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James Mitchell : “Vers une autonomie écossaise confortée plus qu’une indépendance”

Le 5 mai dernier, le Scottish National Party était le grand vainqueur des élections régionales en Écosse. Pour la première fois, le SNP- dont l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni est l’objectif proclamé - venait d’obtenir la majorité absolue au Parlement écossais. Alex Salmond, leader du parti, s’était alors empressé d’affirmer : “Puisque les gens nous ont accordé leur confiance, nous devons en retour leur faire confiance, et c’est pourquoi nous devrons organiser un référendum pendant la législature”, un référendum promis d’ici à cinq ans.

La Grande Bretagne se trouve-t-elle au bord de l’éclatement ? L’Ecosse est-elle sur le chemin de l’indépendance ? Toute l’Europe a interrogé le politologue James Mitchell pour en savoir plus. Professeur de Sciences politiques à l’université de Strathclyde, James Mitchell s’intéresse plus particulièrement au régionalisme, au nationalisme et aux impacts territoriaux de la politique de Dévolution anglaise.

Toute l’Europe : Quelles sont les raisons du succès du Parti national écossais (SNP) aux dernières élections ?


James Mitchell : C’est tout simplement une question de compétence : le SNP est apparu plus compétent pour diriger la région que le parti alternatif, les Travaillistes. C’était pourtant une réelle surprise, également pour les commentateurs écossais qui ne s’attendaient pas à cette victoire.

Cette surprise s’explique à mon avis par une mauvaise interprétation des sondages avant le scrutin. Ils mettaient les Travaillistes en tête mais ne signifiaient pas que ceux-ci allaient gagner en Ecosse. Ils exprimaient plutôt une opinion sur la politique britannique en général. Ils montraient que les Ecossais n’étaient pas satisfaits de la politique menée actuellement à Londres.

L’opinion écossaise ne s’est donc pas détournée des Travaillistes pour le SNP, elle s’est tout simplement détournée du contexte national pour se focaliser sur le contexte régional.

Toute l’Europe : Certains commentateurs ont parlé d’un jour historique pour la Grande Bretagne. Pensez-vous que l’Ecosse se dirige réellement vers l’indépendance ?

Les sondages actuels évaluent entre 25% et 35% la part des Ecossais favorables à l’indépendance totale du pays.

James Mitchell : Je n’en ai aucune idée. Cela fait plusieurs années, voire plusieurs siècles que l’on parle de l’éclatement de la Grande Bretagne. Or celui-ci n’a toujours pas eu lieu. Je reste donc sceptique. Les électeurs ont avant tout voté pour une bonne gouvernance, et non pour l’indépendance.

Néanmoins, cela reste un jour important. Le SNP n’a jamais eu la majorité absolue. Et les résultats montrent que la main mise traditionnelle des Travaillistes en Ecosse est en constante perte de vitesse depuis les élections de 2007.

Toute l’Europe : De quelle indépendance parle-t-on exactement ? Certains commentateurs affirment qu’Alex Salmond, le leader du SNP, serait plus autonomiste qu’indépendantiste. Qu’en pensez-vous ?

James Mitchell : Le SNP travaille depuis des années pour redéfinir le concept d’indépendance. Il a également pris conscience de la nécessité de faire partie de l’Union européenne, ce qui a été une étape très importante de son développement. Il reconnait désormais la réalité du monde moderne et globalisé, et donc, de fait, qu’il est impossible d’être totalement indépendant et autonome.

Clairement, aucun pays ne l’est réellement : le Royaume-Uni par exemple est dépendant de la défense américaine. En ce sens, il n’est même pas certain que le SNP veuille véritablement l’indépendance. Le gouvernement écossais pourrait ainsi proposer l’autonomie comme troisième voie. La définition de l’indépendance est en train de changer pour tous les Etats et les Etats en devenir.

Indépendance économique

Le SNP considère que l’Ecosse dispose d’assez de ressources pour être indépendante, avec le pétrole, le gaz de la mer du Nord ou encore la pêche. Ces ressources pétrolières sont cependant sur le déclin, et le secteur bancaire, très dynamique, a souffert lors de la crise financière.


Toute l’Europe : Est-ce parce que l’Ecosse ne serait pas viable économiquement ?

James Mitchell :
Ce qui est véritablement remis en cause, c’est la possibilité de se couper du reste du monde. L’Ecosse a toujours commercé avec ses voisins et continuera à le faire.

Je pense que ce qui se reflète dans le débat actuel au sein du SNP, c’est la reconnaissance d’une réalité. Aucun pays ne peut aujourd’hui être totalement indépendant, même les Etats Unis, et les Ecossais en ont conscience.

Toute l’Europe : La victoire des nationalistes masque-t-elle l’échec de la politique de Dévolution ?

James Mitchell : Non, je ne pense pas. Au contraire, elle marque sa réussite. La dévolution signifiait reconnaitre les différentes identités de la Grande-Bretagne. Il s’agissait de laisser les citoyens décider par eux-mêmes de ce qu’ils voulaient. A travers leur vote pour le SNP, les électeurs ont fait passer un message : “on aime la Dévolution, on en veut plus” .

La politique de régionalisation - ou politique de Dévolution - a été mise en œuvre par les Travaillistes à la fin des années 1990. C’est dans ce cadre notamment que le Parlement écossais a été ressuscité par Tony Blair en 1999, une réforme qui a aussi bénéficié à l’Irlande du Nord et au pays de Galles.


Bien sûr, ceux qui pensaient que la Dévolution mettrait un terme aux débats indépendantistes se sont complètement trompés. La Dévolution est un processus en cours.

L’Ecosse finira par avoir encore plus de pouvoirs dans le futur. La Grande-Bretagne devient, d’après moi, de plus en plus une union « évolutive ». Je vois la direction qu’elle prend, mais je ne peux pas présumer de la forme finale qu’elle aura.

Toute l’Europe : Quelles ont été les réactions du gouvernement anglais ? Et de l’Union européenne ?

James Mitchell : Les relations entre le gouvernement écossais et anglais ne devraient pas évoluer. Il y aura bien sûr des désaccords, mais rien d’inhabituel. L’une des réussites de la politique de dévolution est qu’elle a permis de maintenir de très bonnes relations entre les deux entités.

D’après moi, David Cameron s’est un peu trop focalisé ces derniers temps sur d’autres sujets et a mis de côté l’Ecosse. Maintenant, je pense que le sujet va redevenir plus important. J’imagine qu’il y a aura une tentative de Londres pour offrir à l’Ecosse plus d’autonomie et éviter ainsi une indépendance pure et simple. Une plus grande autonomie, c’est sans doute l’avenir de l’Ecosse.

Pour ce qui est de l’Union européenne, elle garde un œil sur la situation. Pour l’instant, rien n’a encore été fait. Mais, même si à terme l’Ecosse devenait indépendante, elle resterait d’après moi dans le marché commun, dans l’Union économique. L’indépendance n’aura pas de réelle influence : simplement une plus petite Grande-Bretagne pour une plus grande Union européenne.

Les questions seront essentiellement pratiques : combien de parlementaires européens pour l’Ecosse, par exemple ? Mais cette question a été résolue sans problème lors des derniers élargissements. En comparaison, la crise grecque est un problème bien plus important, et menace bien plus la construction européenne.

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