Alain Juppé décline son programme pour la culture
En quête d’un nouveau point de chute après s’être déroulé, logiquement, à Avignon, à Essen, Bilbao ou encore Paris, organiser le Forum d’Avignon 2016 à Bordeaux fut comme une évidence. De fait, la capitale aquitaine, sous l’égide de son maire Alain Juppé, en poste depuis 1995 - moins l’interlude québécois de 2005 et 2006 - s’est constituée, au cours des dernières années, une envergure culturelle certaine.
De la réhabilitation des quais, aujourd’hui classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, à l’inauguration prochaine de la Cité du vin, Bordeaux cherche à se forger une réputation internationale. Au point d’arriver à la deuxième place des “lieux à visiter en 2016″ par le New York Times.
Et c’est un maire en campagne pour l’élection présidentielle qui a inauguré, clôturé et, plus généralement, marqué cette édition 2016 de sa présence. Pour l’ancien Premier ministre, le constat est sans appel : “la politique culturelle doit retrouver son sens et son cap” . Déclinant une vision gaulliste et étatique de la culture, Alain Juppé n’a ainsi pas hésité à fustiger un ministère de la Culture “à la peine” , et à promettre de mettre ce portefeuille au cœur de son action s’il obtient l’Elysée en mai 2017.
Relancer le “récit culturel européen”
De quoi évidemment satisfaire le reste de l’auditoire. A l’image du philosophe Michel Onfray, par ailleurs pas épargné par les caricaturistes chargés de croquer l’événement, prompt à partager l’idée selon laquelle l’Etat ne tient plus son rôle dans la défense de la culture. “La culture s’est effondrée en 1983 quand Mitterrand a accepté le libéralisme de marché” , déclarera-t-il ainsi.
Allaient suivre plusieurs table-rondes à la dimension européenne marquée. On retiendra notamment le peu de propositions concrètes formulées pour relancer “le récit culturel européen” , pour reprendre la formule de Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture de 2004 à 2007. Même si tous les secrétaires d’Etat européens à la Culture présent ont reconnu “l’urgence de fonder une fraternité européenne basée sur la culture” .
On retiendra encore l’aisance de Pierre Lescure, président du Festival de Cannes, pour modérer un débat où Viviane Reding, ancienne commissaire européenne à la Culture et aujourd’hui députée européenne, s’est faite dessiner avec Michel Hazanavicius sur une caricature de l’affiche de The Artist suite à leur concordance de vues sur l’importance de la protection du droit d’auteur au niveau européen.
Viviane Reding : mettre un terme aux “mesurettes” pour la culture
Une minute de silence pour la Belgique
Mais pour assister au meilleur moment du Forum d’Avignon 2016, il aura donc fallu attendre les derniers instants. Présent pendant l’ensemble de l’événement, Didier Reynders, ministre belge des Affaires étrangères et numéro 2 de son gouvernement, était en effet précieusement programmé pour la fin de l’événement par les organisateurs. Quelques jours seulement après les attentats de Bruxelles, qui ont fait à ce jour 35 morts et plus de 300 blessés, sa venue à Bordeaux était évidemment forte en symbole.
Avant de monter sur l’estrade du Grand Théâtre, où se sont déroulés les débats pendant deux jours, une minute de silence fut logiquement lancée, rendant encore plus solennelle son intervention. Visiblement ému, Didier Reynders s’est facilement placé dans la continuité de l’esprit du Forum, dont le slogan principal cette année aurait pu être résumé par : “la culture contre la barbarie” . “Au-delà des mots, l’investissement dans la culture est l’une des méthodes pour lutter contre le fanatisme” , a ainsi déclaré le dirigeant belge. Après avoir appelé à “aller à la rencontre de ces Européens qui ont commis des attentats, détruit Palmyre, ou sont allés combattre à l’étranger” .
En ouverture, la veille, Alain Juppé avait tenu un discours comparable en déclarant que “nous [ne] parviendrons à réconcilier les Européens [que] si nous partageons une vision commune de l’homme” . La grand-messe de la culture ne pouvait en effet pas ignorer le contexte politique actuel. L’ensemble des table-rondes organisées auront d’ailleurs eu une forte dimension politique - ou économique - faisant aller les artistes bien au-delà de leur dimension purement culturelle.
Une mission volontiers acceptée par le cinéaste israélien Amos Gitaï, dont l’ensemble de l’œuvre est orientée autour de son engagement politique. Sans équivoque, l’auteur de Kippour (2000) ou Free Zone (2005) a fait valoir que “le meilleur hommage qu’un artiste peut faire à sa culture est une œuvre critique” . Quitte à irriter le pouvoir, comme il l’a encore fait l’an dernier avec Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin, véritable brûlot à l’encontre du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.