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António Vitorino : “N’utilisons pas le saut fédéral comme alibi pour ne pas faire ce qui doit et peut être fait dès maintenant”

Ancien ministre, député et commissaire européen, le Portugais António Vitorino est président du think tank Notre Europe - Institut Jacques Delors. Alors que s’ouvre aujourd’hui à Bruxelles le Conseil européen, il revient pour Touteleurope.eu sur le rapport intérimaire sur l’union économique et monétaire présenté par Herman Van Rompuy, l’union bancaire, le TSCG, et l’avenir du projet européen. Entretien.

Le président du Conseil européen Herman Van Rompuy, en collaboration avec les présidents de la Commission, de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe, a présenté son rapport intérimaire sur le renforcement de l’Union économique et monétaire (UEM). Jugez-vous les propositions de ce rapport suffisamment ambitieuses face à la crise que traverse l’Europe ?

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Cette semaine Notre Europe est devenue Notre Europe - Institut Jacques Delors, a changé son logo, optant pour le symbole de la boussole, et donné un coup de jeune à son site Internet. Son président M. Vitorino revient en vidéo sur ces évolutions et le rôle d’influence de ce think tank dans le grand débat européen.

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António Vitorino : Il s’agit d’un rapport intérimaire, les conclusions définitives ne seront prises qu’au Conseil européen de décembre. Pour le moment, ce rapport est encourageant : les quatre unions sont conservées (union bancaire, union budgétaire, union économique et union politique, qui renvoie à la responsabilité et la légitimité démocratiques) et les propositions ouvrent des pistes pour l’avenir, qui sont importantes. Sur le degré d’ambition, on ne pourra juger qu’au moment des conclusions finales !

Je crois que le rapport pose les bonnes questions, mais il faut cibler les priorités. A court terme, la principale priorité, qui d’ailleurs n’implique pas de changement dans les traités, c’est l’union bancaire, qui a trois composantes essentielles. La première, j’espère qu’on pourra y parvenir au préalable, c’est la création d’une supervision bancaire unique au niveau européen, pour briser le cercle vicieux entre la situation bancaire et la dette souveraine. Je crois qu’on doit être ambitieux dans la portée de la supervision, qu’elle doit être attribuée à la Banque centrale européenne, tout en sauvegardant la différenciation entre la fonction d’autorité monétaire et la fonction de supervision. Il faut prendre des garanties juridiques pour éviter les conflits d’intérêts. Ceci étant dit, il est sensé de soumettre l’ensemble des banques européennes à des règles supervision communes, donc la responsabilité ultime devrait revenir à la BCE sur les 6 300 banques existant dans l’Union européenne, mais du point de vue pratique il faudra une répartition des tâches entre ce qui revient directement à la BCE et ce qui est fait en étroite collaboration avec les superviseurs nationaux c’est-à-dire les banques centrales de chacun des Etats membres.

Les deux autres volets, essentiels pour une union bancaire digne de ce nom, consistent en une garantie commune des dépôts et un mécanisme de redressement des banques. Sur ces deux éléments je pense qu’il y a un certain vide, la Commission européenne n’a pas fait de proposition sur ces points et le rapport de Van Rompuy ne posent ces questions qu’à moyen terme. Si je suis d’accord avec l’idée d’une construction graduelle et progressive de l’union bancaire, je pense, comme nous l’avons souligné à Notre Europe avec le rapport du Groupe Tommaso Padoa-Schioppa, que nous ne pouvons nous passer de ces deux volets.

En ce qui concerne l’union budgétaire, je trouve très intéressante l’idée avancée par Herman Van Rompuy d’avoir des relations contractuelles entre les Etats membres et les institutions européennes pour définir des objectifs à atteindre, auxquels devront être soumis les budgets nationaux. Dans une zone monétaire commune, il faudra de plus avoir une coordination étroite des politiques économiques nationales, orchestrée au niveau européen, y compris en ce qui concerne les projections budgétaires, mais il faut conserver le pouvoir de contrôle des parlements nationaux sur les budgets nationaux. La façon de surmonter cette ‘tension de légitimité’ c’est précisément de travailler sur la base d’une relation contractuelle dans laquelle les Etats prennent des engagements vis-à-vis des institutions européennes dans le cadre de négociations, mais également des incitations financières qui puissent aider les Etats à appliquer des réformes structurelles qui sont nécessaires mais qui ont un coût, des éléments négatifs sûrement sur le court terme, mais surtout qui ne produisent des résultats que sur le moyen terme. Pour ‘remplir’ ce temps d’attente entre le moment où sont décidées les réformes et le moment où on bénéficie des résultats, il est bien d’avoir des négociations qui puissent permettre d’inciter les Etats.

Finalement, du point de vue de la légitimité démocratique, il est évident que plusieurs des décisions qui sont prises le sont par les représentants des peuples au niveau national. Il faudra trouver des solutions qui puissent mettre ensemble la légitimité démocratique incontestable du Parlement européen en tant que représentant des citoyens européens au niveau de l’Union européenne et la légitimité démocratique, également incontestable, des parlements nationaux au niveau des Etats membres. Il faudra donc trouver des plateformes d’entente et de coopération entre les instances parlementaires à différents niveaux pour garantir la légitimité démocratique des décisions européennes. On a donc du pain sur la planche ! C’est un projet ambitieux qui va exiger, pour certains de ces éléments, une révision, à terme, des traités, mais pour le moment on doit définir le tableau et définir ensuite les étapes pour y parvenir.

Lors du Sommet franco-espagnol à Paris les deux dirigeants ont affirmé qu’ils soutiendraient la mise en place de cette union bancaire d’ici la fin de l’année. Pensez-vous que cet objectif soit réaliste au regard des blocages qui persistent, notamment du côté de l’Allemagne ?

António Vitorino : La France et l’Allemagne continuent de jouer un rôle de moteur de la construction européenne et un accord franco-allemand pour la poursuite de l’intégration européenne me parait essentiel. Ceci étant dit, la France est également particulièrement bien placée pour garantir des voies dialogue avec d’autres Etats, surtout des pays du Sud de l’Europe et l’exemple que vous avez donné est l’un des exemples possibles, il y a également eu une réunion de plusieurs ministres européens à Rome à l’invitation de M. Monti récemment. La France a un rôle à jouer, celui de facilitateur des ententes les plus élargies possibles pour faire avancer le projet européen.

Je me réjouis du fait que la France reconnaît la priorité de l’union bancaire et, au moins en ce qui concerne le système de supervision unique, j’espère qu’en décembre on aura une décision. Je ne peux pas vous garantir que tous les mécanismes pratiques de mise en fonctionnement seront opérationnels au 1er janvier 2013 mais il s’agit d’une priorité et j’espère que tous les pays feront les concessions, comme d’habitude nécessaires, pour trouver un accord en décembre sur le volet de la supervision bancaire. Je tiens à souligner qu’au-delà de la question de la supervision, qui divise encore les Etats membres, on ne peut pas laisser tomber le débat sur les deux autres éléments co-existentiels de l’union bancaire.

Il est cependant possible que ces deux autres volets impliquent une révision des traités … Cette exigence juridique ne risque-telle pas de mettre un frein sur cette partie du projet ?

António Vitorino : Il est évident qu’il y a des questions juridiques importantes car l’Union européenne est une union de droit et le fait qu’on ait des règles communes et qu’on les respecte, notamment les limites du traités, est un élément rassurant pour tous les Etats membres. Il faudra bien distinguer quelles sont les réformes qui pourront être appliquées immédiatement, sans révision des traités, ce qui est le cas indiscutable du superviseur unique, et celles qui exigeront une réforme qui aura sans doute une portée plus importante et qui prendra donc plus de temps.

Je n’ai pas de doctrine pré-conçue sur le besoin de révision des traités pour les deux autres volets de l’union bancaire, mais lorsque l’on touche aux questions de légitimité démocratique au niveau européen, s’il s’agit notamment de renforcer les pouvoirs du Parlement européen et de mettre en place des plateformes de coopération avec les parlements nationaux, ça peut ici et là exiger des modifications du traité.

Dans son rapport Notre Europe propose de prendre le plus de mesures nécessaires, mais le moins possible. A l’inverse certaines voix s’élèvent en Europe pour demander le saut fédéraliste. L’intégration nécessaire en Europe n’exige-t-elle pas que ce saut soit fait ?

António Vitorino : Dans le Groupe Tommaso Padoa-Schioppa nous avons essayé de démontrer qu’il était possible de bâtir une union économique et monétaire consistante, cohérente, sans exiger des bouleversements de fond d’un point de vue d’un saut fédéral. Dans le détail, il y a toujours beaucoup de divergences sur ce que ce ‘saut’ signifie. Nous avons cherché à démontrer que l’absence d’un tel saut fédéral ne devait pas être l’alibi pour ne pas faire ce qui doit être fait dans l’immédiat selon une logique, qui est d’ailleurs celle des Pères fondateurs, qui est celle des petits pas dans la construction européenne. Nous avons d’ailleurs bien distingué l’objectif final et les étapes.

Le débat sur l’avenir de l’Union européenne est un débat bienvenu ! La contribution par exemple de Daniel Cohn-Bendit et de Guy Verhofsdadt est une contribution sans doute très importante. Sans être un fédéraliste comme eux, je crois que la pression de la crise, et le besoin de récupérer la confiance des citoyens dans le fil conducteur du projet européen ne peut pas attendre le temps d’un saut fédéral qui sera l’objet d’un débat long et d’une procédure d’amendements des traités qui est une procédure lourde, soumise à des processus de ratification qui prennent aussi du temps. Donc n’utilisons pas le saut fédéral comme alibi pour ne pas faire ce qui doit être fait, tout en ouvrant la porte au débat sur les options du modèle final.

En 2014 les élections européennes pourront permettre la présentation de candidats à la présidence de la Commission européenne pour chaque parti européen. Vous avez été commissaire européen, pensez-vous que cela pourra renforcer le rôle de la Commission, et notamment la confiance et l’intérêt des citoyens européens envers l’Union européenne ?

Bio

Né en 1957 à Lisbonne, António Vitorino, diplomé d’une licence de droit et d’un master en sciences politiques, st avocat de profession. Elu député en 1980, il est nommé Secrétaire d’Etat aux Affaires parlementaires dans le gouvernement de Mario Soares (1983-1985), puis Secrétaire adjoint du Gouvernement de Macao (1986-1987). Il est juge à la Cour constitutionnelle du Portugal (1989-1994) avant d’être élu député européen en 1994. En 1995, António Vitorino devient Vice Premier Ministre et Ministre de la Défense du Portugal. Il devient commissaire européen à la Justice et aux Affaires intérieures en 1999 et exerce ces fonctions jusqu’en 2004. En tant que représentant de la Commission européenne, il a participé aux travaux de la Convention chargée de rédiger la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à ceux de la Convention sur l’avenir de l’Europe.

António Vitorino : Je trouve très positif qu’à l’occasion des élections au parlement européen en 2014 on puisse avoir des projets sur l’avenir de l’Europe qui soit clairs et alternatifs. C’est un élément essentiel de la démocratie que de donner aux citoyens des choix. Toute clarification de ces choix renforce non seulement l’attachement des citoyens au projet européen mais aussi leur sentiment qu’ils ont leur mot à dire , un pouvoir de décision, ce qui n’est pas toujours le cas dans le cadre des élections européennes puisque le choix des électeurs n’a pas de résultats direct sur la composition, par exemple, de la Commission.

C’est pourquoi je suis en faveur de l’idée, qui est d’ailleurs une vieille idée avancée il y a déjà longtemps par Jacques Delors, selon laquelle les partis politiques qui se présentent aux élections au Parlement européen devraient désigner à l’avance leur candidat à la présidence de la Commission européenne. Cela ne correspond pas à une véritable élection au suffrage universel du président de la Commission, car cela exigerait un changement de traité, mais c’est un élément important de clarification des choix politiques.

En ce qui concerne le rôle de la Commission, il est évident que la crise de l’euro a occupé l’agenda européen et que l’euro, tout en étant un objectif commun, puisque tout les Etats y ont souscrit, sauf le Royaume-Uni et le Danemark qui bénéficient d’un opt-out explicite, a toujours été un domaine politique très spécial dans le cadre communautaire, car toujours “à cheval” entre communautaire et l’intergouvernemental. Avec la crise, l’ampleur des fonds nécessaires pour donner les garanties aux pays sous assistance financière dépasse beaucoup la portée du budget européen. On peut donc comprendre facilement que l’importance des moyens financiers nécessaires a donné au Conseil européen et aux Etats un rôle central dans la gestion de la crise, et cela a d’une certaine façon marginalisé le rôle de la Commission.

Cependant, il faut également reconnaître que les changements introduits, surtout le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), renforcent les compétences de la Commission mais aussi de la Cour de justice de l’Union européenne.

Il y a donc une dynamique nouvelle, dans laquelle le rôle central revient aux chefs d’Etat et de gouvernement mais, dans la pratique, les changements qui ont été introduits ont aussi permis le renforcement des compétences des institutions communautaires.

Quel regard portez-vous justement sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Est-ce une étape nécessaire ? Que répondre à ceux qui craignent l’austérité ?

António Vitorino : Le fait que l’on ait approuvé le TSCG et en même temps le Pacte pour la croissance et l’emploi prouve que les deux choses doivent aller de paire. La logique de l’austérité par l’austérité est en train d’aggraver la situation en Europe, non seulement pour les pays sous assistance financière mais aussi dans d’autres pays, y compris en Allemagne, puisque cela nuit à notre compétitivité sur le plan internationale et à la croissance européenne. la crise de plus des populations plus fortement, comme par exemple les jeunes chez qui le chômage atteint des proportions tout à fait inacceptables du point de vue de la cohésion sociale.

Il faut maintenant renforcer les stimuli de la croissance économique et je vois que quelques-unes des décisions qui ont été prises, dans une large mesure à al demande de la France, comme par exemple les project bonds, la ré-allocation des fonds structurels (35 milliards d’euros), la facilité de crédit rapide à hauteur de 120 milliards d’euros, le renforcement du capital de la Banque européenne d’investissement et la possibilité d’utiliser en plus 60 milliards de prêts de la BEI, le programme d’aide aux PME et le programme de la Commission sur le chômage des jeunes … toute cette palette de solutions est ancrée sur la croissance et j’espère commencera à produire des résultats car les Européens les attendent. La légitimité des solutions européennes dépend en grande partie des résultats qu’elles peuvent produire dans la vie des gens. L’austérité fait partie de la réponse, mais n’est pas à elle seule la réponse.

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