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Une campagne sans vote : la présidentielle des étrangers communautaires

À quelques jours du premier tour de la présidentielle, seraient-ils les oubliés de la campagne ? Ils représentent près de 1,4 million d’individus, issus principalement du Portugal, d’Espagne et d’Italie. Les “étrangers communautaires”. Des personnes originaires d’États membres de l’Union européenne et résidant en France. Dans le contexte de la campagne, ils font face à une impasse : inéluctablement affectés par le résultat de cette dernière, ils ne pourront voter les 23 avril et 7 mai prochains.

De ce fait, comment perçoivent-ils les élections ? Nous sommes allés à la rencontre de certains d’entre eux, recueillir leurs points de vue, leurs attentes, ainsi que leurs appréhensions quant à ce scrutin majeur de la vie politique française.

Rassemblement d'Européens lors de la manifestation Pulse of Europe, le 2 avril 2017

Suivre la campagne présidentielle “avec passion”

Je me suis informé sur les programmes des cinq principaux candidats et j’ai suivi les débats des deux primaires. Bien que je ne me sois pas mobilisé en tant que militant, je soutiens un candidat dans chacune de mes discussions sur la présidentielle” . Alexandru, Roumain de 22 ans, est arrivé en France il y a quatre ans dans le cadre de ses études à Sciences Po. Après deux années à Dijon puis une en Suède, il s’est installé à Paris. Le jeune homme montre un fort intérêt pour la campagne présidentielle française. Un paradoxe, sachant qu’il n’a pas le droit de vote ? Pas forcément, bien qu’Alexandru accorde une importance toute particulière à ce dernier, un moyen selon lui de “donner son avis d’une façon institutionnalisée concernant la vie de la cité” .

Ce point de vue se retrouve d’ailleurs chez la plupart des étrangers communautaires que nous avons interrogés. Suivi de l’actualité, des débats télévisés, des programmes : beaucoup s’informent régulièrement sur la campagne et tentent à leur façon d’y participer. “Je ne me suis pas mobilisé directement pour un candidat” , nous confie Hans, d’origine allemande et résidant en France depuis l’âge de 10 ans. “Par contre, j’aime débattre sur la campagne, que ce soit par des discussions au bistro ou sur les réseaux sociaux” . Sans tourner dans le militantisme, certains soutiennent même, implicitement ou pas, un candidat. Michał, par exemple, étudiant d’origine polonaise dont la préférence va à Emmanuel Macron, “seul candidat avec une vision assez moderne et pragmatique à la fois de la politique et surtout de l’économie” selon lui.

Nous avons demandés aux interviewés quels enjeux détermineraient leur choix s’ils pouvaient voter à ces élections. Leurs réponses vont de l’emploi à l’éducation en passant par l’écologie. Le sujet européen figure comme un thème parmi d’autres. Bien loin du repli sur soi, “l’idée de ce que devrait être notre société” , comme l’exprime Stefan, prime sur des considérations purement communautaires.

J’ai suivi cette campagne passionnément, parce que j’aime énormément ce pays” , nous confie encore Lindsay, binational britannique et italien de 75 ans. Avec une pointe d’émotion dans la voix, il nous retrace sa vie et ce qui l’a amené en France. “Je travaillais en tant que correspondant à Bruxelles pour le journal italien Il Globo. En 1973, le nouveau président de la Commission européenne m’a proposé de devenir son porte-parole à Paris ! J’ai du coup déménagé dans la capitale française” .

Aujourd’hui, Lindsay ne s’imagine pas une minute quitter Paris, sa “patrie de cœur” . Comme plusieurs de nos interviewés, il est parfaitement intégré à la population française. Il a résidé en France une bonne partie de sa vie et possède une attache particulière, “affective” , à ce pays. Pour lui, l’élection présidentielle revêt une double importance : pour la France et pour l’Europe. “Quand je vois les évolutions négatives en France aujourd’hui, je ne peux m’empêcher d’éprouver de la tristesse. Le bonheur de la France se lie à celui de l’Europe, et vice versa. Tout programme national se situe dans un contexte européen et touche au devenir de la construction européenne. La France doit relancer la discussion sur l’avenir de l’Europe. Si je pouvais voter, ma voix irait au candidat qui soutiendrait un tel projet” .

Droit de vote des étrangers : une réalité encore lointaine ?

A l’heure actuelle, le droit de vote des étrangers communautaires résidant en France se limite aux élections locales. Accordé par le traité de Maastricht, il n’a depuis lors pas été étendu à d’autres types d’élections. Ainsi, celles concernant le niveau national reste réservées aux personnes de nationalité française. Bien qu’ayant résidé en France pendant trois ans, Michał n’a jamais voté aux élections locales. “Parce que je ne me considérais pas assez assimilé” , nous confie-t-il. Malgré son intérêt pour la présidentielle, le jeune homme ne “pense pas que le droit de vote des étrangers communautaires pour les élections nationales soit une bonne idée” . Selon lui, “cela pourrait renforcer le discours du Front national, en particulier concernant les pays d’Europe centrale et orientale : ‘les gens de l’Est nous volent non seulement notre travail mais aussi nos votes’ ” .

Instituée par le traité de Lisbonne en 2009, l’initiative citoyenne permet aux citoyens européens de soumettre à la Commission des propositions pour de futures législations. Parmi les conditions à remplir pour que la demande soit examinée : l’obligation de recueillir au moins un million de signatures.

Aujourd’hui encore, le droit de vote complet des étrangers communautaires n’est en rien une évidence. L’association Européens sans frontières a porté l’idée au niveau européen à travers son initiative citoyenne Let me vote, lancée en 2013, mais a échoué à recueillir le nombre requis de signatures (voir encadré).

Insuffisant pour désarmer les instigateurs du projet. “Il s’agit de donner du sens à la citoyenneté européenne” , déclare Philippe Cayla, président d’Européens sans frontières et ancien directeur d’Euronews. “Les étrangers communautaires paient des impôts en France et sont par la même intégrés à la population française. Par ailleurs, beaucoup de pays soumettent le droit de vote à des conditions de résidence sur le long terme. Après un certains nombre d’années en France, les étrangers communautaires perdent la possibilité de voter dans leur pays d’origine sans pour autant obtenir un droit de vote complet dans leur État de résidence” .

En outre, poursuit Philippe Cayla, le droit de vote complet des étrangers permettrait “l’européanisation du débat” . “À l’heure actuelle, les échanges sur l’Europe se résument à des conversations entre nationaux. Le droit de vote des étrangers communautaires aux élections nationales permettrait de créer un réelle discussion publique sur l’Europe, entre Européens” , soutient-il. Dans le contexte de la campagne, la majeure partie des personnes que nous avons rencontrées souligne en effet la faible visibilité du sujet européen, trop peu abordé ou de manière caricaturale. “Peu d’hommes politiques français ont une vision pour l’Europe” , déclare par exemple Stefan, journaliste néerlandais résidant en France depuis 18 ans. “Pour la plupart souverainistes, ils ne savent pas comment aborder cette question délicate. Ils l’utilisent comme excuse pour justifier leurs propres erreurs” .

Avec ou sans droit de vote, la présidentielle française va affecter les ressortissants communautaires. Et au-delà de leur intérêt pour ce moment clé de la vie politique française, ces derniers nous font part de leurs inquiétudes. Face à la montée des populismes et au repli sur soi dans plusieurs pays européens, beaucoup craignent la victoire de Marine Le Pen voire de François Fillon, deux candidats perçus comme hostiles aux étrangers. “Si le FN venait à remporter les élections, je serais extrêmement malheureux” , conclut Lindsay. “Mes enfants et moi-même ne savons pas si alors nous resterons vivre en France. Après tout, cette victoire serait une incitation à partir” .

Article dirigé par Toute l’Europe et réalisé avec des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif

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