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Laurent Bouvet : “le niveau européen est le bon niveau pour ré-inventer la social-démocratie”

A l’occasion de l’édition 2010 des Etats Généraux du Renouveau à Grenoble, Touteleurope.fr donne la parole à Laurent bouvet, directeur de l’Observatoire de la social-démocratie européenne de la Fondation Jean Jaurès. Celle-ci organise plusieurs ateliers dont “Les promesses de la nouvelle social-démocratie européenne”.

Touteleurope.fr : Pourquoi dit-on de la social-démocratie européenne qu’elle est en crise ?

Laurent Bouvet : Tout d’abord, il y a un paradoxe à voir d’une certaine manière triompher les idées de la social-démocratie face à la crise économique et financière aujourd’hui. Cela aurait été beaucoup mieux de voir la régulation de l’économie et un Etat social redistributif plutôt que la dérégulation et la dé-construction de l’Etat-Providence telle qu’on a commencé à l’opérer.

Comme réponse à la crise, les Etats sont repartis dans ce sens là avec les plans de sauvetage des banques ou de relance… qui sont des idées social-démocrates à l’origine. Elles semblent naturelles aujourd’hui. Mais dans le même temps, partout où il y a des élections, les forces politiques représentant ce courant (sociaux-démocrates, travaillistes, socialistes) voient leurs idées être battues dans les scrutins devant les électeurs.

Le deuxième paradoxe, c’est de se demander finalement si la social-démocratie n’est pas entrain de mourir comme régime institutionnel. Ce modèle, le fameux compromis social-démocrate entre capital et travail dans une économie de marché régulée, peut-il encore représenter une solution à la crise du capitalisme ? C’est un modèle ne serait pas une solution pour l’avenir. La social-démocratie serait donc déjà morte d’avoir réalisé pendant des décennies son modèle (en gros les Trente Glorieuses). Après une trentaine d’années de dérégulation capitaliste et de montée en puissance du néo-libéralisme, on est dans un nouveau cycle, mais les solutions social-démocrates ne semblent plus adaptées. La crise de la social-démocratie serait donc qu’elle a déjà accompli son programme historique.

Touteleurope.fr : pensez-vous que la période libérale se referme comme certains le prétendent ?

Laurent Bouvet : C’est une thèse assez courante aujourd’hui depuis la crise américaine à l’automne 2008 et son extension mondiale. On est parti d’une crise sur les marchés bancaires à une crise des finances publiques des Etats. On serait sorti d’une période de triomphe des idées libérales au sens économique et du capitalisme dérégulé, financiarisé.

Je suis prêt à le penser mais sur le plan méthodologique, c’est très compliqué de savoir si on est dans ce genre de transition car on le sait après, dans dix ou vingt ans. Je serai donc prudent car il y a des signes qui montrent que les banques par exemple ou les marchés financiers n’ont rien appris de la crise.

On entre dans une période assez indécise et incertaine. Il va y avoir un combat avec les idées sous-jacentes à l’économie des marchés, des banques et des agences de notation qui continuent d’exister et de faire des dégâts sur les Etats. Nous sommes dans le même temps dans le monde du consumérisme mais avec des aspirations très fortes à la régulation, voir pour certains jusqu’à la décroissance pour certains écologiques.

Même si tout le monde se rend compte que dans le futur il faut changer les règles, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de modèle de rechange. La social-démocratie n’est donc plus perçue comme un modèle. Il faut transformer très profondément, voir ré-inventer, une nouvelle forme politico-économico-sociale, une nouvelle social-démocratie.

Mais cela n’aura plus grand chose à voir avec le modèle d’hier : un Etat centralisé, régulateur tout puissant, qui impose aux acteurs économiques un certain nombre de contraintes qui pèsent très fortement. On ne peut plus le faire car les acteurs eux-mêmes ne l’acceptent pas. Les acteurs ne sont pas seulement les banques, les marchés financiers, les entreprises multinationales, ce sont les individus. Nous ne sommes plus prêts à accepter les formes de contrôle social qui vont avec la régulation qui existaient dans les années 50 ou 60. Nous ne sommes plus prêts à subir une société organisée, fortement quadrillée par des institutions et des règles communes aussi rigides qu’à l’époque.

Nous devons donc inventer des formes de régulation nouvelles qui s’adaptent à la conscience individuelle exacerbée d’aujourd’hui. Comment faire pour réguler la consommation ou limiter la possibilité d’accès à des nouvelles technologies (qui peuvent être émancipatrices) à une partie de la population ? Comment est-on capable de parler de régulation et de collectif dans un monde beaucoup plus fortement individualisé qu’avant ?

Touteleurope.fr : Les partis socialistes européens présentent à Bruxelles ce mercredi des propositions pour la gouvernance de l’UE. L’avenir de la social-démocratie ne se joue-t-il pas au niveau européen ?

Laurent Bouvet : Premièrement, c’est son histoire, sa tradition. La social-démocratie comme l’ensemble des mouvements issus du monde ouvrier est par essence internationaliste. Elle s’est construite dans une espèce de coopération internationale avec des liens entre les partis, les syndicats, les groupes et les personnes. Cependant, le compromis social-démocrate s’est construit sur une base nationale dans un cadre économique beaucoup plus fermé qu’aujourd’hui. La régulation par l’Etat se faisait dans un cadre où les échanges étaient limités, avec de fortes barrières protectionnistes, où la monnaie était nationale et contrôlée par l’Etat. Tout cela a disparu.

Notamment au niveau européen, la monnaie est devenue l’euro, la puissance publique ne contrôle plus la monnaie puisque la Banque Centrale Européenne est indépendante, les frontières entre pays européens sont ouvertes avec un marché intégré. Tout cela, la social-démocratie y a paradoxalement participé. Elle a été un des moteurs de cette construction européenne avec la démocratie-chrétienne.

L’Europe est aussi la seule voie qu’elle ait. Seul le niveau européen est pertinent aujourd’hui pour inventer cette nouvelle forme de régulation de l’économie et des marchés et aussi surtout des formes de nouvelles solidarité, de nouveaux collectifs protecteurs qui font sens pour l’individu, des espaces de solidarité. Le niveau européen permet par exemple d’avoir une taille suffisante pour lutter contre la logique des marchés qu’on connait (délocalisation, déréglementation financière). Une action collective européenne a plus de chances de réussir, même si on a vu que c’était difficile à réaliser. On se souvient de l’échec de la mobilisation pour l’usine de Vilvorde dans les années 90 quand Renault voulait la fermer.

L’idée d’un parti socialiste européen a donc un sens et peut être le moyen de faire bouger les partis nationaux, de leur permettre de résoudre leurs problèmes communs pour reconquérir les classes populaires face aux partis populistes. Cette démarche doit être européenne. On ne peut plus avoir, comme à l’époque de la “Troisième Voie” de Tony Blair, des partis choisissant des stratégies différentes au sein de la famille social-démocrate.

Touteleurope.fr : Le programme commun à tous les partis socialistes européens proposé lors des élections européennes de 2009, est-il une étape dans cette voie ?

Laurent Bouvet : Tout à fait. Il faut une démarche commune au niveau européen pour se réaliser ensuite pays par pays. Ce n’est pas revenir sur les identités nationales et les spécificités. Seules des modalités stratégiques vis-à-vis des peuples européens montreront que la social-démocratie est capable de parler un langage populaire et offrir un espace commun de
solidarité où le modèle de société peut être différent du reste du monde. La projet de la social-démocratie doit définir une identité de valeurs communes européenne et de gauche. Le niveau européen est le bon niveau pour répondre aux défis d’aujourd’hui.

En savoir plus :

le site des Etats Généraux du Renouveau (EGR)

les deux ateliers organisés par Touteleurope.fr et le ME-F

le site de la Fondation Jean Jaurès

le blog de Laurent Bouvet

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