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Statut de la SNCF : haro français sur Bruxelles

Depuis quelques jours, la polémique enfle suite à la publication par Les Echos d’un article annonçant l’intention de Bruxelles de remettre en question le statut de la SNCF. Un dossier très sensible en France qui n’aurait pas dû se retrouver propulsé sur le devant de la scène.

On n’en parlait pas du tout, et depuis cet article, tout s’emballe. Côté médias, et notamment sur Internet, les propos se durcissent au fur et à mesure que le temps passe. La Commission “veut changer le statut de la SNCF” , lit-on, pour la “transformer en société anonyme” ; c’est un “bras de fer” , une “longue bataille juridique” qui s’annonce. Loin du dossier technique de droit de la concurrence, c’est une véritable combat qui s’invente heure après heure, dont l’apothéose est atteinte dans les colonnes du Monde (31/05) : “Après La Poste, la Commission européenne se verrait bien ajouter à son tableau de chasse la SNCF, autre figure emblématique du service public à la française” …

Ce sujet a déboulé du jour au lendemain dans la presse, suite à la fuite d’une lettre envoyée il y a un mois et demi par le gouvernement français à la Commission européenne. Celle-ci faisait réponse à un courrier de la Commission demandant à l’Etat français de clarifier sa position sur le statut de la SNCF, dont certains éléments étaient jugés incompatibles avec le droit de la concurrence, et notamment des lignes directrices publiées par la Commission en juillet 2008. Une affaire ancienne, donc, dont la procédure suivait son cours tranquillement, dans les bureaux de la DG Concurrence.

Depuis son arrivée brutale dans les médias, cette non-actualité a rapidement été alimentée de toutes parts. Les syndicats ferroviaires sont immédiatement montés au créneau : Sud Rail dénonce une action de la part de l’Europe visant à “accélérer le mouvement vers la privatisation totale” . La CGT Cheminot se déclare prête “à tout mettre en œuvre pour arrêter l’action des fossoyeurs des services publics” . Face à la grogne montante, le gouvernement a réagit rapidement en déclarant qu’il était “hors de question de modifier le statut d’EPIC de la SNCF” . Les partis politiques ont suivi le mouvement : l’antenne française du S&D (socialistes européens) fustige l’attitude de la Commission, une “provocation scandaleuse” pour Catherine Trautmann sa présidente.

Quant aux principaux intéressés, les services de la Commission, ils semblaient bien pris de court par le surgissement inattendu de ce dossier. La porte-parole du Commissaire Almunia, Amelia Torres, a seulement pu confirmer hier qu’une lettre avait été envoyée à la France, et que le dossier français était à l’examen.

C’est la sensibilité du dossier, plus que les risques réellement encourus, qui explique que l’affaire ait pris de telles proportions. Le changement de statut de la Poste, finalement entériné le 1er mars, avait été mal vécu par les Français - on se souvient de la votation populaire qui avait récolté plus de 2 millions de signatures. Dans un contexte politique et social difficile en France, on comprend que l’information passe si mal.

Or en l’espèce, la Commission n’impose pas la transformation de la SNCF en société anonyme : elle cherche uniquement à ce que les règles de la concurrence soient respectées.

Que demande la Commission européenne ?

Le terme d’aide d’Etat peut faire penser à une somme d’argent qui serait versée directement par l’Etat à une entreprise. Or, en réalité, ce terme recouvre un grand nombre de situations. Plus généralement, on parle d’aide d’Etat lorsqu’une action étatique, quel qu’elle soit, confère à une entreprise un avantage concurrentiel. Ca peut être de manière indirecte, comme ici : le fait que l’Etat soutient la SNCF quoi qu’il arrive peut avoir pour effet que les investisseurs la traitent de manière privilégiée par rapport à ses concurrents.

Tout à commencé en juillet 2008 alors que fut publié par la Commission européenne un ensemble de lignes directrices, qui clarifiaient les règles sur les aides d’Etat dans le domaine ferroviaire. Parmi elles se trouvait la question des garanties d’Etat, dont une des dispositions aurait dû interpeller la France qui y avait déjà été confrontée par le passé, dans d’autres secteurs, sur des dossiers bien connus qui avaient laissé des séquelles (EDF, ou encore la Poste). Le document épinglait en effet les “garanties illimitées” , que pouvaient induire le statut de ces entreprises, comme n’étant pas compatibles avec le droit de la concurrence. La Commission donnait deux ans aux Etats pour se mettre en conformité avec ces règles. Un an et demi plus tard, ne voyant rien venir de la part de la France, elle a envoyé une lettre au gouvernement pour s’enquérir de ses intentions.

Le raisonnement de la Commission est le suivant. Le statut particulier de la SNCF, celui d’ “EPIC” (établissement public à caractère industriel et commercial) confère une “garantie illimitée” de l’Etat à l’entreprise qui en bénéficie : en conséquence, aux yeux des investisseurs, l’entreprise ne fera jamais face à un risque de faillite ou d’insolvabilité, puisque l’Etat s’en porte garant. Ainsi, ceux-ci pourront être disposés à prêter à l’entreprise à des conditions plus favorables que celles pratiquées par le marché. Ce qui peut être considéré comme une bonne chose, si la plus-value est utilisée pour couvrir des missions de service public : la compensation, grâce à l’Etat, d’un surcoût lié à la réalisation d’un service public (par exemple, l’exploitation par la SNCF d’une ligne non rentable) n’est pas considérée comme une aide d’Etat, et est donc tout à fait compatible avec le droit de la concurrence européen.

Mais le problème ici réside dans l’impossibilité de chiffrer précisément l’avantage conféré par cette garantie illimitée. Rien ne dit qu’il n’excède pas le coût du service public, et qu’il génère donc des bénéfices à l’entreprise. Or, comme la SNCF est présente également sur des marchés soumis à la concurrence, cela pose problème.

Pour éviter une telle éventualité, la Commission a préconisé dans ses lignes directrices de supprimer le principe de garantie illimitée. Plusieurs entreprises ferroviaires européennes sont concernées. D’ailleurs, ce dossier ne concerne pas uniquement la France : la Commission aurait, pour les mêmes raisons, rappelé à l’ordre l’Italie, le Portugal et le Royaume-Uni.

Comment la question va-t-elle se résoudre ?

Dans le cas de La Poste, le gouvernement avait choisi de privatiser sans que cela soit exigé par la Commission. C’est une des solutions permettant de résoudre le problème, mais pas la seule. Un changement de la loi sur les EPIC serait envisageable également, et aurait le mérite d’éviter que d’autres établissements soient concernés à l’avenir.

Il est également possible que la France ait gain de cause au terme de la procédure. Un responsable à la SNCF explique que chacune des branches d’activité du groupe est financée à des taux identiques à ceux pratiqués par le marché : la garantie illimitée ne procurerait donc aucun avantage concurrentiel.

Quoi qu’il en soit, la procédure a été bousculée par cette incursion médiatique, et le dossier, désormais très chargé symboliquement, devrait effectivement prendre des allures de bras de fer…


En savoir plus :

La politique de la concurrence dans l’Union européenne - Touteleurope.fr

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