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Post-Brexit : à six mois de l’échéance, où en sont les relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ?

Alors que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne le 31 janvier 2020, le pays doit encore quitter le marché unique et l’union douanière à la fin de la période de transition le 31 décembre 2020. A un peu moins de six mois de l’échéance, Toute l’Europe dresse un état des lieux des relations entre les deux parties.

de haut en bas et de gauche à droite : Boris Johnson, David Frost, Ursula von der Leyen, Michel Barnier
Le Royaume-Uni et l’Union européenne ont désormais jusqu’au 31 décembre pour trouver un accord sur leur nouvelle relation post-Brexit - Crédits : Flickr Number10 / CC BY-NC-ND 2.0 - Lukasz Kobus / Commission européenne - Flickr European Parliament / CC BY 2.0

Après le “Brexit politique” qui a eu lieu en début d’année, reste à achever le “Brexit économique” , comme l’a expliqué le négociateur en chef de l’UE Michel Barnier. Sauf que les négociations sur la nouvelle relation entre Européens et Britanniques, entamées au début du mois de mars, se sont vues perturbées par l’arrivée de la pandémie de Covid-19. Jusqu’à quel point ont-elles été menées malgré la crise sanitaire ? Est-on plus proche d’un accord ou d’un no deal ? Et quelle stratégie les parties prenantes adoptent-t-elles ?

Des rounds de négociations perturbés par la crise sanitaire

Entamées le 5 mars 2020 à Bruxelles, les négociations sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ont été perturbées par l’arrivée de la crise sanitaire. Les discussions qui devaient se poursuivre à Londres dès le 12 mars ont été annulées. Celles-ci ont repris sous forme de visioconférences à raison d’une fois toutes les 2-3 semaines entre le 20 avril et le 5 juin. Le 29 juin, un nouveau cycle de négociations a débuté à Bruxelles.

Période de transition : l’Union européenne ouverte, le Royaume-Uni rétif

A la fin de la période de transition le 31 décembre 2020, le Royaume-Uni quittera le marché unique et l’union douanière. Le 6 juin, le ministre d’Etat Michael Gove a confirmé officiellement que son gouvernement ne demanderait pas une extension de la période de transition. Le Royaume-Uni avait pourtant la possibilité de prolonger d’un ou deux ans cette période, en notifiant sa demande à travers le comité mixte (Joint Committee) avant le 1er juillet, en vertu de l’article 132 de l’accord de retrait. Une décision qui dépendait essentiellement du Royaume-Uni puisque l’Union européenne, qui est l’autre partie prenante du comité, avait fait savoir qu’elle était favorable à l’idée de prolonger cette période de transition, en raison du calendrier serré des négociations.

Côté britannique, le gouvernement de Boris Johnson s’est toujours opposé à cette idée. La version amendée de l’accord de retrait qui a été transcrit en droit britannique interdit ainsi au gouvernement de faire une telle demande. Pour le professeur de droit européen à l’université d’Essex Steve Peersbien sûr, le gouvernement pourrait demander au Parlement de modifier la loi s’il changeait de politique” mais “[celui-ci] a pour politique de s’opposer à toute extension” , rappelle-t-il.

L’arrivée de la pandémie de Covid-19 a perturbé les négociations. D’abord en contaminant les principaux interlocuteurs des discussions, Michel Barnier, le chef des négociations côté européen, et Boris Johnson, le Premier ministre britannique, mais aussi en limitant ces dernières à des visioconférences. De l’avis de nombre d’observateurs, ce contexte aurait pu permettre de justifier un changement de politique côté britannique et d’ouvrir la porte à une prolongation de la période de transition. “La nécessité de répondre à l’épidémie de coronavirus a fourni une base raisonnable pour une extension de la période de transition afin d’accorder un délai supplémentaire pour la négociation” , note Joelle Grogan, professeure de droit, sur le blog de la London School of Economics.

Les gouvernements décentralisés d’Irlande du nord, d’Ecosse et du pays de Galles ont d’ailleurs lancé des appels au Royaume-Uni. Mais le Premier ministre britannique Boris Johnson a réaffirmé son souhait, non seulement de ne pas demander d’extension, mais aussi de refuser toute demande en ce sens venant de l’UE. “La prolongation de la transition ne ferait que prolonger les négociations, prolonger l’incertitude des entreprises et retarder le moment du contrôle de nos frontières” , justifiait un fonctionnaire de Downing Street auprès du Financial Times en avril. Et d’ajouter : “cela nous maintiendrait liés par la législation européenne à un moment où nous avons besoin d’une flexibilité économique et législative pour gérer la réponse britannique à la pandémie de coronavirus” .

Négociations : le Royaume-Uni n’exclut pas un no deal

A six mois de l’échéance, le mois de juin représentait donc une période charnière dans les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Non seulement parce qu’il s’agissait de la dernière opportunité pour le Royaume-Uni de changer sa politique et demander une extension de la période de transition, mais aussi parce qu’un rendez-vous politique de haut niveau était organisé pour mesurer l’avancée des négociations.

Prévu dans le cadre de la déclaration politique, adoptée simultanément avec l’accord de retrait, cette réunion était ainsi l’occasion de “faire le point sur les progrès réalisés afin de convenir des mesures à prendre pour faire avancer les négociations sur les relations futures” . Organisée par visioconférence le 15 juin, ce point d’étape s’est conclu par une décision commune d’accélérer les négociations durant l’été. Une dynamique nouvelle, et un léger ajustement de la position du gouvernement britannique.

En effet, ce dernier n’excluait pas d’aller vers un no deal à la fin du mois de juin si les négociations n’avaient pas suffisamment avancé. Le document du gouvernement présentant l’approche britannique des négociations concernant la future relation avec l’Union européenne affirme ainsi : “le gouvernement espère que, d’ici [la réunion de haut niveau], les grandes lignes d’un accord seront claires et pourront être rapidement finalisées d’ici septembre. Si cela ne semble pas être le cas lors de la réunion de juin, le gouvernement devra décider si l’attention du Royaume-Uni doit s’éloigner des négociations et se concentrer uniquement sur la poursuite des préparatifs nationaux pour sortir de la période de transition de manière ordonnée” .

Or, les négociations n’ont pas été fructueuses jusqu’à présent. Lors de sa dernière conférence de presse, Michel Barnier a déploré l’absence de “progrès substantiel” , en particulier sur les quatre sujets les plus importants - et les plus sensibles - de la négociation : la politique de pêche, les règles de concurrence équitable (fair-play économique et commercial), la coopération policière et judiciaire en matière pénale afin d’assurer la protection des droits et libertés fondamentales, et le cadre général de la future relation.

Selon le négociateur européen, les “rounds” de négociation successifs ont même creusé les divergences entre les deux parties : “Nous nous sommes engagés dans cette négociation sur la base d’une déclaration politique commune qui définit clairement les termes de notre futur partenariat. Pourtant, round après round, nos homologues britanniques cherchent à prendre leurs distances par rapport à cette base commune” , a-t-il constaté le 5 juin dernier.

Si le chef des négociations pour l’UE dénonce une tendance du Royaume-Uni à s’éloigner de ses engagements pris dans la déclaration politique insistant sur le fait que “l’absence de progrès dans cette négociation n’est pas due à notre méthode, mais à la substance” , il reconnaît néanmoins que l’organisation des rounds de négociation par visioconférence n’était pas optimale. En réponse à un journaliste de l’AFP, il concède : “ce qui nous manque, pour être tout à fait sincère, c’est le fait que, après que l’on a travaillé dans une salle entre négociateurs, telle ou telle personne peut rencontrer l’autre partie de manière plus restreinte, plus directe, plus spécifique” .

Un sentiment confirmé par l’un des membres de son équipe : “c’est vrai que pendant quelques semaines c’était impossible pour nous de négocier, mais il s’agissait juste d’une histoire de quelques semaines” . En somme, si le recours aux visioconférences n’a pas facilité la conclusion d’un accord, les principaux blocages viennent aussi des positions du Royaume-Uni qui voudrait “garder tous les bénéfices de l’Union européenne sans y avoir les obligations correspondantes” , d’après l’entourage de Michel Barnier.

Michel Barnier (au centre) s'entretient avec David Frost - Crédits : @MichelBarnier / TwitterL’arrivée de la pandémie de Covid-19 et l’adoption de mesures de distanciation sociale ont conduit les négociateurs à poursuivre leurs discussions par visioconférence. Ici, le 15 avril 2020 lors de la reprise des “rounds” de négociation, l’équipe de Michel Barnier (au centre) s’entretient avec David Frost (sur l’écran) - Crédits : @MichelBarnier / Twitter

Calendrier : Boris Johnson se fait pressant

A l’issue de la rencontre politique de haut niveau du 15 juin, Boris Johnson et les présidents des institutions européennes ont adopté un nouveau calendrier de négociations. Des réunions hebdomadaires physiques auront lieu jusqu’à la fin de l’été. Si Michel Barnier estime que les deux parties ont jusqu’au 31 octobre pour conclure un accord, afin de permettre aux parlements nationaux et régionaux de le ratifier avant le 31 décembre, Boris Johnson a quant à lui fait savoir qu’il aimerait le finaliser pour la fin du mois de juillet.

Dans tous les cas, un calendrier serré, “pas impossible à tenir” , mais “très difficile [pour] mettre en place un nouvel accord avant la fin de l’année” , estime Giacomo Benedetto, professeur titulaire de la chaire Jean Monnet à l’université de Londres, Royal Holloway. Selon le chercheur, la stratégie de Boris Johnson consiste à poser des exigences élevées pour que le mérite de l’accord lui soit attribué, quitte à ce que l’accord soit finalement signé plus tard. “Le Premier ministre britannique expose le Royaume-Uni à un risque, fait une concession à la fin, puis prétend ne pas avoir fait de concession” , résume-t-il.

Une tactique que le Premier ministre britannique avait déjà adoptée en octobre 2019 sur la question irlandaise. Après avoir refusé la proposition européenne sur le sujet, Boris Johnson avait ensuite passé un accord très ressemblant avec son homologue irlandais, aux conditions similaires à celles suggérées par l’UE : le maintien permanent de l’Irlande du nord au sein de l’Union douanière, créant une séparation avec les eaux territoriales britanniques en mer d’Irlande. Le même ballet pourrait bien se rejouer en décembre sur la nouvelle relation avec “des Britanniques changeant d’avis à la dernière minute et faisant une très bonne propagande pour dire que l’UE leur a fait cette concession ou non” . Côté européen, la Task Force assure garder ses principes tout en avançant des solutions pour parvenir à un accord.

Selon Katya Adler, rédactrice en chef du département Europe de la BBC, il est néanmoins peu probable qu’un accord soit prêt en aussi peu de temps, compte-tenu des divergences de position. La journaliste britannique estime cependant qu’un accord pourrait être trouvé d’ici le mois de décembre et n’exclut pas la possibilité pour les juristes bruxellois de trouver un moyen d’étendre si besoin la période de négociations dès lors qu’un accord serait à portée de main. Et d’ajouter : “Après toutes mes années d’observation de l’UE, je ne peux pas imaginer que le bloc puisse laisser passer un accord avec son voisin et allié proche, le Royaume-Uni, au-delà d’une date limite, si le gouvernement britannique voulait lui aussi continuer à parler” .

Une vision modérée par Giacomo Benedetto. S’il ne doute pas du fait que Boris Johnson puisse accepter une telle offre, cela nécessiterait que “les 27 gouvernements des pays de l’Union européenne [parviennent] à un accord” sur cette question. Si une telle chose était néanmoins possible, d’un point de vue politique et surtout légal, “il faudrait la présenter comme une concession faite au Royaume-Uni, que le pays a gagné une sorte de bataille” pour que le gouvernement de Boris Johnson puisse faire accepter son changement de politique à son opinion publique. Si les Européens “peuvent créer cette fiction, alors il lui est possible de le faire” , analyse le professeur, considérant que les membres du gouvernement “sont très bons pour faire de la propagande” .

Pourquoi Boris Johnson n’a pas peur d’un no deal

Boris Johnson serait-il capable de conduire son pays vers un no deal en décembre ? Pour certains observateurs, cette situation serait plus probable, dans la mesure où la crise du Covid-19 permettrait au Premier ministre de masquer les conséquences économiques que cela représenterait, sous couvert de la crise économique que le pays traverserait “de toute manière” , et qui serait “plus importante que dans d’autres pays” selon Giacomo Benedetto. Pour Fabian Zuleeg, directeur général du European Policy Centre, le gouvernement présentera dans les prochaines années tout progrès en termes d’accords commerciaux internationaux ou d’investissements directs étrangers “comme des indicateurs positifs de la logique de sortie de l’UE” . Et à l’inverse, d’en “masquer” les conséquences économiques négatives en les présentant comme “une conséquence de la crise du Covid-19″ .

Avec le temps, il deviendra encore plus difficile de distinguer l’impact négatif du Brexit de celui de Covid-19″ , estime l’analyste. Dès lors, il invite l’UE à adopter “une ligne assez dure dans les négociations actuelles, afin de garantir qu’un pays tiers ne puisse pas bénéficier du marché unique ou d’autres réalisations de l’UE” et de montrer aux autres pays européens qui pourraient être tentés à plus long-terme de suivre le modèle britannique que les “conséquences [sont] proportionnées si un pays ne veut plus remplir les obligations liées à l’adhésion” . Quitte à considérer sérieusement la perspective de ne pas arriver à un accord.

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