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Mobilité en Europe : vers une meilleure protection des travailleurs

50% des jeunes Européens sans emploi se disent prêts à s’établir dans un autre pays de l’Union européenne pour décrocher un travail. Effet Erasmus ou effet de crise ? Le nombre d’Européens travaillant dans un autre pays de l’Union européenne ne cesse en tout cas d’augmenter. Mais entre dérives, abus et entraves, des réformes et de nouvelles réglementations sont apparues nécessaires pour mieux protéger et encourager ces travailleurs mobiles.

Route en Pologne

“La réussite ou l’échec de l’Europe dépend du bien-être de ses citoyens. L’Europe a renoué avec la croissance. Elle renoue avec le travail. Faisons maintenant en sorte que l’Europe soit de nouveau inclusive”, déclarait Marianne Thyssen, commissaire européenne à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Inclusion, au Monde dans une tribune parue le 29 mars 2018. De fait, l’hiver 2017-2018 a été une période propice aux projets en matière d’Europe sociale et de protection des travailleurs en Europe.

Vers une Europe plus sociale

Si la part des travailleurs mobiles au sein de la population active de l’UE reste faible (3,7%), 17 millions de personnes vivent ou travaillent dans un Etat membre autre que celui dont ils ont la nationalité. Chaque jour, 1,4 million d’Européens se déplacent dans un autre Etat membre pour travailler, et 2 millions de travailleurs du transport routier traversent les frontières de l’UE. Par ailleurs, 2,3 millions de personnes effectuent actuellement une mission de détachement. La protection de ces travailleurs est donc un enjeu crucial pour l’Union européenne.

Jean-Claude Juncker avait révélé le programme dès son investiture en 2014 : “ma Commission sera celle du triple A de l’Europe sociale”. La politique annoncée aura mis du temps à se mettre en place, mais depuis 2016, trois grandes mesures sociales ont vu le jour. Comme le rappelle l’eurodéputée de centre-droit Elisabeth Morin-Chartier, “il ne faut pas voir ces textes comme indépendants les uns des autres mais comme les pièces d’un même puzzle sur l’Europe sociale”.

Annoncé par l’exécutif européen en 2016, le socle européen des droits sociaux a officiellement été lancé au sommet de Göteborg en novembre 2017. Il propose 20 principes communs non contraignants aux Etats membres. Après le compromis adopté par les Etats membres en octobre 2017, le Parlement européen est également parvenu à un accord sur le détachement des travailleurs au sein de l’Union européenne. Enfin, la Commission européenne a publié en mars 2018 une proposition pour la création d’une Autorité européenne du travail qui devrait faciliter la mobilité des travailleurs.

“Tourisme social” , travailleurs détachés et entraves à la libre circulation

“A titre individuel, les citoyens soutiennent la libre circulation des personnes. Mais cela nourrit des débats importants dans certains pays. Au Royaume-Uni par exemple, c’est la question du tourisme social qui fait débat, en France ce sont les travailleurs détachés, et dans d’autres pays ce sera la question de la possibilité d’exporter les allocations familiales”, note Sofia Fernandes, chercheuse pour l’Institut Jacques Delors et auteure d’un papier sur le projet d’Autorité européenne du travail.

Au Royaume-Uni, le “tourisme social” avait en effet été l’un des thèmes des élections générales de 2015. L’hypothèse avancée par les conservateurs était que des citoyens européens migreraient dans d’autres Etats membres afin de toucher des prestations sociales avantageuses. Un phénomène qui, s’il existe, reste très marginal et n’est confirmé par aucune étude réalisée sur ce sujet, note Sofia Fernandes.

L’indexation des allocations familiales a fait l’objet de débats houleux en Allemagne et en Autriche. Une telle mesure consisterait à indexer les allocations familiales sur celles des pays d’origine des travailleurs, dans le cas où ces travailleurs auraient de la famille restée dans leur pays d’origine. Mais une telle proposition n’a pas été transcrite dans la loi et n’est pas à l’ordre du jour…

En France enfin, la question des travailleurs détachés a été l’un des âpres débats de la dernière élection présidentielle. La Commission européenne avait, elle, lancé une proposition de révision de la directive depuis mars 2016 : un texte débattu pendant des mois par les Etats membres et les députés européens, qui se sont enfin accordés en mars 2018 sur la version de la directive à adopter formellement avant l’été.

Si la directive fait autant débat, c’est qu’ “il y a aujourd’hui beaucoup d’abus et de fraudes”, constate Sofia Fernandes. Car en l’absence d’harmonisation des charges sociales au sein de l’Union européenne ou d’une meilleure coordination des autorités nationales, des employeurs peu scrupuleux tirent profit de cette directive pour pratiquer du “faux détachement” . Ils engagent par exemple des travailleurs de pays de l’Est pour travailler dans les pays de l’Ouest, au salaire minimum du pays d’accueil, mais avec les charges sociales moins importantes du pays d’origine du travailleur.

Une meilleure coopération permettrait ainsi par exemple de vérifier plus rapidement “la validité des certificats attestant l’affiliation du travailleur au système de sécurité sociale du pays d’origine ou de confirmer que l’entreprise a une activité réelle et effective dans son pays d’origine”, indique Sofia Fernandes dans son étude.

Elisabeth Morin-Chartier, rapporteure au Parlement européen pour la révision de la directive sur les travailleurs détachés, se félicite de l’accord obtenu en mars 2018, qui imposera aux employeurs d’appliquer les charges sociales du pays d’accueil. Cette mesure, avec “l’Autorité européenne du travail et la révision du règlement de sécurité sociale [prévue dans le programme de travail 2016 de la Commission européenne], permettra de mettre en place la politique sociale européenne voulu par Jean-Claude Juncker”, indique la députée.

La dispersion des nombreuses sources d’information sur les droits et les obligations des travailleurs et employeurs constitue également une forme d’entrave à la mobilité Leur dispersion et complexité représentent ainsi une entrave à une mobilité “équitable” , où chacun aurait accès aux mêmes informations. L’Autorité européenne du travail devrait remédier à ce problème.

Enfin, en l’absence d’autorité compétente en cas de litige entre les autorités nationales, les Etats membres concluent entre eux des accords bilatéraux. Mais en l’absence d’accord entre les pays, les processus de résolution des litiges peuvent se révéler longs et complexes. Or dans des situations de travail détaché, donc de missions de courte durée, la résolution de ces conflits nécessite une réponse rapide. Là encore, le projet d’Autorité du travail devrait aider à surmonter cet obstacle.

Faciliter la mobilité des travailleurs

L’Autorité européenne du travail devrait être opérationnelle dès 2019 et prendrait la forme d’une agence décentralisée de l’Union européenne. “Cela semble absurde d’avoir une autorité bancaire pour surveiller les systèmes bancaires mais de ne pas avoir d’autorité du travail pour notre marché unique, affirmait ainsi Jean-Claude Juncker en septembre 2017 lors de son discours sur l’état de l’Union européenne.

Cette proposition, ambitieuse, confère à l’Autorité plusieurs rôles : tout d’abord, informer les individus et les employeurs sur leurs droits et obligations, sur l’emploi en Europe, l’apprentissage, la mobilité, le recrutement et la formation. L’Autorité devrait ainsi regrouper les différents services existants sur une même plateforme d’information. Elle devra également faciliter la coopération entre les Etats membres pour l’application des lois transfrontalières, notamment en facilitant les inspections menées de façon conjointe. Enfin, l’Autorité aura un rôle de médiateur en cas de conflits entre les autorités nationales.

Comme l’explique Marianne Thyssen, dans sa tribune publiée dans le Monde : “l’Autorité européenne du travail permettra aux citoyens et aux entreprises de trouver leurs marques sur un marché du travail de plus en plus européen en facilitant l’accès à l’information”.

Sur la même ligne, Elisabeth Morin-Chartier estime que “l’Autorité européenne du travail est une bonne proposition. Elle va clarifier la surveillance des règles qui régissent la mobilité des travailleurs dans l’espace européen”.

C’est en effet “au niveau européen que l’on peut coordonner l’action des Etats afin de réduire les situations d’abus et de fraude qui véhiculent une mauvaise image de la mobilité” , estime Sofia Fernandes, qui ajoute : “En soi, la mobilité est quelque chose de positif pour les citoyens, les entreprises et les Etats membres”. L’Autorité permettra donc “de faciliter l’accès à l’information pour les entreprises et les citoyens” et “d’être un guichet unique, un ‘one stop shop’ pour les entreprises et les citoyens. Et un endroit où on peut avoir accès à l’information dont on a besoin quand on veut aller travailler dans un autre pays ou pour les entreprises lorsqu’on veut faire une prestation de service dans un autre pays”. Une vraie avancée pour les travailleurs, car “ce n’est que lorsque l’on connait ses droits que l’on peut les faire valoir”, affirme la chercheuse.

Du côté des partenaires sociaux, l’Autorité européenne est reçue avec un relatif enthousiasme par les syndicats, qui entendent jouer un rôle dans cette nouvelle agence européenne. Le patronat se montre plus réticent et redoute des complications pour les entreprises. Toutefois, “l’objectif n’est pas de rendre la vie plus difficile aux entreprises, mais plutôt de la simplifier. Tout en étant très ferme à l’encontre des pratiques déloyales qui existent aujourd’hui”, rappelle Sofia Fernandes. Reste maintenant à connaître la position du Parlement européen, qui n’a pas encore mis à son agenda la discussion de cette proposition, et celle des Etats membres, pour savoir si l’ambition de la Commission se concrétisera.

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