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  • Synthèse

Sûreté alimentaire : comment l’Union européenne protège ses consommateurs

L’Union européenne possède l’une des législations alimentaires les plus strictes du monde. Mais malgré le principe de précaution, la traçabilité des produits ou les contrôles obligatoires, elle est toujours régulièrement touchée par des scandales sanitaires.

Sûreté alimentaire : comment l’Union européenne protège ses consommateurs

C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien” . C’est par cette réplique du film La Haine que l’eurodéputé socialiste Eric Andrieu avait interpellé le Parlement européen en septembre 2017. Dans son viseur : des manquements européens en matière de sécurité alimentaire et de protection des consommateurs.

Après le scandale de la viande de cheval en 2013, l’affaire du Fipronil battait son plein : en Belgique et aux Pays-Bas, des œufs avaient été contaminés par un produit antiparasitaire, dont l’usage était pourtant interdit sur les animaux destinés à la consommation humaine dans l’ensemble de l’Union européenne. Au total, en août 2017, 16 Etats membres, dont la France, la Roumanie, l’Allemagne et la Suède avaient été touchés.

Quelques semaine plus tard, c’est l’affaire Lactalis qui éclatait, impliquant cette fois le lait infantile. Puis en 2019, une alerte était lancée sur de la viande avariée mise en circulation en Pologne… Pourtant, “les normes de sécurité alimentaire de l’UE sont les plus strictes du monde” , d’après la Commission européenne.

En 2002, un règlement européen fondateur

La sécurité des aliments a, en effet, été l’une des premières préoccupations de l’Union. Les Etats membres œuvrent au rapprochement de leurs législations alimentaires depuis la création de la politique agricole commune (PAC), dans les années 1960.

Cette démarche a pris un tournant au début des années 2000, après la crise particulièrement traumatisante de la vache folle. Le “Livre Blanc sur la sécurité alimentaire” , que la Commission européenne a adopté en janvier 2000, a ainsi marqué le début d’une nouvelle approche “intégrée” et plus “transparente” . Celle-ci permet de couvrir toute la chaîne alimentaire, “de la ferme à l’assiette” .

Deux ans plus tard, un vaste règlement européen est entré en vigueur. Cet acte fondateur dispose que “seules les denrées alimentaires et des aliments pour animaux sûrs peuvent être mis sur le marché de l’Union” .

Pour encadrer les pratiques, plusieurs grands principes sont édictés, et des contrôles obligatoires sont prévus à chaque étape de la chaîne.

Les grands principes et les contrôles

Le règlement européen de 2002 prévoit notamment quatre grands principes : de responsabilité, de traçabilité, de précaution et de transparence.

  • Le principe de responsabilité : il établit très clairement la responsabilité des exploitants et des autorités publiques en matière de sécurité alimentaire.
    Les premiers ont ainsi un devoir d’autocontrôle. Ils veillent à ce que les denrées alimentaires respectent la législation en vigueur, à toutes les étapes de la chaîne agroalimentaire (production, transformation, distribution).
    Les autorités des Etats membres, elles, ont la responsabilité de superviser la filière et de fixer, en cas de besoin, des sanctions de manière “proportionnée” et “dissuasive” . En France, les autorités publiques qui ont la responsabilité de contrôler la filière agroalimentaire sont la direction générale de l’alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
    De leurs côtés, les services de l’Union européenne mènent aussi chaque année environ 200 inspections et audits. Dans les États membres, pour détecter d’éventuelles défaillances dans les systèmes de contrôles nationaux… mais aussi dans les pays tiers, pour évaluer certaines demandes d’exportation vers l’UE.
Les denrées alimentaires importées des pays tiers sont soumises aux mêmes règles que les denrées produites dans l’UE (par exemple, le poulet lavé au chlore ou le bœuf nourri aux hormones de croissance sont interdits). En principe, aucun aliment ne peut donc entrer dans le marché unique sans passer par une série de contrôles.

En France, ce sont les agents du SIVEP (service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières), qui assurent la protection des consommateurs contre l’introduction de denrées non conformes en provenance de pays tiers.
  • La traçabilité : le règlement européen de 2002 impose aussi que tous les animaux, denrées et autres substances de la filière agroalimentaire soient traçables.
    A ce titre, les exploitants doivent être en mesure d’identifier toute personne leur ayant fourni une denrée alimentaire ou toute substance destinée à être incorporée dans des denrées alimentaires ou aliments pour animaux.
  • Le principe de précaution : si des informations concernant un produit révèlent la possibilité d’effets nocifs sur la santé, le principe de précaution permet aux autorités de mettre en place des mesures provisoires, “proportionnées” , de gestion du risque, même s’il subsiste une incertitude scientifique sur ce risque.
  • La transparence : en cas de doute sur la sûreté des denrées alimentaires ou aliments pour animaux, ce principe prévoit la mise en place de mesures “appropriées” pour informer la population.

L’Autorité européenne de sécurité des aliments

Autre nouveauté apportée par le règlement de 2002 : la création de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Basée en Italie, à Parme, cette dernière agit dans la majorité des cas sur demande de la Commission européenne ou de sa propre initiative pour fournir des avis scientifiques sur des questions relatives à tous les aspects de la chaîne alimentaire (utilisation de pesticides, d’OGM, d’additifs…). Le Parlement européen ou un État membre peut également inviter l’Autorité à émettre un avis scientifique sur toute question relevant de sa mission.

En 2015 et 2016, l’EFSA a été critiquée pour son rôle dans le renouvellement de l’autorisation du glyphosate, un pesticide controversé. Néanmoins, ses évaluations ont la valeur de simples avis. C’est ensuite à la Commission européenne et aux États membres de l’UE de “prendre des décisions sur la manière de réglementer (approbations, conditions d’utilisation, restrictions, étiquetage, contrôles, etc.)” .

Le système d’alerte rapide européen

L’Union européenne s’est aussi dotée, dès 1979, d’un “système d’alerte rapide” (RASFF) permettant aux Etats membres de l’UE, aux services européens mais aussi à la Norvège, au Liechtenstein, à l’Islande et à la Suisse de partager des informations en cas de menace sur la sûreté alimentaire.

Ces pays disposent d’un délai de 24 heures pour notifier toute menace sur la sûreté alimentaire à leurs voisins. En 2019 par exemple, l’activation rapide du RASFF a permis de retirer la quasi-totalité des stocks de viande avariée polonaise mis en vente dans les pays de l’UE.

En 2017, “un total de 3 832 notifications de risques liés à des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux ont été transmises à la Commission européenne” , indique un bilan de cette dernière.

L’application de la règlementation en question ?

Au final, “le règlement de 2002 est relativement bon et à 80% solide” , estime Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France, une ONG spécialisée sur l’alimentation.

Mais “encore faut-il qu’il soit véritablement appliqué et respecté dans les Etats membres” , prévient-elle, estimant que ce n’est pas toujours le cas, y compris en France.

Karine Jacquemart, Foodwatch

Karine Jacquemart déplore notamment “une diminution trop importante des effectifs dans les services de contrôle” , ainsi qu’un système “trop complexe” ne permettant d’assurer “ni transparence ni efficacité” . En charge des contrôles en France, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes comptait environ 3000 agents en 2015. C’était 716 de moins qu’en 2005.

Le premier souci est qu’il y a un sentiment d’impunité” , déplore la responsable. En France, après le scandale de la viande de cheval en 2013, quatre responsables français et néerlandais ont été condamnés : jusqu’à 2 ans de prison ferme. Mais ce type de procédures prend du temps, et les rapports de l’Union européenne mettent régulièrement en avant le manque de moyens - humains et financiers - des autorités nationales. Résultat, de l’aveu même du président de la République Emmanuel Macron en 2018, les fraudeurs continuent à profiter de la complexité des réseaux européens et de la faiblesse des contrôles pour passer entre les mailles du filet.

L’ONG Foodwatch a porté plainte contre X dans l’affaire Lactalis en février 2018. Elle y relève “des manquements” et “de nombreuses zones d’ombre” de la part de tousles acteurs, producteurs, distributeurs, laboratoires et autorités publiques” , alors que l’usine de Craon en Mayenne - où le lait infantile avait été contaminé - avait déjà été infectée par la salmonelle en 2005.

Sur le long terme, les ONG de protection des consommateurs s’inquiètent également des conséquences des accords de libre-échange conclus entre l’Union européenne et les pays tiers. “On risque de ne plus pouvoir décider sur des sujets tels que les résidus de pesticides ou les OGM” , déplore par exemple Karine Jacquemart.

A ce stade, les normes européennes restent pourtant claires. L’Union européenne interdit depuis 1981 de nourrir aux hormones de croissance les animaux destinés à la consommation. La volaille traitée au chlore est interdite depuis 1997… Et l’accord de libre-échange signé en 2016 avec le Canada n’a pas mis fin à l’interdiction du saumon transgénique en Europe.

Mais les pressions commerciales peuvent être fortes. Dans les années 1980, l’Union européenne a par exemple été attaquée par le Canada et les Etats-Unis devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), parce qu’elle interdisait l’importation du bœuf aux hormones. Avec l’autorisation de l’OMC, les deux pays avaient imposé des sanctions douanières en 1999 sur de nombreux produits européens, à hauteur de plus de 120 millions de dollars annuels.

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