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Qu’est-ce que le dialogue social européen ?

Le dialogue social européen est un moyen original de légiférer au sein de l’Union européenne. En matière sociale, les organisations salariales et patronales disposent d’un pouvoir d’initiative, pourtant communément réservé à la Commission européenne.

Les organisations salariales et patronales constituent les pierres angulaires du dialogue social européen - Crédits : pixelfit / iStock
Les organisations salariales et patronales constituent les pierres angulaires du dialogue social européen - Crédits : pixelfit / iStock 

Chaque Etat membre possède sa propre définition du dialogue social, inexistante à l’échelon européen. L’Organisation internationale du travail le définit cependant comme “incluant tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échanges d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs sur les questions présentant pour eux un intérêt commun en matière de politique économique et sociale”.

Au niveau européen, le dialogue social est encadré par les articles 151 à 156 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Pourquoi existe-t-il un dialogue social européen ?

Le dialogue social est une façon spécifique de légiférer dans le domaine de la politique sociale. Les syndicats et les organisations patronales, représentatifs des travailleurs et des entreprises, traduisent les intérêts de ces derniers et légifèrent dans le domaine social. Une implication qui permet une plus grande représentativité des travailleurs et des entreprises. Par leur expérience de “terrain” de l’économie et du marché du travail, ces acteurs sont en effet a priori les mieux à même d’identifier les solutions les plus adaptées pour répondre aux défis économiques et sociaux.

Comment est né le dialogue social européen ?

Pourquoi les politiques sociales bénéficient-elles d’un traitement différent des autres politiques européennes ? La réponse est à chercher dans l’histoire de la construction de la politique sociale européenne.

La politique social est présente dans les textes européens dès le traité de Rome, en 1957. Celui-ci lui prévoyait en effet un chapitre, sans pour autant donner la capacité aux institutions européennes de légiférer dans ce domaine.

Ce n’est que dans les années 1970 que cette question émerge à nouveau. Toutes les conditions sont en effet favorables pour une Europe plus sociale. D’un point de vue socio-économique, le premier choc pétrolier et le processus de désindustrialisation provoquent une augmentation du chômage qui n’existait quasiment pas en Europe. D’un point de vue politique, l’Union européenne est dominée par des gouvernements socio-démocrates. Les syndicats pressent alors leurs gouvernements d’agir au niveau européen. C’est à cette époque, en 1974, qu’est adopté un plan d’action sociale, visant notamment à produire les premières directives relatives à la restructuration d’entreprise, à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et à l’égalité hommes-femmes dans les relations de travail.

Les accords de Val Duchesse

C’est en 1985, lors des accords de Val Duchesse en Belgique, que le dialogue social naît réellement. Le président de la Commission européenne de l’époque, Jacques Delors, y encourage les partenaires sociaux à définir les modalités d’un dialogue social européen. Inspiré par l’histoire sociale française, dans laquelle les partenaires sociaux ont joué un grand rôle, il est convaincu qu’il faut appliquer le même modèle à l’Europe.

Les partenaires sociaux se rencontrent durant trois années, de 1985 à 1988. Malgré des désaccords entre les organisations salariales favorables à l’adoption d’accords contraignants et les organisations patronales qui souhaiteraient, elles, se contenter de la publication d’avis communs, le dialogue de Val Duchesse parvient à poser les fondations d’un partenariat encadré entre les différentes organisations. Ces entretiens, outre leur avancée cruciale pour la construction du dialogue social, ont le mérite de permettre aux partenaires d’apprendre à se connaître et de commencer à échanger.

Au bout de trois ans, cependant, les organisations salariales considèrent que les négociations piétinent. Des discussions lancées sur l’adaptabilité de l’emploi ne se concrétisent pas et aucun nouvel avis commun n’est publié. La nécessité de repenser le dialogue social se fait alors ressentir.

Les développements du dialogue social européen

C’est en 1989 que le dialogue social est véritablement relancé, avec l’adoption de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux et le programme d’action sociale. Grâce à l’impulsion de la Confédération européenne des Syndicats (CES) et de la Commission européenne, un processus est mis en place pour que les partenaires sociaux puissent aboutir à des accords-cadres contraignants. Les organisations patronales, plutôt hostiles à l’origine, l’acceptent finalement face à la menace de la Commission qui prévient : “négociez ou nous légiférons” .

De son côté, la Commission commence à s’inquiéter de voir sa politique sociale freinée par le Conseil. Elle pense que si les décisions viennent des partenaires sociaux, celles-ci seront mieux acceptées par les Etats membres. Des groupes de pilotage sont alors constitués en 1989 et en 1991, avec pour mission d’élaborer des propositions concernant leur rôle dans le processus législatif. Malgré des tensions entre l’UNICE (organisation patronale, future BusinessEurope) et la CES, les partenaires sociaux parviennent à un accord en 1991, en particulier sur l’obligation de les consulter sur les questions sociales, sur leur autonomie ainsi que sur l’importance de la négociation collective. Ce sont donc les partenaires sociaux eux-mêmes qui définissent leurs rôles.

Lors de la conférence intergouvernementale de Maastricht en 1993, les chefs d’Etats reprennent les termes de l’accord et, plutôt que de les intégrer au traité, les transposent dans un protocole social annexé au traité de Maastricht à la demande du Royaume-Uni. Ce dernier choisit ainsi de ne pas y participer (clause d’opt-out).

L’année suivante, le comité du dialogue social est créé. C’est un organe européen bipartite (entre les organisations salariales et patronales) qui se réunit trois à quatre fois par an.

La dernière pierre à l’édifice législatif du dialogue social est posée en 1997, avec le traité d’Amsterdam, qui intègre le protocole social au traité.

Depuis le traité d’Amsterdam

En 2000, la stratégie de Lisbonne est lancée. Celle-ci se repose sur la méthode ouverte de coordination (MOC), qui est un instrument de politique publique souple d’incitation et d’évaluation. La mise en œuvre de cette stratégie implique une participation active des partenaires sociaux. Depuis 2002, les partenaires sociaux affirment leur autonomie et adoptent leur premier programme de travail social. 

En 2001, les partenaires sociaux présentent une déclaration commune afin de redéfinir et d’améliorer le dialogue social. En réaction, en novembre 2002, le premier programme de travail pluriannuel (2003-2005) des partenaires sociaux est adopté.

En 2015, à l’occasion de la conférence avec les partenaires sociaux “Un nouvel élan pour le dialogue social”, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, annonce vouloir relancer le dialogue social européen. A cet égard, il promet la publication d’un socle européen des droits sociaux, effectivement adopté en 2017. Ce socle définit plusieurs principes et droits fondamentaux applicables à tous les Etats membres et réaffirme l’importance du dialogue social européen dans la conception et la mise en œuvre des politiques économiques, sociales et de l’emploi.

Autre pierre à l’édifice du dialogue social européen en octobre 2022, avec l’adoption d’une directive relative aux salaires minimums. L’existence de ces derniers et la fixation de leurs montants dépendent de la compétence des Etats membres. C’est pourquoi le but de la législation est avant tout une convergence en la matière. La directive entend notamment garantir des salaires minimums “adéquats” (en comparaison avec le coût de la vie) dans les pays qui en prévoient un, à renforcer le rôle des partenaires sociaux dans la fixation de leurs montants et à suivre le niveau de protection des salariés, par le biais de rapports annuels présentés par les Etats membres au Conseil et au Parlement européen.

Comment fonctionne le dialogue social européen ?

La consultation

La Commission européenne est tenue de consulter les partenaires sociaux en ce qui concerne les politiques sociales. Dans un premier temps, elle le fait sur l’orientation possible d’une mesure européenne. Si, après avoir reçu les avis des partenaires sociaux, la Commission estime qu’une action de l’UE est souhaitable, elle les consulte une nouvelle fois sur le contenu de la proposition envisagée.

Deux scénarios sont alors possibles : les partenaires sociaux se contentent de transmettre leurs avis ou recommandations ou décident d’entamer eux-mêmes les négociations comme prévu à l’article 155 du TFUE.

Il existe deux phases de consultation, durant lesquelles la Commission recueille les avis des partenaires sociaux. Pendant cette période, ces derniers ont la possibilité de s’emparer du sujet de la consultation afin de lancer une négociation. Dans ce cas, l’initiative de la Commission est suspendue et les partenaires sociaux ont neuf mois pour parvenir à un accord. S’ils n’y parviennent pas mais que la Commission pense qu’une action est tout de même souhaitable, elle peut alors poursuivre les travaux relatifs à la proposition législative.

Une consultation à toutes les étapes du processus législatif

La consultation des partenaires sociaux intervient à plusieurs étapes : avant l’adoption de nouvelles initiatives de l’UE et durant la phase de mise en œuvre du droit européen, par exemple lors de l’élaboration de rapports de mise en œuvre. Ils sont également consultés lors de litiges devant la Cour de justice sur l’interprétation d’accords issus du dialogue social (renvois préjudiciels).

La négociation d’accord à l’initiative des partenaires sociaux

Les partenaires sociaux peuvent décider à tout moment de négocier des accords de leur propre initiative, dès l’instant où cela entre dans le champ de compétence de l’Union européenne. Ils peuvent également parvenir à des accords sur des domaines qui sortent du domaine de compétence de l’UE, en dehors donc du cadre législatif de l’Union européenne, et proposer leur accord directement aux Etats membres.

Qui sont les partenaires sociaux européens ?

Le dialogue social s’articule autour des syndicats d’un côté et des organisations patronales de l’autre. Il faut en outre distinguer les partenaires sociaux qui participent au dialogue social interprofessionnel, qui peuvent être à l’origine d’une législation européenne, des autres partenaires sociaux européens.

Deux critères définissent les partenaires sociaux du dialogue social interprofessionnel.

Le premier est le principe de reconnaissance mutuelle. Cette reconnaissance est autonome de la Commission européenne. Ainsi, les trois premières organisations présentes lors des rencontres de Val Duchesse, de 1985 à 1988, ont un pouvoir considérable car ce sont elles qui ont pu, ensuite, déterminer les acteurs du dialogue social.

Le second est la représentativité, et ce critère s’applique à toutes les organisations qui souhaitent être consultées par la Commission. Celle-ci a établi une liste de critères qui doivent être respectés.

Les organisations salariales figurant parmi les partenaires sociaux interprofessionnels reconnus au niveau européen sont :

  • La Confédération européenne des syndicats (CES)
  • Eurocadres (membre de la CES)
  • Confédération européenne des cadres (CEC)

Pour les organisations patronales :

  • BusinessEurope (Confédération des entreprises européennes, ex-UNICE) et SMEUnited (pour les PME)
  • L’Union européenne de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises (UEAPME)
  • Le Centre européen des entreprises à participation publique et des entreprises d’intérêt économique général (CEEP)

Quelles sont les mesures du dialogue social européen qui ont abouti ?

Entre 1986 et 2021, le dialogue social a permis plus de 80 initiatives conjointes.

Exemples d’accords-cadres mis en œuvre par une directive :

  • Accord-cadre sur le congé parental (1995), révisé en 2009.
  • Accord-cadre sur le travail à temps partiel (1997)
  • Accord-cadre sur les contrats de travail à durée déterminée (1999)

Exemples d’accords-cadres autonomes mis en œuvre par les partenaires sociaux eux-mêmes :

  • Accord-cadre autonome sur le télétravail (2002)
  • Accord-cadre autonome sur le stress lié au travail (2004)
  • Accord-cadre sur la violence et le harcèlement au travail (2007)
  • Accord-cadre sur les marchés du travail inclusifs (2010)
  • Accord sur la numérisation au travail (2020)

Des accords sectoriels ont également été mis en œuvre par des directives, comme des accords sur la limitation du temps de travail dans différents secteurs de transport.

Quelles limites ?

Le dialogue social européen reste peu connu. Et nombreux sont donc les Européens à ignorer son impact sur leurs conditions de travail.

La représentativité peut également être perçue en tant qu’autre limite au dialogue social européen. Ce sont les membres du dialogue social interprofessionnel qui décident si une nouvelle organisation peut l’intégrer (principe de la reconnaissance mutuelle). Pendant plusieurs années, l’UEAPME en a par exemple été exclue car elle n’était pas reconnue par BusinessEurope, bien qu’elle représente une grande partie des organisations professionnelles.

Par ailleurs, bien que le taux de syndicalisation reste élevé dans certains pays, notamment en Europe du Nord, la tendance est plutôt à une baisse de la syndicalisation dans l’UE, ce qui remet en question une véritable représentativité des syndicats. En France, par exemple, en 2016, le taux de syndicalisation était seulement de 10,8 %.

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