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Hausse des prix de l’énergie : quelles solutions européennes ?

Face à l’explosion des prix de l’énergie, plusieurs pays dont la France ont appelé l’Union européenne à réformer le fonctionnement de son marché de l’électricité. L’économiste Jacques Percebois, spécialiste des questions énergétiques, nous éclaire sur les raisons de cette flambée des prix et les pistes européennes envisagées pour y répondre.

Centrale électrique
Centrale électrique alimentée au charbon et au gaz près de Werdohl, en Allemagne, en 2008. Crédits : Wikimedia Commons CC BY-SA 3.0

En un an, le prix du gaz a été multiplié par six en Europe. L’électricité et, dans une moindre mesure le pétrole, ont connu des évolutions similaires.

Cette hausse des prix de l’énergie, prévue jusqu’au printemps 2022, a poussé la plupart des pays de l’Union européenne à prendre des mesures pour alléger la facture des ménages et des entreprises. Et la Commission européenne a, le 13 octobre, rappelé l’ensemble des outils dont les gouvernements disposent, des réductions fiscales à la suspension des coupures en cas d’impayés.

Les mesures européennes, elles, seront discutées lors du sommet des 21 et 22 octobre. Entre découplage des prix, augmentation des réserves stratégiques de gaz et préférence pour le marché, les pistes envisagées par les 27 Etats membres sont larges et parfois contradictoires.

Jacques Percebois est professeur émérite d’économie à l’université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l’énergie (CREDEN).

Touteleurope.eu : La hausse des prix de l’énergie constatée depuis plusieurs mois est-elle spécifique à l’Europe ?

Jacques Percebois : Cette hausse s’observe partout, en Europe mais aussi en Asie et aux États-Unis. Toutefois, l’Europe dépend particulièrement des importations de gaz, notamment de Russie.

Les stocks de gaz européens devraient être pleins à cette période de l’année, ce qui n’est pas le cas. L’hiver dernier a été long et plutôt froid, et la demande de gaz a continué à être forte avec la reprise économique post-Covid. L’arrivée de l’hiver 2021-2022 devrait de nouveau faire monter la demande de gaz et donc les prix.

Une autre raison est liée à  l’augmentation de la part des énergies renouvelables en Europe, notamment l’énergie éolienne produite en Europe du Nord. Or le mois de septembre a été marqué par des vents très faibles, donc l’électricité éolienne a pu manquer.

Il faut cependant relativiser. Cette hausse est certes très importante en comparaison de l’année dernière, où les prix étaient très bas en raison de la pandémie, mais les prix de 2018 et des années précédentes étaient déjà relativement élevés.

A plus long terme, la transition énergétique passera inévitablement par une augmentation du prix des énergies fossiles. Ne serait-ce qu’en raison de l’augmentation du prix de la tonne de carbone sur le marché européen. En quelques mois, la tonne de CO2 est passée de 25 à 60 €. Et même l’électricité, produite en partie avec du gaz et du charbon, nécessite d’acheter des quotas de CO2.

Mais cette hausse des prix des énergies fossiles est justement l’objectif du marché carbone : ces prix élevés doivent inciter à faire des investissements pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et décourager le gaspillage énergétique. Evidemment, certains ménages subissent cette augmentation plus que d’autres, d’où l’importance de mesures en faveur des plus précaires.

Cette hausse est-elle identique dans tous les pays européens ?

Tout dépend de l’énergie dont on parle. Pour le gaz, la hausse du prix de la matière première est la même partout car le marché est désormais mondial et relativement homogène. Le gaz liquéfié (GNL) peut en effet facilement être transporté d’un pays à l’autre en bateau (méthaniers).

L’électricité, en revanche, obéit à des règles très différentes. Son prix final dépend à la fois des taxes mais aussi du mix électrique, c’est-à-dire de la manière dont l’électricité est produite dans chaque pays. En Allemagne, le kilowattheure (kWh) coûtait début octobre 0,30 euros, soit 8 centimes de plus que la moyenne européenne. Pour sortir à la fois du nucléaire et du charbon, le pays mise beaucoup sur les énergies renouvelables et a choisi de faire payer le surcoût de ces énergies au consommateur final.

En France en revanche, le tarif réglementé (TRV) était d’environ 0,19 euros le kilowattheure. Fixé par les pouvoirs publics, ce TRV concerne trois quarts des ménages et prend en compte les coûts de production de l’électricité, les coûts d’entretien du réseau et les taxes, chacun représentant environ un tiers du prix final. Le coût des réseaux n’est pas vraiment négociable. Les taxes, elles, peuvent être modifiées par l’Etat. Mais c’est surtout le coût de production de l’électricité qui joue sur l’évolution du tarif final. Or cette production dépend, en France, à 70 % du coût du nucléaire qui reste stable, et pour 6 à 7 % du prix du gaz sur le marché de gros. Mais la logique du marché de gros fait que le prix de l’électricité dépend beaucoup du prix du gaz. En effet, plus de 20 % de l’électricité européenne sont issus de centrales à gaz, notamment allemandes. Et l’envolée du prix du gaz suffit à faire monter le prix final de l’électricité.

Au niveau de l’Union européenne, environ 40 % de l’électricité consommée est issue d’énergies renouvelables, 25 % de l’énergie nucléaire, 20 % du gaz et 15 % du charbon.

Pourquoi, puisque le gaz ne représente qu’une très faible part de la production d’électricité française ?

Beaucoup de gens le comprennent mal, mais c’est la logique d’un marché, quel qu’il soit. Le prix d’un bien dépend de la dernière unité dont on a besoin pour le produire, jusqu’à ce que l’offre soit suffisante pour satisfaire la demande.

Un producteur de réfrigérateurs peut, lui, pratiquer des prix différents de ceux de ses concurrents, en expliquant que son produit est meilleur. L’électricité, elle, est la même partout : les producteurs la vendent donc tous au même prix. Et ce prix dépend du coût de la dernière unité de production disponible (unité marginale), le plus souvent une centrale à gaz. Si son prix de revient est jugé trop peu rentable, cette centrale à gaz peut décider de suspendre sa production jusqu’à ce que les prix montent. C’est la logique du coût marginal.

Enfin, le prix du gaz sur le marché de gros est, en France, le même que dans le reste de l’Europe car les réseaux de gaz sont interconnectés d’un pays à l’autre. Cette convergence des prix est justement un objectif européen, et elle a effectivement lieu sur les prix de gros.

En revanche, les prix de détail ne convergent pas. Les taxes et le coût des réseaux restent différents selon les pays. C’est l’un des principaux problèmes en Europe : on a fait converger les prix de gros mais pas les mix électriques, chaque pays restant maître de sa structure de production. Il y a donc une forte contradiction interne à vouloir faire converger les prix en aval avec des schémas de production, donc des coûts, très différents d’un pays à l’autre. 

Le gouvernement français appelle à découpler le prix de l’électricité de celui du gaz. Est-ce envisageable ?

On veut faire le marché unique en Europe, libéraliser, ouvrir les frontières pour commercer davantage, profiter des complémentarités entre pays et faire converger les prix… Mais dès qu’il y a un problème, on demande d’arrêter les interconnexions et de se replier sur soi. Les pays libéraux comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, eux, rappellent que si l’on veut faire confiance au marché, il faut en respecter les règles.

Il est vrai que la production allemande impose certaines contraintes. Lorsque les centrales à gaz allemandes font face à une hausse des coûts, une partie d’entre eux se répercute sur les prix de l’électricité. A l’inverse, lorsque l’Allemagne écoule son surplus d’énergies renouvelables dans les pays voisins, cela fait baisser les prix. C’était encore le cas début août avec des prix négatifs.

Mais je vois mal comment on pourrait découpler ces prix, sauf en fixant les prix au niveau étatique ou supranational. Or les expériences historiques comme celle de l’Union soviétique ont montré les effets pervers d’un tel mécanisme : si les gouvernements se mettaient à bloquer l’augmentation des prix de gros, la production d’électricité serait insuffisante car les entreprises refuseraient de produire à perte. Ou alors il faudrait que l’Etat indemnise les producteurs pour compenser la différence entre le coût de production et le prix de vente. Effectivement, la France fonctionnait ainsi avant la libéralisation, lorsque le ministère de l’Economie fixait les prix dans un but de planification.

La présidente de la Commission européenne elle-même a appelé à “examiner la possibilité de découpler le marché”, notamment grâce aux énergies renouvelables…

La présidente de la Commission pense, comme l’Allemagne, que les énergies renouvelables sont la planche de salut. Mais encore une fois, les renouvelables n’auraient pas permis de régler la situation en septembre en l’absence de vent.

Le sommet européen des 21-22 octobre devrait discuter d’une autre piste : l’augmentation des réserves de gaz. Qu’en pensez-vous ?

Du fait de notre participation à l’Otan, nous avons déjà des réserves stratégiques de pétrole afin que les armées puissent se réapprovisionner dans de bonnes conditions.

Concernant le gaz en revanche, les réserves sont différentes d’un pays à l’autre. Certains pays européens ont peu de stocks, tandis que d’autres comme la France disposent de trois mois de consommation d’avance pour préparer l’hiver.

Cette crise a fait prendre conscience de la nécessité d’avoir, au niveau européen, des réserves stratégiques de gaz. Le prochain Conseil européen devrait inciter à augmenter ces stocks, ce qui me semble une bonne idée. Elle risque toutefois de coûter cher, car le stockage doit se faire en terre, dans des milieux particuliers. Se posent aussi des questions d’arbitrage : tout bon gestionnaire a intérêt à acheter le moins possible lorsque les prix sont élevés, donc à limiter les stocks en attendant que le prix diminue.

L’Europe manque-t-elle de capacités de production ?

Nous allons manquer de plus en plus de capacités de production pilotables en électricité. Pilotables, c’est-à-dire qui peuvent être appelées pour répondre à une augmentation de la demande. C’est le cas des centrales nucléaires, à gaz et à charbon mais pas des sources d’énergie renouvelable.

Beaucoup de pays européens comme l’Allemagne, la Belgique et même la France, mettent ces centrales pilotables à l’arrêt, or il faut en conserver.

Cette hausse des prix permet-elle à la France de vendre son électricité plus cher en Europe ?

La France est le deuxième exportateur mondial d’électricité derrière le Canada, et un pays exportateur net d’électricité en Europe. La hausse du prix de l’électricité pourrait être rentable pour la France si elle avait lieu aux heures d’exportation. Mais traditionnellement, elle se produit plutôt pendant les heures creuses, où les prix sont bas, tandis que ses importations, principalement d’Allemagne, ont lieu pendant les heures de pointe.

Certes, le prix de l’électricité est actuellement élevé à toute heure, ce dont profitent certains fournisseurs français. Mais il s’agit aussi pour eux de reconstituer des marges afin d’investir.

En France, les consommateurs n’ayant pas opté pour le tarif réglementé vont-ils également subir une augmentation des prix ?

Absolument. 23 millions de ménages français sur 33 sont aujourd’hui au tarif réglementé (TRV). Les autres, ainsi que les commerçants et les industriels, ont le choix entre trois solutions : un tarif indexé sur le TRV, que proposent la plupart des concurrents d’EDF (avec une décote) ; une tarification dynamique, plus rare, avec un prix indexé sur le marché de gros – ce que la Commission européenne encourageait, mais on voit aujourd’hui que cette option est très risquée pour les consommateurs ; enfin, une offre de marché à prix fixe pendant une durée donnée, de un à trois ans généralement. Ces derniers consommateurs sont aujourd’hui dans la meilleure situation, car ils ne sont pas impactés par la hausse des prix pour l’instant. Leurs fournisseurs, en revanche, doivent compenser cette différence, mais la plupart sont couverts sur les marchés financiers.

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