Drag-queen des Alpes autrichiennes et lauréate de l’Eurovision 2014
“Cette soirée est dédiée à tous ceux qui croient à un avenir qui se construira grâce à la paix et à la liberté. L’Eurovision est un projet qui célèbre la tolérance, l’acceptation et l’amour. Nous sommes l’unité et rien ne peut nous arrêter” . C’est dans une longue robe dorée ajustée, les larmes aux yeux et le maquillage coulant légèrement que Conchita Wurst a prononcé ce discours à Copenhague, le 18 mars dernier, juste après avoir été récompensée de l’Eurovision 2014.
Le 8 octobre, invitée par le Parlement européen, ses propos ne sont pas différents. “Je donnerai tout ce que j’ai pour soutenir les partisans de la tolérance et du respect. Le sexe, la couleur de la peau ou le passé ne doivent pas compter” , a-t-elle clamé en conférence de presse juste avant de donner un concert d’une heure devant le siège bruxellois du Parlement, face à 2 000 élus, personnels et badauds suffisamment courageux pour braver la pluie.
Thomas Neuwirth - a.k.a Conchita Wurst sur scène - n’a pas eu la partie facile pour en arriver là, au rang de quasi rock star, icone d’une communauté en pleine émancipation. Né en 1988 dans une petite ville des Alpes autrichiennes perdue entre Salzbourg et Linz, la région est conservatrice et chrétienne. Un environnement plutôt hostile pour le jeune homme qui ose néanmoins son coming-out dès l’âge de 14 ans. “Etre un adolescent gay dans un petit village d’Autriche, ce n’est pas drôle” , confirme pudiquement celui qui n’a aujourd’hui plus que des vêtements dans son placard.
Conchita Wurst vs. Thomas Neuwirth
Sa simple sélection comme représentant de son pays au concours de l’Eurovision avait entrainé son lot de critiques. Ses détracteurs ont reproché à la radiotélévision publique autrichienne de l’avoir choisie arbitrairement, sans procéder à des auditions. Et même suite à son franc succès continental - Conchita Wurst est arrivée en tête des votes dans 13 des 26 pays participants - les messages de félicitations de la classe politique autrichienne ont parfois été discrets. Si elle a bien été reçue en grande pompe par le président (de centre-gauche) Heinz Fischer, le vice-chancelier Michael Spindelegger, chef du parti chrétien-démocrate, s’est quant à lui contenté de saluer… Thomas Neuwirth. Tout un symbole.
Mais finalement relativement inoffensif en comparaison des déclarations du FPÖ, le parti d’extrême-droite autrichien, intitulé… Parti de la liberté en français (accessoirement proche du Front national pour la constitution d’un hypothétique groupe politique au Parlement européen). Pour son chef, Heinz-Christian Strache, la nomination de Conchita Wurst était de nature à “ridiculiser” l’Autriche. Tout en rappelant que le parti préfère Ugo Jürgens, le seul autre lauréat autrichien de l’Eurovision, en 1966 (!), “car au moins lui chante en allemand” .
Icone d’un combat (encore) en cours
Au Parlement européen également, l’accueil de Conchita Wurst n’est pas toujours chaleureux, quoique toutefois dénué de remarques déplacées sur son allure ou inclinations sexuelles. Au sein de l’institution, sa plus grande supportrice est sans conteste Ulrike Lunacek, eurodéputée écologiste autrichienne ouvertement lesbienne. C’est elle qui fut à l’initiative de son apparition au Parlement. Une opération de surcroît bon marché - 17 000 euros en tout pour le déplacement et l’organisation du concert.
La plupart des groupes parlementaires ont mis la main à la poche et apposé leur logo sur le flyer. Un coup de pub plus qu’un engouement général. José Bové, autre écologiste, trouve sa musique “nulle” . Tandis que Marielle de Sarnez, membre des Libéraux et démocrates et Nadine Morano, du Parti populaire européen, avaient “mieux à faire” que d’assister au concert, il est vrai organisé en parallèle des auditions des commissaires européens. L’Allemande Beatrix von Storch, membre du parti eurosceptique Alternative Für Deutschland, va quant à elle plus loin, estimant que la venue de Conchita Wurst était carrément inutile, les droits des homosexuels étant acquis et que “le sujet n’a été que trop abordé” .
Conchita Wurst, personnage clivant au message pourtant consensuel et en accord avec les valeurs européennes. La chanteuse le dit elle-même, elle ne réclame pas qu’on l’aime, simplement qu’on respecte ce qu’elle est. Pas question de suivre les pas de Nana Mouskouri, l’artiste grecque, adulée par la communauté LGBT, devenue eurodéputée. Juste diffuser son discours, comme auprès de Ban Ki-moon le secrétaire général des Nations unies ; de chanter, notamment au Crazy Horse de Paris, et de continuer d’être Thomas Neuwirth dans l’intimité.
“Wurst” signifie saucisse en allemand. Mais il existe aussi une expression : “Das ist mir Wurst” . Traduction littérale : “ça m’est saucisse” , ou “ça m’est égal” en bon français. Indifférence. Indifférence des genres.
Portrait réalisé en partenariat avec 28’ARTE