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Socle européen des droits sociaux : une avancée pour l’Europe sociale ?

Le 17 novembre, les partenaires sociaux, les dirigeants des Vingt-Huit et les présidents des institutions européennes se sont rassemblés à Göteborg (Suède) à l’occasion d’un Sommet social. A cette occasion, le Socle européen des droits sociaux, proposé en avril par la Commission européenne, a été signé. Un texte dont le poids symbolique est important, mais qui ne sera pour le moment pas juridiquement contraignant.

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Le bâtiment Berlaymont, dans lequel est installée la Commission européenne, avec l’affiche du socle européen des droits sociaux - Crédits : Union européenne, photo : Mauro Bottaro.

Le socle européen des droits sociaux

Lancée en mars 2016 par la Commission européenne, la consultation publique dont avait fait l’objet le socle européen des droits sociaux s’est conclue un an plus tard par un document listant 20 principes pour une Europe sociale. Ceux-ci sont destinés à “servir de cadre de référence pour les politiques sociales et d’emploi aux niveaux national et européen” . Présenté par la Commission européenne comme un moyen “de relancer le processus de convergence au sein du marché unique” , le socle apparait également comme une opportunité de réconcilier les citoyens avec une Union européenne perçue comme très libérale, exacerbant la concurrence sociale et menaçant les modèles sociaux des pays membres, ainsi en proie à la montée des courants eurosceptiques.

Plus d’un an de débats entre institutions et partenaires sociaux donc, pour obtenir les trois chapitres qui composent le document final : “égalité des chances et accès au marché du travail” , “conditions de travail équitables” et “protection sociale et insertion sociale” . Parmi les 20 principes : l’égalité entre les femmes et les hommes, l’encouragement du dialogue social, un salaire minimum dans chaque État adapté aux conditions économiques nationales, la lutte contre les travailleurs pauvres ou encore le droit à une protection sociale adéquate et le droit à un logement pour les sans-abris.

Le 17 novembre, lors du Sommet social organisé par la Suède à Göteborg, la Commission, le Parlement et le Conseil européens ont signé la proclamation interinstitutionnelle destinée à faire de ces 20 principes un engagement politique pour les États membres et les institutions européennes. Les ministres des Affaires sociales des Vingt-Huit avaient donné leur feu vert à cette avancée, le 23 octobre. Il s’agit donc un accord entre tous les pays membres de l’UE et non pas uniquement ceux de la zone euro, comme l’avait initialement prévu la Commission.

Mais le socle n’a toutefois rien de contraignant juridiquement. Et pour cause, la dimension sociale de l’Union européenne divise tant ses propres États membres que les partenaires sociaux européens, systématiquement consultés par la Commission européenne s’agissant des politiques sociales.

Des positions divergentes

Du côté des représentants des employeurs de grandes entreprises et de PME, notamment Business Europe et l’association européenne des PME (UEAPME), seuls la croissance économique et le développement de l’emploi pourront combattre les problèmes sociaux. Autrement dit, ces derniers mettent l’accent non pas sur un ’ “manque de politiques sociales” mais sur un “manque de compétitivité internationale. Et de fait, les représentants des employeurs relèvent que “dans le domaine des Affaires sociales, le traité de l’Union européenne explique clairement que l’UE ne peut que compléter les États membres” et jugent que “le socle européen des droits sociaux devrait respecter ce partage des responsabilités.

Au contraire, à la confédération européenne des syndicat (CES), qui représente les travailleurs, on revendique “un socle européen des droits sociaux plus solide” . Les syndicats espèrent que cela entrainera la révision du semestre européenpour assurer que la dimension sociale et les droits sociaux soient au cœur du processus européen d’intégration.” Ce que souhaiterait également la Commission, avec l’aide d’un tableau de bord qui compare les pays en fonction des principes du socle ; elle pourrait ainsi intégrer une dimension sociale à ses recommandations.

Par ailleurs, selon la CES, les principes qui composent le socle devraient à présent devenir contraignants pour les pays membres. En effet, le socle “est une avancée positive [car] il a remis la dimension sociale du projet européen au cœur du débat” , explique Sofia Fernandes, spécialiste des questions sociales à l’Institut Jacques Delors, think tank européen. Cependant, “ce n’est pas un aboutissement” : il faut traduire, selon elle, ce socle en “un plan d’action et des réalisations concrètes” pour ne pas créer “une frustration des Européens” .

L’Europe sociale “invisible”

Mais comme l’illustrent déjà les divergences des partenaires sociaux, les avancées dans le domaine social cheminent particulièrement lentement à travers le processus législatif européen. “Aujourd’hui, il y a un déséquilibre entre les dimensions économique et sociale du projet européen qui fait que l’Europe sociale est invisible” , selon Sofia Fernandes. Pour l’instant, la gouvernance européenne est “guidée par des principes économiques, budgétaires et financiers (…) même si on observe une volonté de la Commission de rééquilibrer les deux dimensions.”

Les institutions européennes ne disposent effectivement pas de compétences étendues lorsqu’il s’agit des politiques sociales. Au contraire du domaine économique, dans lequel l’UE peut en théorie “imposer des contraintes aux États dans la conduite de leur politique budgétaire” . La moindre avancée sociale à l’échelle européenne dépend donc de la bonne volonté des États membres, par ailleurs peu enclins à transférer à l’UE une compétence qui a une influence aussi tangible sur le quotidien des citoyens.

Car dans les discussions actuelles, les pays du nord de l’Europe ou la France, dotés de systèmes de protection très larges, craignent de voir leur modèle social remis en question, face aux pays d’Europe de l’Est qui fondent pour certains leurs économies sur un coût du travail particulièrement faible. Ainsi, “les pays d’Europe de l’Est, en général, voient la volonté européenne d’établir des normes sociales communes comme une contrainte qui pèse sur leurs entreprises” , explique Sofia Fernandes.

Des divergences en termes de politiques sociales par ailleurs creusées par la crise économique : les tendances structurelles des dépenses sociales avant la crise ainsi que les politiques d’austérité menées par les différents gouvernements pour en sortir ont contribué à les renforcer. De quoi compliquer encore les discussions entre les 28 ministres des Affaires sociales.

Une opportunité pour l’Europe sociale

Le socle européen des droits sociaux pourrait-il tout de même asseoir la dimension sociale de l’Union européenne faire en sorte de la rendre visible ? La Commission européenne n’a pas précisé le rôle qu’il pourrait jouer dans les autres domaines de la législation européenne comme dans le droit de la concurrence, par exemple. Selon Zane Rasnača, chercheuse à l’European Trade Union Institute (ETUI) dans un document de travail, il est encore trop tôt pour savoir comment le socle pourrait influencer le processus décisionnel européen voire en modifier le paradigme, mais “sans un soutien vigoureux de la part des États membres [plusieurs d’entre eux étant opposés à certains principes] et de toutes les institutions de l’UE, il pourrait suivre la destinée de précédentes initiatives sociales” , et ne pas se concrétiser réellement.

En témoigne l’échec de la réécriture de la directive sur le congé de maternité qui préconisait l’allongement de sa durée et davantage de droits pour les mères, bloquée dans le processus législatif depuis 2008. A tel point que la commissaire européenne pour l’Emploi et les Affaires sociales, Marianne Thyssen, a préféré retirer la proposition en 2015, pour la remplacer par un paquet législatif concernant l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Cette nouvelle approche vise à réduire, plus généralement, la sous-représentation des femmes sur le marché du travail. Parmi les mesures législatives qui la composent, l’instauration d’un congé de paternité d’au moins dix jours. Peut-être les négociations seront-elles plus efficaces cette fois, car “la Commission a essayé de tirer les leçons de l’échec de la précédente révision” , explique Sofia Fernandes.

De même lorsqu’il s’agit de réécrire la directive sur le temps de travail (2003), qui prévoit actuellement un temps hebdomadaire maximal de 48 heures, mais manque de clarifications. Afin d’adapter la législation européenne à l’utilisation croissante des contrats atypiques et le développement de nouvelles formes de travail suscitées par l’essor de l’économie numérique, une consultation publique est également en cours sur la directive relative à la déclaration écrite : la Commission veut garantir qu’un travailleur, avant de s’engager dans une relation professionnelle, obtienne par écrit ses conditions de travail. Enfin, au regard de ces nouvelles formules de travail plus flexibles, la Commission a lancé une discussion entre les partenaires sociaux pour assurer un accès à la protection sociale aux travailleurs indépendants et précaires.

Mise à jour du 25 septembre 2018. Le 21 décembre 2017, à l’issue de la consultation des partenaires sociaux, la Commission européenne a dévoilé une nouvelle proposition de directivevisant à rendre les conditions de travail plus transparentes et plus prévisibles” . Cette proposition est actuellement en discussion au Parlement européen. Par ailleurs, la Commission a également fait une proposition de recommandation relative à l’accès des travailleurs salariés et non-salariés à la protection sociale, le 3 mars 2018, suite aux discussions avec les partenaires sociaux.

Des avancées concrètes

Ces différentes initiatives constituent déjà des “instruments pour concrétiser le socle européen des droits sociaux” , souligne toutefois Sofia Fernandes. Par ailleurs, il existe déjà un “acquis social” à l’échelle européenne, composé d’un ensemble de législations pour la coordination des politiques de l’emploi, par exemple sur la santé et la sécurité au travail. Ou encore d’initiatives telles que la Garantie pour la jeunesse, dont les dispositifs auraient bénéficié à 16 millions de jeunes de moins de 25 ans, d’après la Commission.

Ce corpus législatif est par ailleurs soutenu par des instruments financiers, comme le Fonds social européen ou les autres fonds structurels (FESI). Et bien qu’il existe des divergences entre les pays sur de nombreuses questions sociales, ces aides bénéficient aux pays d’Europe de l’Est. Piégés pour certains dans un modèle à bas coût salariaux, ceux-ci cherchent à présent à retenir leurs travailleurs les plus qualifiés.

De fait, un projet social européen qui aurait au moins vocation à protéger les modèles sociaux les plus ambitieux et à tirer les normes sociales des autres vers le haut semble possible. “Pour avancer dans l’Europe sociale, il faut débattre des différents sujets en ‘paquets’, pour trouver des compromis entre les intérêts des uns et des autres” , constate Sofia Fernandes. L’accord trouvé le 23 octobre à la majorité qualifiée sur les travailleurs détachés en est un bon exemple.

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