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Brexit : quel serait l’impact d’un no deal pour la France ?

Et si le Royaume-Uni et l’Union européenne ne parvenaient pas à un accord d’ici la fin de l’année sur leur future relation ? En France, beaucoup se préparent à un tel scénario. Car l’impact sur certains secteurs, territoires et populations serait loin d’être négligeable.

En France, ainsi que dans les autres Etats membres de l'UE, de nombreux secteurs seraient fortement impactés par une absence d'accord
En France, ainsi que dans les autres Etats membres de l’UE, de nombreux secteurs seraient fortement impactés par une absence d’accord - Crédits : Marcos Silva / iStock

Si le Brexit du 31 janvier 2020 s’est déroulé dans le cadre d’un accord conclu fin 2019 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les conditions de la sortie “définitive” du pays, prévue pour le 31 décembre 2020, font encore et toujours l’objet de difficiles négociations. Après avoir quitté l’UE en début d’année, le Royaume-Uni est actuellement dans une phase de transition : il ne participe plus aux décisions de l’UE mais reste soumis à sa législation.

Or l’hypothèse d’une absence d’accord, que l’on craignait déjà lors de la première phase des pourparlers entre 2016 et 2019, refait surface à propos de la future relation post-2020. Avec d’importantes conséquences pour les Français… que l’épidémie de coronavirus pourrait aggraver dans bien des cas (certaines études citées dans cet article ont été réalisées avant 2020 et n’ont pu en tenir compte).

Quels seraient les secteurs de l’économie les plus touchés ?

Un no deal aurait des conséquences variables sur l’économie française, selon les secteurs.

Le commerce. La facture pourrait s’élever à 3,6 milliards d’euros de pertes d’exportations pour l’Hexagone, d’après une étude d’Euler Hermes d’octobre 2020. Pour l’ensemble de l’Union européenne, le coût se chiffrerait à 33 milliards d’euros. En cas d’absence d’accord avec le Royaume-Uni à l’issue de la période de transition, les relations économiques entre Londres et Bruxelles basculeraient sous le régime de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Concrètement, les deux parties appliqueraient des droits de douane alors que l’accord en cours de discussion prévoit un dispositif de libre-échange (zéro droits de douane, zéro quotas). L’étude avance que l’industrie automobile serait l’un des secteurs les plus affectés par ce changement.

D’autres seraient tout particulièrement concernés, dont les exportateurs français de vins et de spiritueux. En 2019, une bouteille exportée sur huit avait pour destination le Royaume-Uni, deuxième plus gros client en valeur du secteur. Plus généralement, les 30 000 entreprises françaises qui exportent au Royaume-Uni - et a fortiori les 3 000 qui s’y sont installées - risquent de subir de lourdes pertes en cas de no deal.

L’agriculture et l’alimentaire. Le Royaume-Uni est, plus généralement, le troisième client du secteur agricole français. Ce dernier a dégagé, en 2018 et 2019, un excédent d’environ 3 milliards d’euros en moyenne vis-à-vis du pays. Un montant cependant en baisse depuis 2016, date à laquelle les Britanniques ont voté “oui” à un retrait de l’Union européenne. Sur les seuls produits laitiers, les droits de douane pourraient atteindre 41 % ! Impliquant donc une baisse potentiellement importante des échanges agricoles entre la France et le Royaume-Uni. D’après Euler Hermes, les pertes pour les secteurs de l’alimentation, des boissons, de l’alcool et des cigarettes seraient de l’ordre de 305 millions d’euros.

Pêcheurs en Bretagne - Crédits : photoneye / iStockLes pêcheurs français pourraient se voir refuser l’accès aux eaux territoriales britanniques, riches en poissons - Crédits : photoneye / iStock

La pêche. Autre secteur très inquiet d’un no deal : celui des marins-pêcheurs français. En cas de retrait brutal le 31 décembre, le Royaume-Uni sortirait immédiatement de la Politique commune de la Pêche (PCP). Et pourrait alors bloquer l’accès à ses eaux, les plus poissonneuses d’Europe. Celles-ci seraient dès lors uniquement régies par son droit, pour tous les pêcheurs européens. Or ces derniers y effectuent 30 % de leurs captures, voire 60 % à 90 % pour certains poissons.

L’accès aux eaux britanniques est ainsi l’un des principaux points d’achoppement des négociations en cours. Et comme pour la Politique agricole commune, la pêche relève de la compétence de l’UE : les mesures nationales que le gouvernement français pourrait mettre en place afin de limiter la casse seraient donc limitées.

En mars 2019, en prévision du risque de sortie sans accord du Royaume-Uni, l’UE avait également pris une mesure permettant aux pêcheurs européens de recevoir une compensation financée par les fonds européens pour couvrir, au moins en partie, les pertes causées par l’impossibilité d’accéder aux eaux britanniques.

Concernant les transports aériens, des dispositions ont été prises pour permettre aux compagnies britanniques de voler librement en Europe jusqu’à la fin de la période de transition. A terme, ce droit pourrait leur être refusé. Selon un rapport de l’association internationale du Transport Aérien, une chute de 3 à 5 % du trafic à destination et en provenance du Royaume-Uni serait à prévoir en l’absence d’accord. Pour y remédier, certaines compagnies britanniques ont ouvert depuis 2017 des filiales dans des Etats de l’UE afin d’assurer l’ensemble de leurs vols intra-européens ou vers des pays tiers.

Des dizaines de milliers d’emplois menacés

Selon une étude de chercheurs de l’institut IWH, datant de février 2019 et se basant sur l’hypothèse d’un recul de 25 % de la demande pour des produits européens au Royaume-Uni, ce sont 50 000 emplois en France qui seraient menacés par un no deal.

Si un tel scénario se réalisait, le choc serait plus important pour le Royaume-Uni que pour les Vingt-Sept : une étude publiée en janvier 2018 par le cabinet de recherche Cambridge Econometrics avait estimé qu’au total 500 000 postes au Royaume-Uni étaient menacés par un “Brexit dur” .

Quels territoires subiraient l’impact le plus important ?

Les régions qui seraient les plus touchées par un no deal sont sans conteste celles situées sur le littoral de la Manche : à savoir les Hauts-de-France, la Bretagne et la Normandie. Par leur situation géographique, elles sont intimement liées à la Grande-Bretagne dans leurs échanges.

Pour les Hauts-de-France, le Royaume-Uni représentait 8,8 % des exportations régionales en 2019, en troisième position derrière la Belgique et l’Allemagne. Un retour des barrières douanières et des contrôles pourrait donc particulièrement perturber les échanges.

En Bretagne, pas moins de 500 entreprises commercent avec le Royaume-Uni. Et pour la plupart d’entre elles, échanger avec un Etat tiers, en dehors du marché commun, relève du saut dans l’inconnu. L’ensemble des paramètres à prendre en compte (douanes, normes phytosanitaires et sécuritaires différentes, démarches administratives…) devra les amener à faire évoluer leurs stratégies commerciales. C’est pourquoi la région a mis en place un numéro vert à leur disposition, pour qu’elles puissent se préparer au mieux aux conséquences d’un no deal. Le ministère de l’Economie de son côté a lancé un outil d’autodiagnostic pour permettre aux entreprises de mesurer l’impact du Brexit sur leur activité.

En Normandie, 53 entreprises britanniques étaient implantées sur le territoire en janvier 2019, soit plus d’une entreprise étrangère sur dix. Le Royaume-uni était alors le 4e client et le 7e fournisseur des entreprises de la région.

Port du Havre, Normandie - Crédits : Nicolas Gihr / iStockLa Normandie et son activité portuaire importante comme ici au Havre, fait partie des régions fortement impactées par un éventuel no deal - Crédits : Nicolas Gihr / iStock

Dans ces trois régions, ce sont surtout les ports, points névralgiques des échanges, qui seront en première ligne en cas d’absence d’accord sur la relation future. Avec le retour des formalités pour les camions, des files d’attentes monstres au départ pour la Grande-Bretagne ne sont pas à exclure, tant les volumes des marchandises sont importants. Et ce même si les nouvelles formalités ne devaient durer que quelques minutes supplémentaires par rapport à la situation actuelle.

En janvier 2019, le gouvernement français avait déclenché un plan national pour faire face à un premier no deal, alors que le Royaume-Uni pouvait quitter l’Union européenne le 29 mars de la même année sans période de transition. Il avait alors investi 50 millions d’euros de dépenses publiques dans des travaux d’aménagements dans les ports et les aéroports (comme des parkings destinés à accueillir les véhicules en attente de contrôle), ainsi que 600 embauches, de douaniers notamment. Ces dispositions restent d’actualité pour 2021 en l’absence d’accord sur la relation future.

Mais si les conséquences d’un no deal seront sans doute les plus présentes dans les Hauts-de-France, en Bretagne et en Normandie, l’ensemble du territoire français devrait en subir l’impact. A plus ou moins grande échelle, en fonction des échanges commerciaux.

Quel avenir pour les résidents et voyageurs ?

Plus de 150 000 citoyens britanniques résident sur le territoire français. En application de l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, chaque ressortissant britannique résidant en France avant le 31 décembre 2020 ou venant s’y installer avant cette date devra obligatoirement détenir un visa mention “Accord de retrait” à partir du 1er juillet 2021. La demande peut s’effectuer en ligne depuis octobre 2020. En savoir plus.

Pour les expatriés français Outre-manche, le gouvernement a d’ores et déjà mis en place un statut de résident permanent (settled status) pour les ressortissants européens et les membres de leurs familles, permettant de résider de manière illimitée au Royaume-Uni. Les demandeurs doivent pour cela justifier de 5 années de résidence (de manière continu) sur le territoire britannique et adresser leurs requêtes avant le 30 juin 2021. Pour les autres un pré-statut de résident permanent (pre-settled status) sera attribué dans l’attente de remplir la condition des 5 années de résidence. En savoir plus.

Pour les voyageurs, touristes et professionnels, qui souhaitent se rendre au Royaume-Uni, des contrôles douaniers seront rétablis quelle que soit l’issue des négociations. Dans tous les cas, les particuliers devront remplir un formulaire en indiquant soit leurs déclarations, soit qu’ils n’ont “rien à déclarer” . Pour les professionnels, les formalités douanières seront systématiques. En cas d’absence d’accord cependant, les particuliers ayant des biens à déclarer ainsi que les professionnels devront s’acquitter de droits de douane.

“Que signifierait un no deal” au Royaume-Uni ?

Le groupe de réflexion “The UK in a changing Europe” a publié le 23 septembre 2020 sa dernière étude, en partenariat avec la London School Economics, intitulée “What would no deal mean?” . Celle-ci anticipe l’impact d’une absence d’accord avec le Royaume-Uni.

Les auteurs en arrivent à la conclusion qu’un no deal aurait un impact économique trois fois supérieur à celui de la pandémie de Covid-19. L’étude évalue à 5,7% la baisse du PIB britannique sur une quinzaine d’années.

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