Comment agir pour empêcher ces drames ? La Commission européenne a de nouveau avancé quelques pistes, dont les dirigeants européens ont débattu lors d’un Sommet exceptionnel le 23 avril. Tandis que certains responsables politiques, chercheurs et associations mettent en avant d’autres propositions. Passage en revue des principales mesures avancées ici et là.
Renforcer les opérations de sauvetage en mer
Menée en 2014 par l’Italie, l’opération de sauvetage Mare Nostrum avait permis, selon Rome, de sauver 150 000 vies. Sa remplaçante européenne Triton, mise en œuvre par l’agence Frontex, est quant à elle exclusivement dédiée à la surveillance et non au sauvetage, même si elle doit aussi secourir toute personne naufragée conformément au droit de la mer. Disposant, avant le sommet européen, d’un budget d’environ 3 millions d’euros par mois, soit trois fois moins que son prédécesseur, elle faisait preuve d’un manque de moyens matériels et techniques pour mener à bien sa mission. Enfin, son champ d’action reste limité aux eaux territoriales des pays de l’UE, alors que Mare Nostrum permettait aux navires italiens d’aller jusqu’aux côtes libyennes.
Mieux contrôler les navires en Méditerranée : c’est l’une des options envisagée par les Européens. A la fois pour identifier ceux qui transportent illégalement des migrants et pour réagir plus rapidement en cas de naufrage. Encore faut-il que cet objectif de sauvetage soit clairement mentionné, ce que refuse par exemple le Royaume-Uni. Motif : une telle mission constituerait aussi un “appel d’air” pour les migrants.
Conseil conjoint Affaires étrangères / Intérieur, le 20 avril 2015 - © Union européenne
Ainsi, la Commission européenne a proposé de doubler les moyens financiers de Triton et d’augmenter son champ d’action. Or, si surveiller l’ensemble des frontières européennes (y compris terrestre) est impossible, il serait néanmoins faisable de couvrir la Méditerranée. D’aucuns réclament aujourd’hui une “Mare Nostrum européenne” avec un budget conséquent et une participation d’une majorité voire de l’ensemble des Etats membres, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Lutter contre les filières de passeurs
Si les migrants en arrivent à s’entasser sur des navires au péril de leur vie, c’est aussi parce que des filières de “trafiquants” organisent leurs déplacements, depuis leur pays d’origine jusqu’en Europe, dans des conditions particulièrement dangereuses et à prix fort. Identifier et démanteler ces filières, c’est donc aussi limiter la mobilité des migrants… sans oublier que la multiplication et la “professionnalisation” des passeurs ont essentiellement pour cause le renforcement des barrières à l’immigration légale.
Les dirigeants européens prévoient de s’attaquer aux passeurs, en confisquant et en détruisant les embarcations utilisées pour le transport des migrants. La France et le Royaume-Uni vont également saisir le Conseil de sécurité des Nations unies pour demander une intervention militaire ciblant les trafiquants sur le territoire libyen.
La Commission européenne proposait quant à elle d’améliorer le renseignement (meilleure coopération entre agences européennes comme Europol et Frontex, envoi d’officiers dans les pays tiers pour collecter des informations sur les flux migratoires), et de collaborer avec les pays voisins de la Libye pour bloquer les routes utilisées par les migrants.
Dissuader les migrants de venir
C’est un argument régulièrement soutenu, en particulier par l’extrême-droite européenne mais pas uniquement : en rendant encore plus difficile l’accès au territoire européen, voire en réduisant au minimum les droits dont peuvent bénéficier les migrants et réfugiés une fois installés en Europe, on leur ôterait l’envie de venir…
Un raisonnement qui fait l’impasse sur le fait que le durcissement des politiques d’immigration et d’asile européennes a bien lieu depuis ces trente dernières d’années, poussant même les pays de départ et de transit à jouer eux-mêmes le rôle de garde-frontières, sans résultat concret sur la réduction des flux migratoires.
Ainsi, selon l’Organisation maritime internationale (OMI), une agence de l’ONU, plus de 200 000 migrants ont franchi les frontières maritimes de l’Europe méditerranéenne en 2014, contre 60 000 en 2013 et 70 000 en 2011. Et pour l’année 2015, ce sont 500 000 personnes qui pourraient tenter la traversée…
Opération Triton 2014 - Frontex © European Union
Stabiliser les pays du Sud de la Méditerranée
Si l’on veut bien admettre que la plupart des migrants attirés par l’Europe préféreraient généralement rester chez eux mais ont souvent de bonnes raisons de fuir, améliorer la gouvernance politique et la santé économique de leurs pays d’origine est évidemment la meilleure chose à faire pour éviter à ces hommes et femmes de tenter l’expérience. C’est d’ailleurs la mesure la plus consensuelle, sur laquelle s’accordent la grande majorité des partis européens, de l’extrême-gauche à l’extrême droite.
Bien que les politiques de coopération au développement soient déjà l’apanage des Etats européens depuis plusieurs dizaines d’années, l’option d’un renforcement de l’aide en Libye, pays aujourd’hui en plein chaos et d’où est parti le navire qui a fait naufrage ce week-end, est sur la table. Des dirigeants européens comme Matteo Renzi ou Alexis Tsipras vont jusqu’à souligner la nécessité d’un rétablissement de la paix en Libye, mais les Européens ne sont pas prêts à y lancer une nouvelle opération militaire à cet effet, préférant pour le moment cibler les filières de passeurs.
Toutefois, le principal objectif visé par les Européens en renforçant la stabilité des pays d’Afrique du Nord, est de mieux coopérer avec ces pays de transit pour contrôler l’immigration. Rôle que jouent actuellement certains pays comme le Maroc, et qu’assurait la Libye sous le règne du général Kadhafi, avant que la région ne devienne le théâtre de la guerre civile…
Faciliter l’immigration légale
Plutôt que d’obliger les migrants à emprunter des voies coûteuses et dangereuses pour un voyage qu’ils sont de toute façon décidés à faire, pourquoi ne pas simplement leur garantir plutôt un accès légal au territoire européen ?
Faciliter l’immigration légale : depuis longtemps soutenue par des partis de gauche et des associations, cette option est aujourd’hui considérée par de plus en plus de chercheurs comme plausible, ainsi que le montre par exemple la journaliste Maryline Baumard dans Le Monde. Outre le fait que la fermeture des frontières n’a jusqu’à maintenant pas empêché les migrants de venir, la libéralisation de l’immigration pourrait avoir des conséquences économiques positives pour les pays européens. A condition de renforcer, de l’autre côté, la répression contre le travail clandestin.
Voir aussi : Conférence de presse de François Hollande suite au Sommet européen du 23 avril