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Antoine Bondaz : “Face à la Chine, notre force vient de notre capacité à parler d’une seule voix”

Commerce, géopolitique, droits de l’homme… Le spécialiste de la Chine Antoine Bondaz revient sur les enjeux du prochain sommet UE – Chine.

Deux ans après le dernier sommet entre l'UE et la Chine, les deux entités vont de nouveau se rencontrer en avril 2022 - Crédits : Friends of Europe / Flickr
Sur le plan politique, il est aujourd’hui “inconcevable” de relancer l’accord UE-Chine sur les investissements tant que Pékin maintient ses sanctions contre des eurodéputés - Crédits : Friends of Europe / Flickr

Un an et demi après leur précédente rencontre en septembre 2020, les principaux responsables de l’Union européenne et de la Chine pourraient se retrouver de nouveau pour un sommet virtuel organisé le 1er avril, selon le média Politico. Celui-ci doit réunir le président chinois Xi Jinping et son Premier ministre Li Keqiang, le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

Un accord visant à faciliter les investissements entre les deux parties avait été conclu en décembre 2020 après sept ans de négociations. Sa ratification a été suspendue quelques mois plus tard, l’Union européenne prenant acte d’un contexte politique “pas propice” après une escalade de tensions liée à la politique répressive de Pékin contre la communauté ouïghoure. Le dossier devrait donc être de nouveau sur la table, tout comme les mesures chinoises de rétorsion contre la Lituanie, la récente saisie par l’UE de l’OMC contre la Chine et la lutte contre le changement climatique. La position de Pékin face à l’invasion russe de l’Ukraine ne manquera pas de peser également sur les discussions.

Chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la Chine, Antoine Bondaz revient sur les principaux enjeux de ce sommet.

Après le sommet de septembre 2020, les responsables de la Chine et de l’UE devraient de nouveau se retrouver en avril. Quel est l’objectif de ce type de rendez-vous ?

Soulignons tout d’abord qu’il s’agit d’un rendez-vous institutionnel et non d’une initiative de la Présidence française du Conseil de l’UE. Ces sommets UE-Chine, qui ont lieu maintenant depuis plusieurs années, sont des événements au cours desquels le Premier ministre chinois rencontre les présidents du Conseil européen et de la Commission.

Il est important que ces sommets aient lieu au plus haut niveau, et c’est une bonne chose que le président Xi Jinping ait participé au 22e sommet de juin 2020 car c’est in fine lui qui détient le réel pouvoir de modifier la politique étrangère chinoise.

L’objectif est généralement de faire le point sur les relations entre la Chine et l’UE, mais aussi d’échanger sur les grands enjeux internationaux, y compris lorsqu’une coopération sino-européenne est possible et même souhaitable.

Pour les Européens, il faut bien insister sur le fait que l’important se situe avant tout en amont. Il est indispensable d’avoir une forte coordination européenne pour pouvoir peser. Notre force vient avant tout de notre capacité à parler d’une seule voix, et éviter ainsi que la Chine utilise nos divisions.

Ce travail de coordination s’accroît depuis plusieurs années. En 2016, des premiers éléments d’une nouvelle stratégie de l’UE à l’égard de la Chine ont été adoptées, renforcés ensuite par une “vision stratégique” en mars 2019. Cette dernière fait référence et présente le triptyque des relations bilatérales : la Chine est un partenaire de coopération, un compétiteur économique, et un rival systémique.

Ce sommet UE-Chine ne rassemble par les dirigeants des 27 Etats membres, ce n’est pas un sommet 27+1, ce qui serait sûrement ingérable. Le format EU-Chine nous oblige à cette coordination étroite vis-à-vis de laquelle les Etats membres n’ont pas toujours joué le jeu.

En 2019, le président français invitait par exemple la chancelière allemande et le président de la Commission européenne lors de la visite d’Etat du président chinois à Paris, cherchant ainsi à mettre en scène l’unité européenne. Quelques mois plus tard, alors que le président français renouvelait ce format avec une ministre allemande et un commissaire européen lors d’une visite à Shanghai, la chancelière se rendait dans la même ville, seule…

Quelles devraient être les priorités de l’UE lors de ce sommet ?

Elles sont en général mentionnées officiellement un peu avant le sommet. Il s’agit le plus souvent des grandes questions politiques et économiques bilatérales, et des grands enjeux internationaux. Cette année, l’Ukraine, l’Afghanistan ou encore le Kazakhstan devraient être abordés, en plus du changement climatique et des grands enjeux stratégiques plus traditionnels.

La question de l’accord sur les investissements (CAI) devrait probablement être au menu des discussions, de même que, et surtout même, les sanctions prises par la Chine à l’encontre de l’Union européenne. En effet, sur les questions économiques bilatérales, les Européens ne manqueront pas d’aborder celle de la coercition chinoise depuis plusieurs mois, notamment contre la Lituanie, Etat membre de l’UE, et les entreprises européennes.

S’agirait-il justement de relancer l’accord d’investissement gelé ?

Soyons clair : aujourd’hui, c’est impossible sur le plan politique. Le président du Conseil européen Charles Michel a bien rappelé qu’il était important d’avancer sur ce dossier lors de la Conférence de sécurité de Munich, mais il est inconcevable aujourd’hui de le relancer tant que la Chine continue de sanctionner des députés européens et des institutions européennes.

Par ailleurs, des problèmes de fond demeurent et qui étaient évoqués avant même ces sanctions par les députés eux-mêmes, notamment la question du travail forcé au Xinjiang. Or, rien n’indique que la situation se soit améliorée dans le pays, et la Chine n’a toujours pas ratifié deux conventions de l’Organisation international du travail que de nombreux Etats membres souhaiteraient voir la Chine rejoindre.

Malgré la visite d’un envoyé spécial pour l’Europe à Bruxelles, Wu Hongbo, nous restons dans une impasse et l’examen du CAI au Parlement est de fait gelé.

L’ouverture d’une ambassade taïwanaise en Lituanie a entraîné des mesures de rétorsion de Pékin. L’UE a réagi en poursuivant la Chine devant l’OMC. Où en est-on sur ce dossier ?

Il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une ambassade mais bien d’un bureau de représentation, comme près de 20 Etats membres en ont également sur leur territoire national. Pour Pékin, officiellement, le problème est le nom du Bureau, Bureau de représentation taïwanais et non Bureau de représentation de Taipei comme dans les autres capitales européennes.

Avec ce prétexte, et avant même l’annonce du nom de ce Bureau, la Chine a pris des mesures de sanctions contre la Lituanie, visant tant les entreprises lituaniennes avec pour conséquence l’effondrement du commerce bilatéral, mais aussi les entreprises européennes qui ont des composants lituaniens dans leur chaîne de valeur.

L’Union européenne et les Etats membres ont réagi fermement puis ont commencé à prendre des mesures. C’est le cas notamment de ce dépôt de plainte à l’OMC. Alors bien sûr, elle prendra des mois voire plutôt des années pour être traitée, mais l’enjeu n’est pas là.

Premièrement, l’important est d’afficher que c’est un problème pour tous les Européens. En effet, Pékin a délibérément choisi de transformer un différend politique bilatéral avec Vilnius en un différend politique et économique multilatéral avec Bruxelles.

Deuxièmement, cette plainte indique que l’Union européenne dénonce cette coercition économique chinoise pour ce qu’elle est, tout en prenant une mesure symbolique allant ainsi à l’encontre de l’analyse chinoise répandue que les Européens ne se mettraient pas d’accord pour soutenir un des leurs.

Troisièmement, cette plaine va conduire Bruxelles, car le commerce est une compétence exclusive de la Commission, à documenter la coercition économique chinoise et à l’exposer à la communauté internationale. On peut d’ailleurs se réjouir que d’autres pays qui subissent cette coercition chinoise aient soutenu cette plainte dont l’Australie, le Japon ou encore Taïwan.

Comment les Européens pourraient être mieux armés face aux coercitions chinoises ?

C’est une question fondamentale et les Européens travaillent sur des moyens pour mieux faire face à ces sanctions, via deux volets principaux.

Tout d’abord, un instrument anti-coercition pour prendre des contre-sanctions quand il y a des sanctions économiques, comme dans le cas de la Lituanie. Les Européens accélèrent actuellement la préparation de ce dispositif, qui sera avant tout dissuasif et ne vise pas seulement la Chine, mais aussi les Etats-Unis et tout autre pays qui a recours à cette coercition économique.

Ensuite, il convient d’atténuer l’impact des sanctions à travers ce que j’appelle une “stratégie de l’éponge”. Cela peut se faire avant des sanctions, en renforçant par exemple la résilience de nos chaînes de valeurs, ou après des sanctions, en développant par exemple un mécanisme de compensation pour aider les entreprises qui souffrent de celle-ci.

Au-delà, il est important d’engager un dialogue constructif entre les gouvernements et les entreprises multinationales notamment pour renforcer la coordination et surtout éviter une sur-réaction des entreprises qui nuirait à l’image pro-business des pays ciblés. Ainsi, c’est une excellente chose que la société Continental, pourtant impactée par ces sanctions, ait annoncé conserver son usine à Kaunas en Lituanie.

On constate une montée des tensions entre les Etats-Unis et la Chine depuis plusieurs années. Comment se positionne l’UE dans cet affrontement ?

Il y a également une hausse des tensions entre l’UE et la Chine parce que le système politique chinois a évolué, et en conséquence son comportement international. Le pays a changé depuis les années 2000, et il faut en tirer toutes les conséquences. Cela passe par une nécessaire prise de conscience européenne, et par le développement d’outils et de mécanismes pour défendre au mieux nos intérêts. Et non, contrairement à ce que certains critiques affirment, par des tentatives pour changer la Chine.

Il faut par exemple souligner que les risques et menaces associés à la Chine sont plus importants qu’il y a quelques années, d’où la référence notamment au concept de rivalité systémique depuis 2019.

Un enjeu qui est à mes yeux fondamental est celui de la protection du potentiel scientifique et technologique (PPST) européen : la Chine, consciente de son retard, renforce et diversifie encore plus ses stratégies de captation, licites ou illicites, de technologies européennes et ce d’autant plus que l’accès aux technologiques américaines, japonaises, etc. se durcit. C’est un enjeu de souveraineté technologique pour l’Europe, de compétitivité et de sécurité nationale.

Concernant la relation entre les Etats-Unis et la Chine, les Européens ont une position assez claire : aucun alignement, ni sur Washington, ni sur Pékin, mais pas non plus d’équidistance. Nous sommes en effet plus proche des Etats-Unis que de la Chine, et la relation transatlantique est évidemment cruciale pour l’ensemble des Etats membres qui le rappellent régulièrement.

Le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, résumait cela il y a quelque temps par sa référence à la chanson de Sinatra “My way”. Nous coopérons avec la Chine sur certains grands enjeux et cela ne va pas changer, mais nous conservons une proximité historique et politique avec les Etats-Unis.

D’ailleurs, le Conseil UE-États-Unis sur le commerce et la technologie (TTC) en est un parfait exemple. C’est un mécanisme de coopération bilatérale initié en 2021 qui vise notamment, mais pas seulement, à faire face ensemble aux ambitions chinoises.

Qu’implique, pour l’UE, le rapprochement de la Chine et de la Russie sur la question ukrainienne ?

Ce rapprochement est ancien, il faut le rappeler. Il commence à la fin de la Guerre froide, un moment de bascule stratégique puisque l’URSS ennemie depuis 1960 devient une Russie partenaire. La critique de “l’hégémonie et de l’unipolarité américaine”, telle que présentée aux débuts des années 2000, a rapproché les deux pays. Ce rapprochement s’est accéléré à partir de 2014, notamment du fait des sanctions occidentales contre la Russie et a connu un point d’orgue, pour l’instant, lors du sommet Xi-Poutine le jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Pékin, début février 2022.

Cette rencontre est symboliquement importante, première rencontre physique (et sans masque sur la photo) entre le président chinois et un chef d’Etat depuis le début de la pandémie, et surtout publication d’une déclaration conjointe. Pour la première fois, la Chine s’oppose à l’extension de l’Otan vers l’Est et défend les “inquiétudes de sécurité légitimes” de la Russie.

Pour autant, la Chine n’est pas alignée sur la Russie et le soutien n’est pas total. Pékin ne reconnaît pas les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, tout comme elle n’avait pas reconnu officiellement le rattachement de la Crimée à la Russie. Elle n’a pas non plus mis son véto mais s’est abstenue sur la résolution du Conseil de sécurité de l’ONU du 25 février condamnant l’invasion russe de l’Ukraine.

La Chine est donc dans une position de soutien implicite. Elle en profite pour critiquer ouvertement les Etats-Unis et les pays occidentaux, tout en maintenant une position flexible et pragmatique. Je ne me risquerai ainsi pas (encore) à parler d’un pacte sino-russe ou d’une alliance sino-russe.

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