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Pour préserver le patrimoine cinématographique européen, une solution numérique ?

Dans 100 ans, que restera-t-il des milliers de films réalisés depuis la création du cinéma par les frères Lumières ? La révolution du numérique permettra-t-elle d’en finir avec les bobines qui s’empilent dans les archives ? Pas si sûr. Obsolescence des disques de stockage, coûts exorbitants, ou encore manque de main d’œuvre qualifiée sont autant de menaces qui pèsent sur la préservation du patrimoine cinématographique. Depuis plus de 15 ans, l’Union européenne tire la sonnette d’alarme et encourage les pays à coopérer pour tenter de répondre à un défi majeur du XXIème siècle.

Cinéma et numérique
Crédits : fredmantel

Un support fragile

Alors qu’il n’a que 115 ans d’existence, le cinéma est déjà grièvement amputé d’une partie de son patrimoine. Rien que pour les films muets, la perte est estimée entre 80 et 90%. Pourquoi ? Car la majeure partie de notre héritage cinématographique se trouve sur un support délicat : la pellicule, qui requiert une conservation méticuleuse. Décomposition, moisissure voire incendie pour les films hautement inflammables utilisées avant 1954 : les risques qui s’imposent à elle sont en effet nombreux.

Dès la première moitié du XXème siècle, quelques pays ont pris conscience de l’importance de la conservation de ce patrimoine. Ils se dotent alors de cinémathèques, chargées de collecter et préserver les films produits ou diffusés dans leur pays. A Londres, le British Film Institute voit le jour en 1933, suivi par la Cinémathèque française à Paris en 1936, puis la Cinémathèque royale de Belgique à Bruxelles en 1938.

Aujourd’hui, tous les pays membres de l’Union européenne disposent d’au moins une institution d’archivage du patrimoine cinématographique, ou FHI (pour Film Heritage Institution). Mais les disparités sont criantes : alors que plus de 400 personnes travaillent pour des FHI en France, le chiffre passe sous la barre de 10 en Irlande, en Slovénie ou encore en Grèce.

Préoccupation européenne

De quoi inciter les institutions européennes à s’impliquer dans la préservation de l’héritage cinématographique du continent. En 2000, par le biais d’une résolution, le Conseil de l’UE reconnaît ainsi l’importance des archives cinématographiques et alerte sur “les altérations matérielles irréversibles” qu’elles pourraient subir. Les ministres européens de la Culture recommandent en outre une étude transnationale sur l’état des archives et souhaitent lancer des échanges pour instaurer de véritables lignes directrices européennes dans le domaine.

Et au-delà de la fragilité des supports, le Conseil s’inquiète de l’absence de dépôt légal dans certains pays membres. Cela signifie qu’il n’existe aucune obligation pour les producteurs de déposer une copie de leur film auprès d’une institution nationale, entraînant des risques majeurs de perte ou décomposition sur le long terme.

L’action européenne s’accroît en 2005. Le Parlement européen et le Conseil de l’UE publient alors une recommandation commune sur “le patrimoine cinématographique et la compétitivité des activités industrielles connexes” . Les deux institutions donnent deux ans aux Etats membres pour adapter leur législation, et obliger la collecte, la préservation et la restauration systématique du patrimoine cinématographique. Depuis, tous les deux ans, la Commission publie un rapport sur la mise en œuvre de ses recommandations.

Une librairie de sauvegarde à Genève, Suisse.
Crédits : Cory Doctorow

Le numérique comme voie de sauvegarde ?

Aujourd’hui face à la fragilité des archives cinématographiques, la numérisation pourrait apparaître comme la clé du problème. Plus besoin de contrôler la chaleur, le taux d’humidité et les éventuelles moisissures : tout serait stocké sur des supports informatiques. La solution paraît d’autant plus intuitive que les supports dits analogiques (les pellicules) disparaissent progressivement pour laisser la place aux projections numériques.

La réponse n’est pourtant pas si évidente. Alors que nous sommes capables de conserver des feuilles de papier sur plusieurs siècles, nos disques durs modernes ont une durée de vie de 3 à 7 ans, nécessitant un renouvellement régulier. Ajouté à cela, les technologies sont de plus en plus rapidement obsolètes. Comment garantir alors que dans 100 ans, il sera encore possible de lire les fichiers contenus sur les disques d’aujourd’hui ? Comme le souligne un rapport de 2015 de la Commission européenne, si les FHI sont toutes conscientes du problème, peu ont mis en œuvre des solutions. La Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas font partie des pays qui essaient d’adopter leurs systèmes d’archives au numérique. Mais c’est surtout l’action de la Suède qui est mise en avant : le pays a élaboré un système de conservation sophistiqué qui consiste à stocker les films sur deux bandes magnétiques séparées, elles-mêmes placées dans deux “librairies de sauvegardes” et situées à des endroits différents.

“Un fichier ne se décompose pas ou ne moisit pas, il disparaît, là, tout de suite, immédiatement”

Eric Garandeau, président du CNC, en 2013

La question du savoir-faire entre également en jeu. Alors que les laboratoires analogiques ferment massivement, il faut réussir à former des archivistes numériques, tout en maintenant les compétences d’archivage classiques. Le rapport de 2015 de la Commission européenne admet que la formation professionnelle dans le domaine a toujours été un point faible de l’UE. En Grèce, en Allemagne ou encore aux Pays-Bas, les cinémathèques commencent peu à peu à collaborer avec les universités pour développer des formations dédiées.

Dernier problème de taille : les milliers de données contenues sur les disques durs augmentent le risque de perdre certaines archives. Afin de faciliter la classification et de l’harmoniser entre les pays membres, la Commission européenne a introduit en 2009 des standards, aujourd’hui adoptés par la plupart des FHI européennes.

Le dépôt légal à l’épreuve du digital

Depuis l’alerte faite par le Conseil en 2000, de larges progrès ont été accomplis pour mieux collecter les œuvres diffusées au sein des pays membres. Tous disposent maintenant d’un système de dépôt légal ou d’un équivalent. Mais dans les faits, certains pays comme la Lituanie ne parviennent pas encore à faire appliquer la loi, et ne récoltent qu’une petite partie des films diffusés sur leur territoire.

En parallèle, l’explosion du digital exige une évolution de la législation. Aujourd’hui, seuls quelques pays comme la Roumanie ou le Portugal ne récoltent toujours pas les films projetés numériquement. Mais c’est surtout la France qui se distingue dans le domaine : à l’heure où près de la totalité des cinémas français sont équipés d’écrans numériques, la loi exige que tous les films produits ou diffusés sur en France soient déposés sous la forme d’une copie numérique, et sur pellicule. Même s’ils ont été produits numériquement de bout en bout.

Sauvegarder pour diffuser

Plus largement, la question du cinéma illustre bien les problèmes que soulève l’émergence d’un patrimoine numérique : il nous faut apprendre à le préserver, tout en maintenant les savoir-faire de conservation du patrimoine physique. Si la Commission encourage largement la numérisation des archives, c’est surtout parce que le digital offre une formidable opportunité : rendre accessible à chacun les trésors du patrimoine cinématographique européen.

“Les objectifs de préservation et d’accès ont la même priorité”

British Film Institute, 2011

Dans cette optique, numériser l’ensemble des archives des cinémathèques européennes nécessiterait au moins 1 milliard d’euros. Un coût élevé qui est surtout lié à la difficulté juridique de s’affranchir des droits d’auteurs, non adaptés à la numérisation. En admettant que l’on parvienne à numériser l’ensemble des archives, 140 millions d’euros seraient ensuite nécessaires chaque année pour préserver ce patrimoine numérique.

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