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Les 5 enseignements des élections législatives au Royaume-Uni

Jeudi 8 juin se sont tenues des élections législatives anticipées au Royaume-Uni. Elles devaient être l’occasion pour Theresa May de renforcer sa majorité et son poids démocratique en vue des négociations pour le Brexit. Il n’en a rien été. Le Parti travailliste de Jeremy Corbyn (notre photo) est en effet parvenu à inverser une tendance plus que négative au terme d’une campagne réussie. Contraints de se trouver un partenaire de coalition, les Tories sont désormais en crise. Tour d’horizon des enseignements du scrutin.

Jeremy Corbyn
Jeremy Corbyn

1. Theresa May reste Première ministre, mais par défaut

En convoquant des élections législatives anticipées, le 8 juin, Theresa May visait ouvertement un triomphe. L’échec n’en est donc que plus douloureux et humiliant. Crédité de 20 points d’avance dans les sondages, le Parti conservateur de Mme May, qui a elle-même conduit la campagne de son camp, ne termine qu’avec 2,4 points d’avance sur le Labour et perd au passage sa majorité absolue à la Chambre des communes.

Un camouflet retentissant que les élus conservateurs eux-mêmes ne se sont pas privés de commenter dès le 8 juin au soir. Pour ces derniers, le choix de faire campagne sur la justice sociale, thème de prédilection du Parti travailliste, s’est révélé désastreux. “C’est un incroyable but contre notre camp” , a par exemple déclaré le député tory Nigel Evans. “Nous ne nous sommes pas tirés une balle dans le pied, mais dans la tête” , a-t-il poursuivi. Non moins cruel, George Osborne, ancien ministre conservateur des Finances, avec qui Mme May entretient de mauvaises relations, considère pour sa part que la Première ministre est désormais un “cadavre ambulant” .

Dans ce contexte délétère, deux éléments permettent à Theresa May de rester, du moins temporairement, l’hôte du 10 Downing Street. Le premier est que sa formation est tout de même arrivée en tête et qu’une coalition est possible avec le Parti unioniste démocrate d’Irlande du Nord. Le second est qu’aucun prétendant conservateur ne paraît pour l’heure en mesure de défier la cheffe du gouvernement. Boris Johnson, iconoclaste ministre des Affaires étrangères, a bien été pressenti durant le week-end, mais il a rejeté la perspective de briguer le poste de Premier ministre. Pourtant très ambitieux, l’ancien maire de Londres craint certainement d’être celui qui portera le coup fatal à la Première ministre, ajoutant de l’incertitude à une situation politique déjà très confuse.

Au fond, Theresa May serait devenue le “plus petit dénominateur commun” au sein du Parti conservateur. Car la contre-performance du 8 juin va immanquablement faire ressurgir les divisions au sein des Tories, particulièrement sur la question du Brexit. Pour les uns, il ne faut pas dévier d’une posture radicale et se séparer totalement de l’Union européenne et du marché unique - le “hard Brexit” . Tandis que pour les autres, les résultats des législatives doivent entraîner l’assouplissement de la position britannique. Dans ce contexte, la Première ministre a logiquement reconduit l’ensemble des poids lourds conservateurs dans leurs fonctions. M. Johnson, farouche europhobe, aux Affaires étrangères ou encore Philip Hammond, partisan d’une ligne flexible, aux Finances.

“Le Brexit est un cancer qui ronge le cœur du Parti conservateur” .
Michael Heseltine, ancien vice-Premier ministre conservateur

Michael Heseltine, ancien vice-Premier ministre conservateur le résume : “le Brexit est un cancer qui ronge le cœur du Parti conservateur” .

2. Le “hard Brexit” pourrait être remis en cause

Outre le fait de renforcer sa légitimité démocratique sur la scène nationale - Theresa May n’est devenue Première ministre qu’à la faveur de la démission de David Cameron - la cheffe du gouvernement britannique escomptait, grâce à ces élections anticipées, accroître son poids politique face aux Européens alors que les négociations sur le Brexit devaient commencer lundi 19 juin. Désormais plongée dans l’incertitude, la Première ministre a annoncé, le 12 juin, avoir demandé un report du début des discussions.

Sur les deux tableaux c’est donc un échec. D’autant que pour rester à son poste, Mme May doit trouver un accord de coalition avec une autre formation politique. Il s’agira très certainement du Parti unioniste démocrate nord-irlandais (DUP). Un partenaire potentiellement délicat pour le Parti conservateur, en raison notamment de sa position moins radicale sur le Brexit. Certes favorable à une sortie du Royaume-Uni de l’UE, le DUP est en effet opposé à un “hard Brexit” qui exclurait le pays du marché unique européen. Le spectre d’une restauration de la frontière avec la république d’Irlande inquiète en effet beaucoup à Belfast en ce que cela pourrait remettre en cause la pérennité des accords du Vendredi saint, garant de la paix dans la nation constitutive du Royaume-Uni. En outre, les unionistes nord-irlandais craignent qu’un hard Brexit ne porte atteinte trop durement au secteur agricole, la région étant fortement dépendante des aides européennes en la matière.

3. Une alliance avec les unionistes nord-irlandais inquiète

Outre la question du Brexit, une alliance entre les conservateurs et les unionistes nord-irlandais pourrait être rendue difficile par les positions peu progressistes du DUP. En effet, la formation politique d’inspiration protestante développe un argumentaire très conservateur sur le plan sociétal. Le parti rejette notamment le droit à l’avortement, dont la pratique est extrêmement restrictive en Irlande du Nord, ou encore le mariage homosexuel, non reconnu dans cette nation constitutive du Royaume-Uni. Des positions difficiles à accepter en Angleterre, au Pays de Galles et en Ecosse. Une pétition réclamant le rejet par les Tories d’un accord avec le DUP a ainsi été lancée dès le 8 juin et a rapidement recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures. Ruth Davidson, principale représentante des conservateurs en Ecosse et ouvertement homosexuelle, a également exigé de Theresa May “l’assurance catégorique qu’en cas d’accord avec le DUP les droits de la communauté LGBT continuent à être respectés dans le reste du Royaume-Uni” .


Pour en savoir plus sur les relations entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande, consultez également cet article

4. Le Labour revient dans le jeu

Entre Theresa May et Jeremy Corbyn, le leader du Parti travailliste, l’effet miroir est saisissant. Elle devait triompher et lui définitivement péricliter, en raison d’un positionnement trop à gauche sur le plan économique et social, d’une conception floue du Brexit, ainsi que d’une absence de charisme rédhibitoire. Au final, c’est donc l’inverse qui s’est produit. Ne déviant pas de son argumentaire offensif et socialiste en matière de services publics ou encore d’investissement, M. Corbyn, 68 ans, a réussi le tour de force de retourner, en quelques semaines, des intentions de vote catastrophiques. Faisant le plein chez les jeunes et chez les plus précaires lassés de l’austérité, les travaillistes obtiennent 40% des voix, contre 42,4% pour les Tories. Au total, le Labour regagne 30 sièges par rapport à la précédente assemblée.

Editorialistes et élus travaillistes ne donnaient pas cher de la peau de Jeremy Corbyn, ces derniers ont donc avalé leur chapeau le soir du 8 juin. Face à des conservateurs de nouveau en plein doute, le leader du Labour a désormais les cartes en main pour être un chef de l’opposition de combat. Faire passer “l’emploi avant le Brexit” , en accord avec l’un de ses slogans de campagne, devrait à cet égard constituer son principal cheval de bataille.

5. La perspective d’un nouveau référendum d’indépendance en Ecosse s’éloigne

Avec les conservateurs, l’autre victime de la remontée des travaillistes est le Parti national écossais (SNP). Celui-ci détenait en effet 56 des 57 sièges dévolus à cette nation constitutive du Royaume-Uni : il n’en dispose plus “que” de 35. En cause, du propre aveu de Nicola Sturgeon, leader indépendantiste écossaise : sa volonté d’organiser un nouveau référendum d’autodétermination, après celui perdu à l’automne 2014.

En effet, les Ecossais ont voté, en juin 2016, à 62% contre le Brexit et la perspective d’une sortie radicale de l’UE serait, pour Mme Sturgeon et le SNP, un casus belli avec Londres. Avec les résultats décevants du 8 juin, cette idée semble écartée, du moins jusqu’à ce que le Brexit soit effectif, au mieux en 2019. Pour l’heure, la stratégie serait davantage à un rapprochement avec le Parti travailliste. Car si le Labour est défavorable à l’idée d’une Ecosse indépendante, le parti est proche du SNP en matière sociale. Réunissant à eux deux 297 des 650 sièges de la Chambres des communes, ils seraient en outre de nature à former une opposition farouche aux conservateurs.

Par Jules Lastennet

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