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Gouvernance économique européenne : “Il faut préférer l’incitation à la punition”

Fin des sanctions automatiques pour dette excessive, sortie de la logique “comptable” et soutien plus affirmé à l’investissement… Le Comité économique et social européen (CESE) appelle à des règles budgétaires communes offrant plus de souplesse aux Vingt-Sept. Pour privilégier “l“incitation” et non la “punition”, défend Luca Jahier, ancien président du CESE et co-rapporteur d’un avis de l’organe consultatif sur le sujet.

- Crédits : Frédéric Sierakowski / Comité économique et social européen
Luca Jahier a été président du Comité économique et social européen (CESE) de 2018 à 2020 - Crédits : Frédéric Sierakowski / CESE

Des règles strictes mais bien souvent enfreintes. Depuis le traité de Maastricht (1993), les Etats membres de l’Union européenne sont tenus de ne pas avoir une dette dépassant 60 % de leur PIB et un déficit public supérieur à 3 %. Mais jamais ces seuils n’ont été respectés par tous les pays en même temps, et les dérogations sont légion. Depuis 2020, ces obligations sont par ailleurs suspendues, d’abord en raison des dépenses exceptionnelles liées au Covid-19 puis des conséquences de la guerre en Ukraine. En novembre 2022, la Commission européenne a proposé une réforme des règles budgétaires, toujours en discussion. 

Le Comité économique et social européen (CESE), organe consultatif représentant la société civile des Vingt-Sept, compte faire entendre sa voix dans le débat. Le 20 septembre dernier, celui-ci a adopté un avis intitulé “De nouvelles règles de gouvernance économique parées pour l’avenir”, dans lequel plus de souplesse dans l’application des règles et une meilleure prise en compte des situations nationales sont notamment demandées. Luca Jahier, co-rapporteur de l’avis et ancien président du CESE, nous explique la position défendue par les membres de l’instance. 

Toute l’Europe : Dans votre avis, vous demandez de supprimer l’obligation faite aux Etats membres dépassant 3 % de déficit public de le réduire de 0,5 point de PIB chaque année. Quelle nouvelle règle pourrait-elle la remplacer ?

Luca Jahier : Nous avons pris acte de l’inefficacité du modèle actuel, basé sur le principe “une même règle pour tous” et reposant sur un système de sanctions. Il n’a pas permis de maintenir un niveau de dette soutenable sur le long terme et d’assurer le contrôle du déficit.

Au lieu d’une application uniforme et automatique des règles en matière de dette et de déficit, que nous ne pouvons difficilement abolir car elles sont inscrites dans les traités, nous proposons la mise en place de stratégies nationales de soutenabilité de la dette. Celles-ci doivent être flexibles, dessinées pays par pays et sur la base d’une responsabilité nationale. Bien évidemment, toujours dans un cadre de règles communes.

Next Generation EU, le plan de relance européen [750 milliards d’euros pour permettre aux Vingt-Sept de faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 NDLR], constitue un modèle à cet égard. Tout le monde l’oublie : il ne s’agit pas que d’argent mais aussi de réformes. Les Etats membres se sont engagés à en réaliser en échange des fonds. En deux ans, un grand nombre de réformes ont été effectuées. Cette dynamique de soutien à la croissance nous apparaît être la voie à suivre.

Concernant la dette, vous recommandez la suppression des sanctions automatiques en cas de dépassement du ratio de 60 % de PIB. Comment alors limiter le niveau d’endettement des Etats membres ?

Nous ne sommes pas contre les sanctions, c’est leur automaticité que nous remettons en cause. Les sanctions doivent s’inscrire dans un dialogue et une analyse de la situation. Un peu comme pour le cadre appliqué en matière de respect de l’état de droit, qui est beaucoup moins défini que les règles fiscales et économiques.

Les situations nationales sont très différentes d’un Etat membre à l’autre. Ce qui doit être pris en compte lors de l’ouverture de procédures de déficit excessif. Lors d’un jugement au tribunal, des circonstances atténuantes peuvent réduire la peine. C’est la même chose que nous demandons concernant la gouvernance économique, avec une analyse approfondie des raisons d’une dette ou d’un déficit excessif. Et non plus une logique d’automaticité ne considérant pas les conditions de départ. 

Quelle logique devrait alors prévaloir ?

Next Generation EU nous a enseigné que les incitations sont bien plus efficaces que les sanctions. Il faudrait travailler à la mise en place de primes pour les Etats membres. Peut-être lier l’accès à certains programmes, comme le futur fonds souverain, à la capacité des pays à tenir parole vis-à-vis des engagements qu’ils ont pris. Encore une fois, cela ne veut pas dire abolir les sanctions. Mais changer de logique en préférant l’incitation à la punition.

Il faut davantage se concentrer sur la croissance, liée à une dynamique de réformes et d’investissements. Des mécanismes récompensant les Etats qui réforment et investissent doivent donc être utilisés. Plutôt que de leur dire “vous n’avez pas respecté les règles comptables” et les sanctionner. Car toute réforme a un coût, avant d’avoir un impact positif sur les finances d’un pays. En appliquant uniformément les règles de gouvernance économique, nous risquons d’aboutir à des résultats contre-productifs pour la croissance.

Vous appelez à traiter les investissements publics en matière de transition écologique et de défense séparément dans l’évaluation des déficits excessifs. Comment motivez-vous cette préconisation ?

Le volume d’investissement nécessaire dans ces domaines est énorme. Les Etats membres devront s’endetter davantage pour les réaliser. C’est pourquoi, l’évaluation des dépenses des pays de l’UE doit tenir compte de la nature des investissements, des réformes et de la dette. De nouveaux standards et paramètres, les plus objectifs et solides possibles, doivent être pensés afin d’évaluer au mieux les situations nationales.

L’avis prend position en faveur d’une capacité fiscale de l’UE d’ici à 2026 pour soutenir les priorités communes et les Etats membres face aux coûts des transitions écologique et numérique. Quel serait son rôle ?

Le niveau de dépenses à effectuer est tel qu’en laisser entièrement la charge aux pays européens déstabiliserait largement le marché intérieur, en provoquant une très forte augmentation des dettes souveraines. A l’image de ce qui a été fait avec Next Generation EU, nous devons trouver des mécanismes qui vont au-delà de ce que permettent les fonds structurels pour financer des biens communs européens.

Cette capacité fiscale nous aidera à mobiliser les capitaux nécessaires, dont une grande partie ne sera pas publique mais privée. Et donc d’orienter des investissements privés vers les priorités européennes et ainsi créer davantage d’emplois et de richesse. 

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