant les étudiants de Sciences Po à ce sujet, nous avons échangé avec Didier Reynders sur la remise en cause de la primauté du droit européen et les atteintes à l’état de droit, notamment en Pologne.

Pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle toujours pas validé les plans de relance de la Hongrie et la Pologne ?

Parce que nous avons toujours un débat sur les réformes qui sont demandées à la Hongrie et la Pologne. En Hongrie, les discussions concernent la lutte contre la corruption, à la suite de remarques de l’Office européen de lutte anti-fraude (Olaf).

En Pologne, le problème vient d’une réforme de la justice, en particulier la mise en œuvre des décisions de la Cour de justice européenne (CJUE). Il y a trois sujets en question : la suppression des chambres disciplinaires concernant les juges polonais, la modification de la procédure disciplinaire pour la rendre conforme au droit européen et la réinstallation des juges qui ont été sanctionnés. Ce débat continue. Tant que nous n’aurons pas d’engagements très clairs, la Commission ne proposera pas au Conseil de l’Union européenne de valider les plans hongrois et polonais.

La Pologne et la Hongrie ont demandé à la Cour de justice de l’UE de retoquer le mécanisme qui conditionne le versement de fonds européens au respect de l’état de droit. Pensez-vous qu’une telle requête puisse être acceptée par les juges européens ?

Ce recours bénéficie au moins d’un aspect positif, c’est qu’il semblerait que la Pologne et la Hongrie aient confiance dans la CJUE. Mon côté optimiste de nature me pousse à croire en cette démarche.

L’avocat général de la CJUE a déjà proposé de rejeter la requête de la Hongrie et de la Pologne. La Cour devrait aller dans le même sens parce que nous avons une base juridique très solide, mais nous allons attendre cette décision. Nous la respecterons, quelle qu’elle soit. Je suis assez confiant. Si la Cour va dans le sens de l’avocat général, nous pourrons alors poursuivre cette action. Nous avons déjà envoyé des lettres administratives à ces deux pays pour demander des clarifications. Après la décision de la CJUE, nous pourrions passer, si nécessaire, à l’étape suivante, avec une vraie notification et un déclenchement de la procédure.

Qui pourrait aller jusqu’à…

Jusqu’à la saisine du Conseil, lequel peut décider à la majorité qualifiée de suspendre ou d’arrêter tout ou partie des financements européens. La Commission a toujours deux choix : aller devant la CJUE quand il y a vraiment une violation du droit européen que l’on veut stopper et arrêter, ou aller devant le Conseil, pour des sanctions politiques. C’est la procédure de l’article 7 qui permet la suspension du droit de vote au Conseil.

Si c’est la voie des sanctions financières avec le mécanisme de conditionnalité qui est choisie, la Commission sait que ce sont des juges qui vont se prononcer. Concernant l’article 7, ce sont les Etats membres qui ont la main. Obtenir la majorité qualifiée sur la conditionnalité demande un dossier solide et robuste mais qui tient compte aussi de ce qu’a dit le Conseil européen. Ce dernier nous a invité à attendre la décision de la Cour, ce que nous faisons.

La Pologne a déjà été condamnée plusieurs fois par la CJUE à régler des amendes à propos d’une mine de charbon et du respect de l’état de droit, refusant de les payer. La Commission européenne compte-t-elle saisir cet argent sur les fonds européens à destination de ce pays ?

En effet, jusqu’à présent, il n’y a pas de paiement de la part de Varsovie. Des discussions se tiennent entre la Pologne et la République tchèque à propos de la mine de Turów, qui pose un problème à la frontière entre les deux pays. Si un accord devait intervenir, cela changerait la donne. L’objectif n’est pas la sanction, mais que la Pologne se mette en conformité avec les décisions de la Cour ou trouve un compromis avec la République tchèque. Quoi qu’il arrive, si la Pologne ne se met pas en ordre ou ne paye pas ses amendes, il reviendra à la Commission européenne d’exécuter la décision de la CJUE, c’est-à-dire de récupérer les sommes dues, notamment sur les paiements que l’Union européenne lui verse régulièrement dans toute une série de politiques. Cela se fait à la fin d’une procédure parce que nous voulons d’abord laisser une réelle chance, soit à un respect des décisions de la Cour sur le fond, soit à un paiement. Mais en bout de course, nous aurons la capacité de compenser l’absence de règlement des amendes dues.

La Commission a d’ailleurs clos une procédure d’infraction contre la Pologne récemment. Est-ce le signe d’un apaisement ?

Voilà un exemple dans lequel on a constaté une évolution positive en Pologne. Varsovie a changé son droit et a mis sa loi sur la retraite des magistrats en conformité avec ce qui était demandé. Dans ce cas, la procédure s’arrête. Nous préférons cette issue que d’aller vers des sanctions.

Le droit européen a déjà été remis en cause à plusieurs reprises, comme en Allemagne lorsque la Cour constitutionnelle avait questionné en 2020 le rachat de dettes publiques par la Banque centrale européenne. Y a-t-il une différence entre le cas polonais et le cas allemand ?

C’est en effet différent. L’Allemagne nous a répondu en s’engageant sur la primauté du droit européen. Surtout, la question posée n’a jamais été sur la politique monétaire en général, c’était la politique de la Banque centrale européenne qui était mise en cause. La Cour constitutionnelle allemande n’est pas allée jusqu’au bout en demandant un changement dans cette politique. Constatant à la fois les engagements du gouvernement allemand sur le rôle de la CJUE et l’absence d’effets concrets de la décision de la Cour allemande, nous avons aussi décidé de fermer ce dossier la semaine dernière.

Cela ne nous empêchera pas de réagir chaque fois que la primauté du droit européen sera remise en cause. C’est le cas d’ailleurs en ce moment contre une décision de la Cour constitutionnelle roumaine qui va dans le même sens.

Il y a une spécificité polonaise : nous ne contestons pas seulement une décision juridique, nous contestons aussi l’indépendance du Tribunal constitutionnel lui-même. C’est ce qui a déjà été souligné dans la procédure de l’article 7 depuis 2017.

Vous avez rencontré le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune aujourd’hui. Avez-vous parlé de cette question de l’état de droit ?

Oui, parce que Clément Beaune est très engagé sur le sujet depuis qu’il siège au Conseil Affaires générales. Je sais que la France va mettre ce thème à l’ordre du jour pendant la présidence française du Conseil de l’UE (PFUE), sous différentes formes. Je constate que depuis la présidence allemande (juillet-décembre 2020) et la publication de notre premier rapport sur l’état de droit, nous avons régulièrement ces questions des libertés, des droits et de l’indépendance de la justice qui reviennent dans le débat public. C’est une bonne chose.

Je pense que le président de la République va annoncer cette semaine que la protection de l’état de droit sera une priorité de la PFUE. C’est important : le débat a lieu à la Commission européenne, au Parlement européen, à la CJUE, mais il faut qu’il ait de plus en plus lieu entre les Etats membres, dans les Conseils. Un dialogue doit aussi avoir lieu dans chaque pays, en incluant les parlements nationaux et la société civile.

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