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Valéry Giscard d’Estaing, “rêveur d’Europe”

Président français de 1974 à 1981, Valéry Giscard d’Estaing aura marqué la Vème République par son engagement résolument pro-européen. L’architecte du Conseil européen et du traité constitutionnel s’est éteint le 2 décembre 2020, à l’âge de 94 ans.

Valéry Giscard d'Estaing, lors d'une réunion de la Convention sur l'avenir de l'Europe, en 2002 - Crédits : Parlement européen
Valéry Giscard d’Estaing, lors d’une réunion de la Convention sur l’avenir de l’Europe, en 2002 - Crédits : Parlement européen

Chaque président de la Vème République a cherché à incarner, par des actes et des idées, une certaine vision de l’Europe. Au-delà de ses prises de position et réalisations, dès son plus jeune âge, Valéry Giscard d’Estaing incarnait une ambition européenne : si son enfance au sein de la bourgeoisie parisienne, à deux pas du Palais de l’Elysée, le prédestinait à une carrière fructueuse dans la politique nationale, sa naissance à Coblence le 2 février 1926, en Allemagne, faisait déjà de lui un Européen par nature.

Bachelier à 16 ans, le jeune Valéry fait ses armes dans les grands lycées de la République, puis dans les rangs de l’armée française, avec laquelle il prend part à la Libération, puis à la contre-offensive face au régime nazi qui le mène jusqu’en Allemagne et en Autriche. La guerre terminée, de retour sur les bancs de l’école, il intègre successivement l’Ecole Polytechnique et l’ENA, dont il sort diplômé en 1951, après un stage en Allemagne. Le nom de sa promotion ? “Europe” .

Electron libre

Malgré tous ces signes du destin, c’est à l’échelle nationale que “Giscard” fait ses premiers pas en politique, en 1955. A cette époque, la construction européenne n’en est qu’à ses prémices. Après un début de carrière à l’inspection des finances, il rejoint le cabinet du président du Conseil Edgar Faure, mais le quitte dès l’année suivante pour siéger comme député puis conseiller général du Puy-de-Dôme, sous les couleurs du Centre national des indépendants et des paysans. Son ascension politique est fulgurante : nommé secrétaire d’Etat aux Finances en 1959, à 32 ans, il devient ministre des Finances et des Affaires économiques trois ans plus tard. Porté par la croissance forte des Trente Glorieuses, il rétablit l’équilibre budgétaire du pays et œuvre à la libéralisation de l’économie.

En 1966, il quitte le gouvernement et joue sa propre carte : jamais pleinement engagé auprès des gaullistes, il fonde la Fédération nationale des républicains indépendants. Le parti, qui ne soutient qu’à demi-mot le pouvoir en place, prend de l’ampleur, à tel point qu’il devient le faiseur de rois de la majorité à l’Assemblée nationale. Valéry Giscard d’Estaing reste dans les cercles du pouvoir, à la tête de la commission des Finances du Palais Bourbon jusqu’en 1968. Il retrouve les couloirs du ministère de l’Economie et des Finances dès l’élection de Georges Pompidou, un an plus tard. Ministre expérimenté, il doit affronter les conséquences du choc pétrolier de 1971, et sort un temps la France du Serpent monétaire européen. Il demeure toutefois un soutien important de l’intégration économique des Etats européens, au sein du Conseil des Communautés européennes.

Architecte de l’intégration monétaire et politique

Pressenti pour devenir Premier ministre, Valéry Giscard d’Estaing se lance finalement dans la course à l’élection présidentielle quelques semaines seulement après le décès du président Pompidou. Menant une campagne axée sur la modernité et capitalisant sur son jeune âge (48 ans), il parvient à dépasser son concurrent à droite, le gaulliste Jacques Chaban-Delmas, et l’emporte de peu au second tour face au candidat de la gauche, François Mitterrand. Président centriste et progressiste (il fait notamment adopter l’abaissement de la majorité et la dépénalisation de l’avortement), il nomme un gouvernement marqué à droite, et mène une politique économique d’austérité et de libéralisation économique. Son mandat est également marqué par la dynamique européenne enclenchée avec son homologue allemand, Helmut Schmidt. Les deux hommes nouent une relation étroite et œuvrent ensemble à la création du Système monétaire européen, précurseur de la monnaie commune.

Valéry Giscard d’Estaing s’affirme également comme un défenseur du multilatéralisme. Initiateur du G5 (qui deviendra le G7), il s’engage pour une coopération accrue au niveau européen, et un nouvel élan politique des institutions européennes. Alors que des conférences entre chefs d’Etat et de gouvernement européens se déroulent ponctuellement et de manière informelle, “VGE” profite de son premier sommet comme président, qui se tient à Paris, en décembre 1974, pour institutionnaliser ces réunions. “Nous avons assisté au dernier sommet européen, et nous avons participé au premier Conseil européen” , déclare-t-il à l’issue de la rencontre. C’est également sous son mandat qu’est décidée l’élection au suffrage universel direct du Parlement européen : en 1979 ont lieu les premières élections européennes, remportées par l’UDF (le parti du président), qui portent Simone Veil à la présidence de l’institution.

Valéry Giscard d'Estaing lors du sommet de Paris en 1974

Valéry Giscard d’Estaing avec Joop Den Uyl, Premier ministre néerlandais (dos à l’objectif), Harold Wilson, Premier ministre britannique (dos à l’objectif), Jacques Chirac, Premier ministre français, Francois-Xavier Ortoli, président de la Commission européenne, Poul Hartling, Premier ministre danois, Helmut Schmidt, chancelier fédéral allemand et Liam Cosgrave, Premier ministre irlandais lors du sommet de Paris en décembre 1974 - Crédits : Karel van Milleghem, Christian Lambiotte / Commission européenne

Défait en 1981 par François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing quitte le pouvoir à seulement 55 ans. Que faire à cet âge, lorsque l’on a déjà exercé presque tous les mandats nationaux ? Réélu député en 1984, son retour pressenti au gouvernement de Jacques Chirac n’a finalement pas lieu. Il renonce même à se représenter à l’élection présidentielle de 1988. La politique française semble alors derrière lui. Mais Valéry Giscard d’Estaing ne fait pas le deuil de sa carrière nationale pour autant : pilier du centre droit politique, au même titre que Jacques Chirac ou Raymond Barre, il continue de faire vivre l’opposition au président Mitterrand au sein de l’Assemblée nationale, qu’il retrouve en 1993 après quatre années passées au Parlement européen en tant que député.

Epilogue européen

L’ancien président mène en effet la liste de l’UDF pour les élections européennes de 1989. Elu à Strasbourg, il préside le groupe centriste du Parlement européen et siège au sein de la commission Institutionnelle, puis de la commission Economique, Monétaire et de la Politique industrielle, au cœur des négociations sur le traité de Maastricht et sur l’Union monétaire. Son idée d’une Europe politique et d’un achèvement de l’union monétaire, qu’il défend par ailleurs comme président du Mouvement européen international, trouve ainsi un écho politique. Valéry Giscard d’Estaing se fait l’avocat d’une Europe dépassant les nations, sans constituer une entité entièrement supranationale pour autant.

Valéry Giscard d'Estaing lors d'une session plénière du Parlement européen en 1989Valéry Giscard d’Estaing lors de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg le 25 juillet 1989 - Crédits : Parlement européen

Cet engagement lui vaut d’être nommé, lors du Conseil européen de décembre 2001, président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, chargée de rédiger une proposition de réforme des traités européens. Ce sont les travaux de cette convention qui aboutiront au traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé en 2004. Ce traité, enterré suite à l’échec de la ratification par la France et les Pays-Bas, inspirera quelques années plus tard le traité de Lisbonne en 2007, dernier chantier de réforme institutionnelle en date.

Valéry Giscard d'Estaing présidant la Convention sur l'Avenir de l'Europe Valéry Giscard d’Estaing présidant la Convention sur l’avenir de l’Europe, accompagné des vice-présidents Giuliano Amato et Jean-Luc Dehaene - Crédits : Parlement européen

Au fil des années, Valéry Giscard d’Estaing n’aura cessé de porter son engagement européen dans l’espace public à travers des prises de position et des publications. En 2014, il s’exprimait dans un essai en faveur d’une intégration fédérale resserrée autour de douze pays européens. Plus récemment encore, à 94 ans, l’ancien chef de l’Etat appelait dans une tribune à construire une union budgétaire et fiscale en réponse à la crise du Covid-19. Jusqu’au bout, Valéry Giscard d’Estaing aura continué, comme il le défendait dans son discours devant la Convention sur l’avenir de l’Europe en 2002, à “rêver d’Europe” .

Le 2 décembre 2021, un hommage lui est rendu à Strasbourg, pour célébrer l’Européen qu’il était. Retardée de dix mois en raison de la situation sanitaire, cette cérémonie devant initialement avoir lieu le 2 février, jour de sa naissance, se tient au Parlement européen en présence notamment des présidents de la Commission européenne Ursula von der Leyen, du Conseil européen Charles Michel, du Parlement européen David Sassoli et des chefs d’Etat français Emmanuel Macron et allemand Frank-Walter Steinmeier. L’occasion d’honorer la mémoire de celui pour qui, selon les mots de M. Sassoli, “l’Europe était une manifestation du sens de l’histoire”.

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