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Qu’est-ce que les corona bonds ?

Neuf Etats membres de l’Union militent pour l’émission de “corona bonds” qui permettraient de mutualiser la dette européenne et aider les Etats les plus endettés à soutenir leurs économies durement touchées par l’épidémie de Covid-19. D’où vient cette idée, et sur quels principes fonctionne-t-elle ?

Le président de l'Eurogroupe Mario Centeno ouvre la réunion des ministres de l'Economie et des Finances de la zone euro le 7 avril 2020 / Crédits : Union européenne
Le président de l’Eurogroupe Mario Centeno ouvre la réunion des ministres de l’Economie et des Finances de la zone euro le 7 avril 2020 / Crédits : Union européenne

Mercredi 25 mars, neuf Etats européens, dont l’Italie, l’Espagne et la France, les trois pays les plus touchés par la pandémie de Covid-19, ont écrit une lettre au président du Conseil européen Charles Michel. Un texte défendant l’idée d’une plus grande solidarité financière entre les Etats membres de l’Union européenne et la création d’un “instrument de dette commun pour lever des fonds sur les marchés”. Soit le lancement d’obligations communes aux Etats membres, plus connues sous le nom de corona bonds.

La proposition n’a pas manqué de faire réagir et de susciter des débats entre pays dits “frugaux” -ceux dont les finances publiques sont les plus saines- comme l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche ou la Finlande et les pays jugés plus “dispendieux” . Pourquoi cette idée a-t-elle été mise sur la table ? Et pourquoi est-elle repoussée par les Etats aux budgets les plus vertueux ? Toute l’Europe vous donne ici les clés pour mieux comprendre le fonctionnement de ces corona bonds et les divisions qu’ils génèrent.

Pourquoi la pandémie de Covid-19 questionne-t-elle les Etats européens sur leur dette ?

La pandémie de Covid-19 frappant très durement l’Europe, celle-ci fait face à une perspective de récession sans précédent. Les premiers chiffres annoncés par la Banque de France font notamment état d’une entrée en récession de la France avec une baisse de 6% du PIB au premier trimestre 2020 [Francetvinfo], plus fort recul du Produit intérieur brut de l’histoire du pays depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette récession qui se profile sur l’ensemble du territoire européen pousse les Etats à soutenir l’activité, que ce soit par des reports d’impôts, des prêts ou des investissements. Ils créent ainsi du déficit (l’excès de dépenses par rapport aux recettes sur un exercice budgétaire) et creusent mécaniquement leur dette publique (qui comprend l’ensemble des engagements financiers pris par l’Etat et les collectivités).

Pour financer leurs excès de dépenses par rapport à leurs recettes, les Etats empruntent de l’argent sur les marchés en émettant des titres (obligations) auprès de différents financeurs à des taux d’intérêts variés. Ces taux d’intérêts sont largement orientés par les agences de notation financières telles que Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch. Ces dernières donnent une note aux Etats, établie en fonction de cinq indicateurs : un score “politique” (la stabilité des institutions pour faire face aux remous de l’économie) un score “économique” (niveau de richesse et structure de l’économie du pays), un score “extérieur” (capacité à rembourser les créances à ses partenaires), un score “monétaire” (capacité à maîtriser l’inflation) et un score “fiscal” (l’évolution de la dette par rapport au PIB notamment).

Cette note détermine le risque de défaut de paiement d’un Etat et donc le taux d’intérêt auquel il peut emprunter. Pour les Etats dont les finances publiques déjà dans le rouge vont être encore dégradées en raison des dépenses liées au Covid-19, le taux d’intérêt risque donc d’augmenter. Pour les plus en difficulté, en théorie, il peut même devenir difficile de placer ses titres sur les marchés. Le cas le plus récent d’une impossibilité à se placer sur les marchés restant la Grèce, dont les titres ne trouvaient plus preneurs au cours de la crise des dettes souveraines : sans emprunt, l’Etat grec ne pouvait plus assumer certaines de ses dépenses publiques. Ces taux déterminent également le poids du remboursement de la dette. Pour la France, les intérêts de la dette sont en léger recul en 2020 [Le Figaro] (38 milliards d’euros contre 42 en 2019), mais une augmentation significative des taux pourrait inverser la tendance.

Pourquoi les Etats européens dits “dispendieux” soutiennent-ils cette option des corona bonds ?

Pour éviter que les taux auxquels ils empruntent sur les marchés ne s’envolent, neuf Etats européens défendent donc l’idée d’émettre des corona bonds. Et ils ne sont pas les seuls à soutenir cette option. Depuis qu’ils ont adressé cette lettre au président du Conseil européen Charles Michel, plusieurs voix se sont élevées dans le même sens. Les commissaires européens Thierry Breton et Paolo Gentiloni, le président du Parlement européen David Sassoli mais aussi plusieurs économistes, notamment néerlandais et allemands, ont soutenu cette idée.

Ces corona bonds seraient des titres de dette émis au niveau européen, d’où l’idée de “mutualisation des dettes européennes” . Ils pourraient être émis par une institution déjà existante comme le Mécanisme européen de stabilité, ou encore par une institution créée à dessein. Cette institution placerait ses titres sur les marchés en bénéficiant de la crédibilité de ses parties prenantes, à savoir l’ensemble des Etats membres participants. Cette dette “mutualisée” serait donc considérée comme très sûre par les marchés.

Cela permettrait aux plus fragiles d’entre eux, ceux dont les finances publiques les empêcheraient d’emprunter à des taux intéressants en leur seul nom, de bénéficier de la crédibilité de leurs voisins. L’argent levé sur les marchés pourrait ensuite soit être directement utilisé par l’institution qui émet ces titres pour soutenir les Etats membres, soit reversé à l’ensemble des Etats membres selon un principe encore à définir. Les corona bonds seraient une preuve de “solidarité” budgétaire, prônée par plusieurs dirigeants européens dont le président français Emmanuel Macron. Un sujet déjà débattu il y a dix ans, au cours de la crise des dettes souveraines, avec la proposition d’émettre des euro bonds.

Cette question de la mutualisation des dettes des Etats membres au niveau européen est donc un débat structurant, revenant sur la table au gré des crises que traverse l’Union européenne. Elle questionne l’UE sur le fond -sur la question de la solidarité- et sur la forme -sur l’enjeu d’un potentiel fédéralisme budgétaire.

Pourquoi sont-ils critiqués par les Etats dits “frugaux” ?

Les corona bonds permettraient donc à l’ensemble des parties prenantes de bénéficier d’un taux d’intérêt unique, calculé sur la moyenne des dettes des Etats impliqués, pour assumer les dépenses liées à la crise du coronavirus. Si mécaniquement, ce taux d’intérêt serait allégé pour les Etats aux déficits et aux dettes très lourdes, il mutualise le poids du futur remboursement de ces dettes. En clair, si les Etats comme l’Italie, l’Espagne, la Grèce ou la France venaient à avoir des problèmes pour régler la note, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande craignent d’avoir à en assumer le poids financier. Ils pointent donc du doigt le comportement dit de “passager clandestin” (terme de micro-économie pour qualifier un agent économique qui profite d’un autre) des Etats plus dispendieux et repoussent cette option des corona bonds.

Ils ne ferment toutefois pas la porte à une autre forme de solidarité entre les Etats, adossée à un autre dispositif déjà existant : le MES, ou Mécanisme européen de stabilité. Cette institution créée en 2012 regroupe les Etats de la zone euro. Financée par les contributions de ses membres (l’Allemagne et le France sont les deux plus gros contributeurs), elle peut non seulement racheter les titres de dette émis par les Etats, mais aussi financer la dette nouvellement émise des Etats à des taux d’intérêts plus faibles que ceux des marchés.

Contrairement à l’option des corona bonds, le MES ne repose donc pas sur le principe de mutualisation des dettes de ses parties prenantes mais permet simplement le soutien ponctuel et ciblé à l’un ou plusieurs de ses membres. Elle avait jusque-là l’avantage, aux yeux des “frugaux” , d’exiger des Etats qui y recourent des réformes structurelles. Et donc de leur permettre d’exercer une forme de contrôle sur les politiques menées par les pays plus dispendieux. Cette règle pourrait cependant être bousculée par la crise du Covid-19. En effet, le 9 avril, l’Eurogroupe s’est accordé sur un recours au MES sans exigence de réformes en retour. Le texte final, qui doit encore être validé par le Conseil européen, pose en effet une seule condition : que l’argent débloqué soit utilisé “pour soutenir directement ou indirectement les systèmes de santé et de traitement en lien avec la crise du Covid-19″ .

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