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Brexit : quels scénarios possibles ?

L’accord de retrait de l’UE, négocié par Theresa May avec Bruxelles, a été rejeté par la Chambre des communes à trois reprises. Entretemps, les Européens ont accepté de repousser le Brexit au 12 avril, puis au 31 octobre 2019. Entre sortie brutale, modification de l’accord, annulation du Brexit ou encore participation du pays aux élections européennes, Toute l’Europe fait le point sur les scénarios encore possibles.

Quels scénarios pour le Brexit ? - Crédits : iStock
Quels scénarios pour le Brexit ? - Crédits : iStock

Le 15 janvier, les deux tiers des députés britanniques se sont opposés à l’accord sur le Brexit négocié par leur gouvernement avec Bruxelles. Mais les raisons de leur vote diffèrent largement d’un bout à l’autre de la classe politique, déchirée sur le sujet. Et ce sans “manifestation claire d’une opinion positive sur un accord alternatif” , selon Michel Barnier, le négociateur en chef du Brexit pour l’UE.

Depuis, Theresa May a cherché à obtenir des concessions de la part des Européens afin de dégager une majorité en faveur d’une version modifiée de l’accord à la Chambre des communes. Mais le 12 mars, la Première ministre a essuyé une autre lourde défaite. Même issue lors de la troisième tentative le 29 mars…

Entretemps, les députés britanniques ont également prévenu qu’ils ne tolèreraient pas une sortie sans accord. Et le 14 mars, le Parlement a accepté que Theresa May demande aux Vingt-Sept un report de la date du Brexit. Une semaine plus tard, réunis en Conseil européen à Bruxelles, les Vingt-Sept n’ont accepté de repousser la date de sortie que jusqu’au 12 avril… voire jusqu’au 22 mai, si l’accord de sortie était finalement ratifié outre-Manche. Nouvel échec des négociations au Royaume-Uni, nouveau Conseil européen, nouveau report : celui-ci aurait désormais lieu le 31 octobre 2019. Avec quelles conséquences ?

Contrairement à ce que désirait Mme May, à savoir une prolongation de l’article 50 jusqu’au 30 juin, les Vingt-Sept se sont entendus sur une “extension flexible” jusqu’au 31 octobre 2019. Le Brexit est donc repoussé de six mois et demi, mais avec la possibilité pour le Royaume-Uni de quitter l’UE dès que l’accord de sortie, ou qu’une alternative satisfaisante pour les deux parties, est approuvé. Entretemps, le pays devra probablement participer aux élections européennes, faute de quoi un no deal serait constaté dès le 1er juin, ont prévenu les Vingt-Sept.

Désormais, quels sont alors les scénarios possibles ?

Un report long du Brexit… et une participation du Royaume-Uni aux élections européennes ?

Après s’être vu accorder un report court du 29 mars au 12 avril, le gouvernement de Theresa May a obtenu, lors du sommet européen du 10 avril, une “extension flexible” du Brexit. En vertu de cette “flextension” , nouvelle expression consacrée, la sortie aurait lieu :

  • le premier jour du mois suivant un vote positif de la Chambre des communes sur l’accord de retrait,
  • le 31 octobre 2019 au plus tard, avec ou sans accord,
  • le 1er juin 2019 si le Royaume-Uni choisit de ne pas participer aux élections européennes le 23 mai.

Une sortie au-delà du 31 octobre 2019 n’a pas été évoquée par le Conseil européen du 10 avril. Mais elle reste théoriquement possible : rien n’empêche les Etats membres d’accepter, s’ils le jugent nécessaire, un troisième report.

Bien entendu, ce nouveau délai ne donne aucune indication sur l’option qui sera finalement choisie. Il implique cependant une nouveauté : pour éviter un no deal, le Royaume-Uni devra vraisemblablement participer aux élections européennes le 23 mai, puisqu’il serait toujours membre de l’Union à cette date ainsi que lors de la première session plénière du nouveau Parlement issu des urnes, le 2 juillet. Un comble pour un pays sur le départ, et qui complique aussi la donne pour les Européens.

En effet, les traités exigent que tout Etat membre soit représenté par des eurodéputés au Parlement européen. Par ailleurs, la participation du Royaume-Uni à ce scrutin implique une certaine réorganisation des élections dans les autres pays de l’UE, plusieurs d’entre eux ayant hérité de sièges supplémentaires dans l’hémicycle, en prévision du départ des eurodéputés britanniques. En France par exemple, les partis politiques de chaque pays membre sont en train de constituer des listes avec 79 candidats, sur la base de la nouvelle distribution des sièges au Parlement européen, alors que les eurodéputés français ne sont que 74 actuellement.

Si le Royaume-Uni “est prêt à participer aux élections européennes, il faudra alors qu’il nous dise pourquoi il sollicite une extension plus longue” , répétait pourtant l’Elysée avant le dernier Conseil européen : “La seule chose qui pourrait justifier une extension longue, c’est un plan nouveau.

Une sortie sans accord ?

A trois reprises, les députés britanniques ont rejeté l’accord négocié par leur gouvernement avec Bruxelles. Sans vote positif de leur part sur ce texte, tout porte à croire que le Royaume-Uni sortirait in fine de l’Union européenne sans accord (no deal).

Le pays passerait alors brutalement du statut d’État membre à celui de simple pays tiers. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre (ou du 1er au 2 juin si le Royaume-Uni décidait de ne pas participer aux élections européennes), les frontières et les contrôles douaniers seraient rétablis.

Le 29 janvier, puis à nouveau le 13 mars, les députés de la Chambre des communes ont pourtant adopté des amendements excluant le principe d’un no deal. Une position qui n’est cependant pas juridiquement contraignante, et n’exclut en rien une sortie brutale du Royaume-Uni si aucune autre solution n’est effectivement trouvée.

Et paradoxalement, aucune majorité ne semble se dégager au Parlement britannique en faveur d’une alternative. A deux reprises, les 27 mars et 1er avril, les autres solutions mises aux voix ont en effet toutes été rejetées. Elles envisagent pourtant un large panel d’options, de l’organisation d’un nouveau référendum au maintien du Royaume-Uni dans une union douanière, en passant par la révocation de l’article 50 en cas de no deal

Présenté comme une catastrophe par Theresa May, un no deal devrait entraîner d’importantes conséquences économiques, bien que difficiles à évaluer. Le coût estimé d’un tel scénario varie selon les secteurs. Européens et Britanniques s’évertuent depuis plusieurs mois à en limiter les conséquences en signant des accords au cas par cas, mais le gouvernement britannique a lui-même estimé une perte de 8% de PIB sur 15 ans, si ce “saut de la falaise” venait à effectivement se réaliser.

Cette solution est toutefois soutenue par certains députés britanniques, parmi les plus fervents Brexiters, et notamment l’ancien ministre des Affaires étrangères Boris Johnson. Pour lui, un brusque retour aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) serait préférable à ce qu’il juge être un mauvais accord. L’influent Jacob Rees-Mogg soutient également une “sortie sans accord organisée” qui permettrait au Royaume-Uni de se libérer de tout carcan européen et de reprendre son entière souveraineté.

Beaucoup préfèrent aussi la perspective d’un no deal à celle d’un report long du Brexit, qui impliquerait de participer aux élections européennes de mai 2019 et pourrait ouvrir la voie à un second référendum.

Un nouvel accord avec les Vingt-Sept ?

Après le premier rejet massif de l’accord de sortie le 15 janvier, Theresa May est retournée à Bruxelles pour tenter d’arracher quelques concessions aux Vingt-Sept.

Notamment sur le fameux “filet de sécurité” (ou backstop), principal point de blocage à la Chambre des communes. A l’issue de la période de négociation des relations futures (censée s’achever fin 2020 selon l’accord de retrait), celui-ci permettrait d’éviter le rétablissement d’une frontière physique entre les deux Irlande pour éviter la résurgence de troubles. Il s’appliquerait tant qu’aucune alternative satisfaisante ne serait trouvée et consisterait à maintenir le Royaume-Uni et l’UE dans un territoire douanier unique au sein duquel les marchandises continueraient à pouvoir circuler.

Mais les opposants à l’accord craignent que cette solution de dernier recours soit en fait définitive, maintenant de force le Royaume-Uni dans le giron de l’UE. De leur côté, les Vingt-Sept refusent d’exclure cette disposition de l’accord, car cela risquerait de remettre en question l’accord de paix signé en 1998 après trente ans de violences civiles en Irlande.

Les nouvelles tractations entre le gouvernement de Theresa May et les Européens se sont donc poursuivies jusqu’au 11 mars. Mais seule la déclaration politique qui l’accompagne, et non l’accord en lui-même, a finalement été revue. Les Européens ont ainsi renouvelé leur engagement à démarrer les négociations au plus vite afin de trouver une alternative au backstop.

Cela n’a toutefois pas convaincu les élus britanniques, qui ont à nouveau rejeté l’accord de retrait le 12 mars. Le 29 mars, seul l’accord de retrait séparé de sa déclaration politique a été soumis aux voix, mais lui aussi a été rejeté par les députés. Depuis, les Vingt-Sept ont répété qu’ils n’y toucheraient plus, que ce deal était le “seul” possible. Et Theresa May espère encore convaincre la Chambre des communes de le ratifier…

A l’encontre de l’avis de la Première ministre, une série de votes “indicatifs” a eu lieu les 27 mars et 1er avril pour tenter de dégager des alternatives à l’accord de sortie. Aucune n’a jusqu’à maintenant été approuvée. Certaines ont toutefois été rejetées à très peu de voix près : comme la motion proposant de négocier le maintien du pays dans une union douanière permanente avec l’UE (273 voix favorables contre 276), ou celle demandant l’organisation d’un nouveau référendum pour que les citoyens se prononcent eux-mêmes sur tout accord de sortie (280 voix favorables contre 292).

Un nouveau référendum

Reste également la possibilité de s’en remettre directement aux citoyens britanniques pour sortir de l’impasse. Le Labour et d’autres membres pro-européens de la Chambre des communes demandent en effet la tenue d’un nouveau référendum. Mais quels en seraient les contours ? Quelle serait la question posée ?

Un sondage mené par YouGov à l’été 2018 calculait que 45% des Britanniques seraient en faveur d’un scrutin portant sur le résultat des négociations avec Bruxelles (et 35% contre). Mais une telle proposition a été rejetée les 27 mars et 1er avril par les députés britanniques (à 27 puis 12 voix près).

C’est la seule manière de sortir de cette impasse, de revenir vers le peuple et lui demander : est-ce pour ça que vous avez voté en 2016 ?” , explique pourtant l’eurodéputée britannique Jude Kirton-Darling (S&D) qui soutient la campagne People’s Vote pour un second référendum. Ces deux années de négociations semblent selon elle avoir permis aux Britanniques de mieux réaliser la complexité d’une telle sortie. Et de constater le caractère intenable des promesses faites par certaines personnalités politiques, dans une campagne marquée par une forte désinformation.

Les libéraux, les indépendantistes écossais et les écologistes soutiennent l’idée d’un nouveau référendum. Ainsi qu’un groupe composé de parlementaires centristes et europhiles “The Independant Group” (sept députés issus du Labour et trois tories) opposés aux stratégies de Theresa May.

Côté travaillistes, 72% des membres du Labour étaient convaincus par cette option en janvier, selon The Guardian. Face à la frange europhile de son parti, Jeremy Corbyn, plutôt eurosceptique, s’est finalement lui aussi dit favorable le 25 février à la tenue d’un second référendum. Selon la proposition officielle travailliste, il s’agirait de soumettre l’accord de sortie au vote du peuple, qui devrait également trancher avec la possibilité de rester dans l’UE (remain).

Mais selon le journaliste Hugo Dixon, vice-président de la campagne People’s Vote : “le Parlement devra faire passer une nouvelle loi autorisant ce référendum : par la manière douce avec le soutien de la Première ministre, ou par la manière forte, en allant contre sa volonté” . Or aucune majorité ne se dégage pour l’instant en faveur d’un second référendum à la Chambre des communes.

Les détracteurs de cette option, nombreux parmi les conservateurs, considèrent qu’une telle solution ne respecterait pas le résultat du vote de juin 2016. Remettre en question la sortie du Royaume-Uni de l’UE par ce biais “serait trahir le choix exprimé par les Britanniques” , estime aussi Theresa May.

Un maintien dans l’union douanière (ou le marché intérieur) de l’UE

Rester dans l’union douanière : “seule cette dernière option paraît avoir une chance de recueillir une majorité de votes, en réunissant des élus venus tant des rangs conservateurs que travaillistes” , écrivait Le Monde à la veille du vote du 27 mars à la Chambre des communes.

De fait, une motion suggérant que l’accord de sortie inclue “au minimum un engagement à négocier l’instauration d’une union douanière permanente et globale entre le Royaume-Uni et l’UE” n’a été rejetée qu’à 8 puis 3 voix d’écart lors des votes des 27 mars et 1er avril.

L’union douanière permettrait de préserver la libre circulation des biens et l’absence de droits de douane entre l’UE et le Royaume-Uni, mais elle ne permettrait pas la libre circulation des services, des capitaux et des personnes. Comme le backstop honni par les Brexiters, cette solution contraindrait le Royaume-Uni à appliquer les mêmes tarifs douaniers pour les pays tiers que les Etats membres de l’UE, et l’empêcherait de négocier librement des accords commerciaux bilatéraux.

Une autre proposition, plus largement rejetée par les députés britanniques (94 puis 21 voix d’écart les 27 mars et 1er avril), propose quant à elle un accord de “marché commun 2.0″ . Le Royaume-Uni adhèrerait alors à l’Association européenne de libre-échange (AELE) et à l’Espace économique européen (EEE). Cette option lui permettrait de continuer à participer au marché intérieur de l’UE après le Brexit. Par ailleurs, cette motion propose de “conclure un régime douanier global avec un tarif extérieur commun” qui resterait en vigueur “au moins jusqu’à ce que des accords alternatifs garantissent un commerce sans friction avec l’Union européenne et qu’aucune frontière rigide ne soit rétablie sur l’île d’Irlande” . Un tel scenario, parfois qualifié de “Norvège +” , maintiendrait donc les quatre libertés (circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes) au Royaume-Uni. Il reste toutefois honni par les Brexiters, qui ont fait campagne pour que le Royaume-Uni “reprenne le contrôle” de ses frontières.

Un abandon du Brexit

Juridiquement, cette solution est également possible. La Cour de justice de l’UE a en effet rendu un arrêt le 10 décembre 2018 qui prévoit que le Royaume-Uni pourrait décider de manière unilatérale, donc sans l’accord des Vingt-Sept, de révoquer “la notification de son intention de se retirer de l’Union européenne” . Et ce jusqu’à la date effective de départ.

La Cour précise cependant que cette révocation “doit être décidée à l’issue d’un processus démocratique dans le respect des règles constitutionnelles nationales” . De fait, ce scénario est politiquement irréalisable d’ici le 12 avril, puisqu’il impliquerait l’organisation d’un débat et d’un vote. Mais il pourrait l’être en cas de report de la date de sortie.

Vers des élections générales ?

Organiser un nouveau référendum, révoquer l’article 50, ou plus généralement reporter durablement la date du Brexit… Tous ces scénarios ont toujours été vivement critiqués par Theresa May.

En amont du dernier Conseil européen, il semblait probable que les Vingt-Sept exigent l’organisation de nouvelles élections comme condition à leur acceptation d’un nouveau report… finalement, peu de garanties ont été exigées vis-à-vis du Royaume-Uni.

Après la débâcle du 15 janvier à la Chambre des communes, le leader du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, avait déjà déposé une motion de censure contre le gouvernement de la Première ministre. Mais cette perspective s’était bien vite éloignée, les plus ardents brexiters envisageant avec horreur l’arrivée de Jeremy Corbyn au 10 Downing Street…

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