Négociations marathon
Il leur aura fallu “12 heures de négociations marathon pour arriver à un compromis” , commente France Culture. Les 28 ministres des affaires sociales sont toutefois “parvenus tard hier à un accord sur la révision de la directive de 1996 sur les travailleurs détachés” , poursuit la chaîne de radio. “Une bonne chose” , a estimé Elisabeth Morin-Chartier, co-rapporteure sur le dossier au Parlement européen [Libération].
Les nombreuses dissensions existant à ce propos parmi les pays européens font de cet accord une “victoire indéniable pour Emmanuel Macron” , selon Le Monde. En effet, le président français “avait fait de ce dossier l’une de ses priorités” [Libération], dans le cadre de “sa stratégie réformatrice d’une ‘Europe qui protège’ ” [Le Monde].
Clivages Est-Ouest
Ce projet de directive, “discuté depuis dix-huit mois à la commission Juncker d’abord, puis au Parlement européen” [Le Figaro] était ainsi défendu par Paris “au nom de la lutte contre le dumping social [et] le moins disant social” [France Culture]. Il vise en effet “à faire bénéficier deux millions de travailleurs détachés hors de leur pays de la règle ‘à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail’ ” [Le Figaro]. Car assurément, en 2004, “l’arrivée de 10 nouveaux pays aux niveaux de vie et salaires plus bas a bouleversé la donne sur le marché du travail européen et engendré une concurrence déloyale entre entreprises” [Euronews], rendant cette directive datée de 1996 obsolète et entrainant des “clivages entre Europe de l’Est et de l’Ouest” [France 24].
Les pays de l’est de l’Europe entrés en 2004 ou en 2007 étaient de fait les plus rétifs à une révision de la directive. Toutefois, “seuls la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et la Pologne ont refusé de soutenir” le compromis [Libération]. De leur côté, “Roumanie, Bulgarie, Slovaquie [et] République tchèque […] ont finalement basculé dans le camp français” [Le Monde]. Enfin, “l’Irlande, la Grande-Bretagne et la Croatie, elles, se sont abstenues” , rapporte France 24. Pour l’Élysée, cela témoigne du fait qu’il “est faux de dire qu’il y a un bloc de l’Est comme c’est faux de dire qu’il y a un bloc de l’Ouest dans l’Union” [Le Monde].
Égalité de rémunération et détachement de 12 mois
Le nouvel accord “prévoit le maintien du paiement des cotisations sociales dans le pays d’origine” mais il garantira à présent aux travailleurs détachés “une égalité de rémunération, primes comprises, dans le respect des conventions collectives, avec leurs collègues du pays d’accueil” [France 24]. Ainsi, “si le pays d’accueil prévoit une prime de froid, de pénibilité, d’ancienneté, un treizième mois, ces bonus devront aussi leur être versés” , explique Libération. Dans la directive initiale, “il est simplement spécifié que les travailleurs détachés doivent toucher le salaire minimum du pays d’accueil” , poursuit le quotidien.
La durée maximale du détachement sera par ailleurs fixée à 12 mois, et pourra “être rallongée de 6 mois à la demande de l’entreprise avec le feu vert du pays d’accueil” [Euronews]. “Jusqu’au bout, la France s’est arc-boutée” sur ce point après qu’Emmanuel Macron a “refusé de valider un accord européen quasiment acquis en juin dernier […] qui recommandait une durée maximale de 24 mois”, relate Le Monde. Bien que les pays de l’Est y voyaient “une simple mesure protectionniste” [Le Monde], “la majorité des ministres réunis à Luxembourg ont approuvé la proposition française” [France 24].
Une autre directive pour les routiers
Seule véritable “pierre d’achoppement” [France Culture] sur laquelle la France a dû largement céder à Madrid “qui menait la bataille avec les pays de l’Est” [Le Monde] : le secteur des transports de passagers et de marchandises ne sera pas concerné par cet accord et “disposera de sa propre directive” [Euronews]. L’Espagne “réclamait que le transport, de par sa nature particulièrement mobile, bénéficie d’exemptions au travail détaché” , rappelle Le Monde. En effet, “les routiers espagnols et portugais, qui n’ont que la France comme porte d’entrée dans l’UE, effectuent des opérations de ‘cabotage’ dans l’Hexagone” , explique Le Figaro. Ils “charge[nt] puis décharge[nt] à plusieurs reprises hors de leur frontière” et “concurrencent ainsi les routiers français” . En attendant, “c’est la directive de 1996 qui s’applique donc il y a zéro vide juridique”, a assuré Muriel Pénicaud, la ministre française du Travail, [Le Monde].
Par ailleurs, “Paris a aussi dû transiger sur la période d’entrée en vigueur de la directive révisée” [Le Monde]. En effet, le texte devra entrer en vigueur après une “période de transition de 4 ans […] demandée par les pays d’Europe de l’Est” [France Culture]. Ainsi, si le texte est bien adopté avant la fin de l’année, une fois que “le Parlement européen et le Conseil (représentant les ministres) [auront] ajust[é] leurs positions” , l’application définitive n’aura pas lieu “avant 2022 au bas mot” , en déduit Le Monde.
Mais finalement, le ministre estonien de la Santé et du Travail, Jevgeni Ossinovski, qui présidait la réunion, a ainsi conclu : “Je crois que nous avons trouvé un compromis équilibré qui prend en compte l’intérêt des travailleurs et des employeurs des pays d’origine et d’accueil des différents secteurs et professions : il protège les droits des employés sans perturber la libre circulation des services” [Euronews].