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Marc Ferro : “De Gaulle n’a jamais cru à l’unité politique de l’Europe”

Alors que l’on célébre le 70e anniversaire de l’appel du 18 juin, l’historien Marc Ferro revient sur le peu de considération du général de Gaulle pour une Europe supranationale, et sur les différents mouvements de résistance qui ont animé l’Europe de la Seconde guerre mondiale.

Touteleurope.fr : Comment l’appel du 18 juin a-t-il retenti dans le reste de l’Europe ? Les dirigeants exilés des autres pays européens ont-ils tenté de lancer leurs propres mouvements de résistance depuis l’extérieur ?

Historien français, Marc Ferro
est est co-directeur de la Revue des Annales et directeur d’Études à l’École des hautes études en sciences sociales. Il a publié de nombreux ouvrages sur le Communisme, les deux Guerres mondiales et l’histoire du cinéma.Marc Ferro : L’appel du Général de Gaulle est tout à fait unique : contrairement à la France, les autres pays qui avaient perdu la guerre face à l’invasion nazie ont tout de suite décidé de la continuer virtuellement en se rendant en Angleterre ! Que ce soit le roi de Norvège, le roi du Danemark (qui a abattu ses cartes en disant que la guerre était finie mais a adopté une figure de résistance), le roi des Belges qui s’est constitué en prisonnier, la reine de Hollande réfugiée, aucun de ces dirigeants n’a signé d’armistice avec l’Allemagne. 

Sous occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale, les autorités norvégiennes, tchèques, polonaises, néerlandaises et belges
(sauf le roi prisonnier politique) se réfugièrent à Londres. Le gouvernement danois continua à s’occuper des affaires intérieures mais refusa de réprimer la Résistance et de déporter les Juifs.Autrement dit, l’appel de de Gaulle avait ceci de spécifique qu’il essayait de ressusciter l’honneur d’un pays qui avait rompu ses alliances, dont la principale avec la Grande-Bretagne. C’était son grand problème : l’honneur perdu de la nation. L’appel n’a guère eu besoin d’un écho ailleurs : les autres pays continuaient virtuellement à résister, notamment les Polonais qui ont pu amener des forces armées assez considérables jusqu’en Angleterre. C’est moins le cas des Tchèques, même s’ils résistaient également avec Benes, par exemple.

Il n’y a pas eu de gouvernement de type Vichy dans tous ces pays. Il y a bien eu la tentative de créer un Etat fantoche en Norvège, dirigé par le nazi Vidkun Quisling, mais ce n’était pas un Etat légitime reconnu par la nation.

Edvard Benes
(1884 - 1948) était le chef du gouvernement tchèque en exil. Il est à l’origine des “décrets Benes” concernant l’expropriation et l’expulsion des Allemands des Sudètes et des Hongrois de Slovaquie à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a eu une coopération entre les dirigeants réfugiés, notamment entre Bénès et de Gaulle, très liés l’un à l’autre. Au départ, elle impliquait également le général polonais Sikorski, mais à partir du moment où l’URSS est entrée en guerre, le sentiment anti-soviétique des Polonais était tel qu’ils refusaient de s’associer à de Gaulle. Ce dernier considérait en effet qu’il fallait fêter l’intervention soviétique pour autant qu’elle contribuait à la défaite de l’Allemagne.

Il n’en reste pas moins que ces dirigeants se connaissaient, se rencontraient et étaient solidaires. Par conséquent, il y a eu de ce côté une certaine union.

TLE : Tous les pays européens sous domination nazie, fasciste (et même plus tard sous l’avancée soviétique) ont-ils connu d’importants mouvements de résistance ?

M.F. : Ce qu’on peut dire de sûr, c’est que le pays qui a résisté le plus complètement, du début à la fin de la guerre, est la Pologne. Les Polonais ont été vaincus les premiers en Septembre 1939, et dès Septembre-Octobre il y avait une résistance polonaise qui espérait que la France allait mener une offensive qui soulagerait des maquis qui se constituaient en hiver.

C’était donc le premier pays à résister, mais cela tient aussi à son histoire. Pendant au moins un siècle la Pologne a été divisée entre les Russes, les Allemands et les Autrichiens. Il s’est donc créée une tradition de résistance, comprenant des structures souterraines de résistance, et le pays résistait de façon automatique à toute ingérence étrangère. C’était donc “inné” en Pologne.

Autre pays où c’était inné : la Yougoslavie, et la Serbie en particulier, en raison d’une tradition de résistance à tout ce qui venait de l’Ouest (Autriche, Allemagne…). Churchill puis Roosevelt jugeaient qu’il valait mieux envoyer des armes aux Serbes et aux autres Yougoslaves plutôt qu’aux Français parce que dans leurs montagnes et compte tenu de leurs traditions ils étaient capables de maîtriser un plus grand nombre de divisions allemandes.

La Pologne et la Yougoslavie ont donc été à l’avant-garde d’une résistance active et immédiate.


Pour les autres c’est un peu différent. En Tchécoslovaquie il y a eu des résistances bien sûr, mais neutralisées par une présence allemande totale. D’autres pays ont connu de nombreuses actions individuelles de résistance : en particulier la Belgique ou les Pays-Bas, un des rares pays où l’on a protesté contre l’arrestation des juifs.

En Allemagne également il y a eu des résistances. Par les militaires d’abord, mais celle-ci a souvent été l’héritage de la défaite, lorsqu’ils se sont rendus compte qu’Hitler conduisait l’Allemagne à un désastre. Ceux-ci ne se sont donc pas révoltés contre le nazisme, mais contre une stratégie qu’ils jugeaient suicidaire. Et puis il y a eu quelques révoltes contre le nazisme, notamment des femmes qui ont manifesté par milliers en 1943 contre l’arrestation de leurs maris juifs (“Rendez-nous nos maris”). Il y a eu également des révoltes catholiques, assez minoritaires.

TLE : Comment ont-ils évolué à la fin de la guerre ?

C’est surtout en France et en Pologne que le problème s’est posé. En Pologne une partie de la résistance a émané de troupes polonaises qui avaient été faites prisonnières en 1939-40, et les Polonais ont tout de suite été divisés entre ceux qui se battaient essentiellement aux côtés des alliés et qui allaient faire en Egypte puis en Italie une campagne à côté des Français (avec le Maréchal Juin), et ceux qui, enrégimentés dans l’armée soviétique, combattaient la résistance anti-soviétique et anti-russe de Londres.

A la fin de la guerre se met un place à Lublin (Pologne) un gouvernement provisoire (Comité Polonais de Libération Nationale) installé par les soviétiques. Malgré l’opposition du gouvernement en exil et de l’Armée de l’intérieur, la Pologne devient rapidement une “démocratie populaire”
, qui organise une campagne de terreur contre les opposants au communisme.C’est en Pologne que le problème de la guerre a posé les drames les plus difficiles à résoudre. Ils étaient la croix de Churchill et Roosevelt, parceque les Polonais, avant tout, voulaient récupérer des territoires qu’ils jugeaient perdus depuis 1919, et les exilés de Londres refusaient de coopérer avec ceux de Moscou, ce qui a posé de graves problèmes.

En France ça s’est tout de même beaucoup mieux passé. C’est la résistance extérieure, animée par de Gaulle avec les troupes de de Lattre, Leclerc, etc. qui a été l’enfant de la victoire, tandis que les résistants de l’intérieur ont plutôt été oubliés. On ne peut pas dire que de Gaulle se soit particulièrement apitoyé sur les drames du Vercors ou des Glières : les renforts arrivaient mal, cela lui était relativement indifférent, il en parle peu dans ses mémoires.

La résistance intérieure qu’il a suscitée, au fond, l’encombrait, parce qu’elle était en quelque sorte sous le contrôle des communistes. Autant l’a-t-il encouragée, autant l’a-t-il surveillée, et à la libération il a tancé Leclerc pour avoir accepté que le communiste Rol-Tanguy cosigne la reddition du général Choltitz.

TLE : De Gaulle avait-il déjà une vision de l’Europe en 1940 ? Comment celle-ci a-t-elle évolué ?

M.F. : De Gaulle voulait d’abord ressusciter la grandeur française, qui surtout avec la défaite de 1940, avait été très fortement mise à mal. Mais la déchéance du pays était antérieure, elle datait quand même d’après la guerre de 1914 où l’industrie française déclinait. D’après lui le Parlementarisme neutralisait tout progrès possible, et entravait la restauration de la puissance française. Il pensait même en 1945 récupérer la rive gauche du Rhin, ou du moins la neutraliser comme on avait voulu le faire en 1918, pour donner à la France une puissance particulière afin qu’elle redevienne un des Grands.

Or l’une de ses grandes humiliations était que lorsque Roosevelt parlait des Grands, il ne parlait que des Etats-Unis, de l’Angleterre, de l’URSS et de la Chine… c’était ça son problème, pas l’Europe.

Très tôt, de Gaulle s’est méfié de l’idée européenne, il l’a brocardée plusieurs fois. Jusqu’en 1945 ce n’était pas son problème, mais lorsqu’elle a émergé ensuite, l’idée européenne lui a paru quelque chose de très suspect. Jusqu’au lendemain de la guerre son objectif premier était la souveraineté de la nation, la force de l’Etat et la reconstruction de l’Empire.

Plus tard il a été hostile à la construction européenne. Autant il était favorable au rapprochement, voire à un axe franco-allemand (après avoir souhaité au départ récupérer la rive gauche du Rhin), autant la construction européenne lui est apparu comme quelque chose de bureaucratique, d’anonyme et qui n’aboutirait pas.

Il a ensuite toléré l’existence de l’Europe, pour autant qu’elle visait à mettre fin au conflit franco-allemand à travers le partage du charbon et de l’acier. Avec le traité de Rome puis la PAC, l’Europe s’est construite sur un terrain économique. Il fallait également se renforcer contre un hégémonisme soviétique très menaçant en 1947-1948 avec le premier coup de Prague.

A mesure que ces objectifs ont disparu, l’Europe a changé de profil et est devenu un projet purement économique, même si elle proclame qu’elle est politique, on voit bien aujourd’hui qu’il n’y a sur ce point aucune unité européenne.

De Gaulle n’a jamais cru à l’unité politique de l’Europe, mais considéré que ce qui demeure ce sont les nations. Et son prophétisme sur ce terrain s’est souvent révélé exact : il avait prévu depuis longtemps que l’URSS abandonnerait le communisme, et jugeait que la nation était la forme la plus durable de la vie de société. Par conséquent l’Europe lui paraissait une construction artificielle.

Pour ma part, je pense en effet que si l’Union européenne a joué un rôle positif dans l’élévation économique de l’Europe, elle est confrontée à des difficultés qui tiennent à la bureaucratisation d’un système qui n’a plus d’âme… l’Europe n’a plus d’âme. Pour certains, l’entrée en Europe a été une aubaine (Irlande, Espagne, Grèce…), puis une sauvegarde pour les pays de l’Est contre l’URSS, mais tous ces objectifs sont tellement divergents que lorsqu’il y a une crise comme maintenant, on voit qu’il n’y a aucune harmonie entre ces pays.

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