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Alexandre Gohin : “Le débat sur la PAC sera focalisé sur le budget”

A quelques jours d’un Conseil des ministres européens de l’Agriculture, le think tank Notre Europe et l’Institut Royal Elcano organisent le 24 juin un séminaire d’experts sur la contribution de la Politique agricole commune à la Stratégie Europe 2020. Pour le chercheur Alexandre Gohin, qui participera au séminaire, ce sont les questions budgétaires qui vont susciter le plus de difficultés entre Etats sur la réforme de la PAC.

Touteleurope.fr : Comment la Politique agricole commune peut-elle contribuer une économie “intelligente, durable et inclusive” , pour reprendre les termes du séminaire auquel vous participez le 24 juin ?

Le think tank Notre Europe et l’Institut Royal Elcano organisent le 24 juin un séminaire d’experts à Madrid intitulé : “Vers une économie intelligente, durable et inclusive : Comment réformer la PAC pour améliorer la contribution de l’agriculture à la Stratégie Europe 2020 ?”

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Alexandre Gohin : Tout d’abord, une économie “durable” est une économie stable. On n’aime pas, et notamment dans le secteur agricole, qu’elle bouge trop. Il faut donc faire en sorte que la politique contribue à atténuer les phénomènes macroéconomiques ou sectoriels de volatilité, sans pour autant empêcher bien sûr les forces naturelles d’évoluer.


La PAC est une politique sectorielle. Pas forcément d’un gros secteur (4% de l’économie européenne), bien que cela dépende de la manière dont on compte : si l’on considère qu’entre 15 et 20% du budget des ménages est consacré à l’alimentation, ce n’est pas si négligeable.

Alexandre Gohin est Directeur de recherche à l’INRA et chercheur associé au CEPII.

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La PAC vise plusieurs politiques avec plusieurs instruments, or tous ne sont pas compatibles entre eux. Par exemple, dans le passé les prix garantis favorisaient la production et le revenu des agriculteurs européens, ce qui a incité à produire plus, donc avec plus d’intrants polluants… aujourd’hui on subventionne également la dépollution.

Pour que ce la PAC soit durable, elle ne peut pas se référer qu’à un seul instrument. On aboutit alors à quelque chose de complexe, mais c’est dans la nature même de l’économie de chercher à atteindre plusieurs objectifs sous plusieurs contraintes. Il faut donc trouver le “mix optimal” , en prenant en compte le fait que les situations macroéconomiques et mondiales évoluent, donc que le système lui-même doit évoluer avec.

Touteleurope.fr : La Politique agricole commune a-t-elle sa place dans la Stratégie Europe 2020 ?

A.G. : Le fait que la Commission ait d’abord décidé de ne pas inclure la PAC dans la Stratégie Europe 2020 me gène un peu. Si l’on veut que l’économie européenne progresse, l’intervention publique est légitime dans tous les secteurs, le fonctionnement du secteur et de ses marchés doit être amélioré. Et, étant donné son rôle dans l’approvisionnement des ressources, dans l’agriculture en particulier.

La PAC est divisée en deux piliers : le premier est consacré au soutien des marchés et des prix agricoles (principalement des aides directes aux agriculteurs), le second finance le développement rural : protection de l’environnement, formation, aménagement des campagnes…
D’un autre côté, je peux comprendre que la Commission ait d’abord considéré qu’une intervention publique était légitime si elle agissait essentiellement sur les effets environnementaux de l’agriculture (2e pilier). Une Politique agricole ne serait alors nécessaire que pour les structures qui agissent sur l’environnement et les territoires, et de ce fait son importance pour la Stratégie Europe 2020 y est réduite. C’est une position qui considère alors que les marchés de produits (1er pilier) fonctionnent à peu près normalement.

C’est le fameux débat entre premier et second pilier de la PAC. Pour schématiser, dans le premier cas on agit sur le prix du blé, dans le second on agit sur la formation des producteurs de blé.


Et ce débat reflète aussi les positions des différents Etats : il y a plutôt, au Nord, des pays commerçants dans lequel le marché fonctionne bien et, plus au Sud, d’autres où c’est un peu moins le cas…

Touteleurope.fr : Les Etats membres ont-ils trouvé des points d’accord sur la réforme de la PAC après 2013 ?

A.G. : Les Etats membres n’ont, depuis l’origine de la PAC, jamais été d’accord !

Cependant, on trouve quand même un point de consensus : tous admettent que la politique doit intervenir sur les effets environnementaux (“effets externes”) de l’agriculture. Cela doit-il prendre la forme de taxes ou de subventions ? Quels montants y attribuer ? Ces points sont encore en débat, mais personne ne conteste le principe selon lequel il faut donner un peu d’argent aux agriculteurs qui prennent soin de l’environnement, produisent du bio (si c’est vraiment bio !), etc.

Après, un grand débat porte sur la nécessité de maintenir ou non la régulation des marchés. On le voit dans tous les secteurs : par exemple en ce moment sur le lait, il y a une opposition très claire entre les partisans de la suppression des quotas et les autres.

Enfin, on peut trouver facilement un autre accord : le principe selon lequel c’est toujours aux autres de payer !

On a donc peu de points de consensus mais ils existent quand même.

Touteleurope.fr : Quel chemin prend actuellement cette réforme ?

A.G. : Je pense aujourd’hui que, pour la presse et pour le grand public, il faudra montrer qu’on s’est battu jusqu’à la fin. Je ne me fais pas d’illusions : le message va être “on a obtenu un accord à l’arraché” , “on a sauvé nos positions” , “on n’a rien lâché”… c’est le principe des négociations.

Sur le fond du débat, il va être difficile de trancher dans le budget des aides directes. Et de fait, la discussion sur la PAC va être focalisée sur le budget.
Sur la question de la régulation des marchés, la Commission a proposé une voie médiane et peut à mon avis obtenir plutôt facilement une adhésion assez large sur le point suivant : il n’est pas nécessaire de réguler énormément mais il faut maintenir des filets de sécurité, c’est-à-dire intervenir en cas de coup dur.

Ce qui ressort beaucoup en France en ce moment, c’est le manque d’homogénéité des conditions fiscales et sociales entre Etats membres. On nous sort en permanence l’exemple de la filière porcine, de ces Polonais qui vont travailler en Allemagne à des conditions qui défient toute concurrence, et les gens s’en préoccupent beaucoup… or ce type d’exemple, qui dépasse de loin les questions purement agricoles, pollue en fait le débat.

J’ai peur que ces débats sur le montant des aides directes et du budget alloué à la PAC soient en effet pollués par ces questions d’harmonisation.
Notre rôle d’économistes est d’essayer de chiffrer les termes du débat… et on a beaucoup de mal ! On ne peut pas tout mesurer, et il faudra bien que les politiques prennent néanmoins des décisions.

Mais le terrain est préparé depuis vingt ans : on met de moins en moins l’accent sur la régulation des marchés et les aides sont progressivement transférées sur le second pilier. Et il n’y a aucune raison pour que ce mouvement s’inverse.
Mais je ne crois pas non plus que l’on se dirige vers un démantèlement complet de la PAC, même si certains le demandent. Il y a quand même beaucoup de pays qui ont une politique agricole, donc il ne faut pas trop s’inquiéter là-dessus…

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Notre Europe

Institut national de la recherche agronomique (INRA)

Dossier spécial : Quelle Politique agricole commune après 2013 ? - Touteleurope.fr

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