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Concurrence déloyale : comment l’Union européenne se défend-elle face aux pays tiers ?

Chine, Russie, Etats-Unis… face aux autres géants du commerce mondial, l’Union européenne est-elle à la hauteur ? Pour mieux protéger son économie et faire face aux pratiques de concurrence déloyale, elle a récemment revu ses instruments de défense.

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Qu’est-ce-que la concurrence déloyale ?

La concurrence déloyale consiste à mettre en oeuvre des stratégies qui ne respectent pas les règles de la concurrence définies par l’Organisation mondiale du Commerce (OMC). Des pratiques qui permettent notamment à un pays de rendre ses entreprises plus compétitives face à leurs concurrentes sur un marché extérieur (et donc de renforcer sa présence sur la scène commerciale internationale). “Ces exportations nuisent aux industries européennes et peuvent même entraîner, en définitive, des pertes d’emplois et des fermetures d’usines” , explique la Commission européenne.

Il existe différentes pratiques de concurrence déloyale. Les deux principales à l’échelle internationale sont le dumping et la subvention.

Le dumping consiste à vendre des biens à un prix inférieur à leurs coûts de production. Ou à les vendre à l’étranger à un prix moins élevé que sur son marché intérieur.

La subvention est une aide financière accordée par un gouvernement ou un organisme public à une entreprise pour la rendre plus compétitive.

Il existe d’autres stratégies de concurrence déloyale telles que le dénigrement, le parasitisme, l’imitation ou la désorganisation.

L’Union européenne subit-elle la concurrence déloyale de pays tiers ?

La Chine, et loin derrière elle la Russie, sont les pays les plus régulièrement accusés par l’UE de pratiquer du dumping ou de fausser la concurrence en subventionnant leurs entreprises, notamment dans le secteur de la sidérurgie. Ainsi, en avril 2015, l’association européenne de l’acier (Eurofer) a porté plainte contre les pratiques d’entreprises russes et chinoises, et des manifestations de sidérurgistes européens ont été organisées en février 2016 dans le quartier des institutions de Bruxelles. La Commission européenne a alors pris des mesures anti-dumping contre les exportations chinoises et russes d’acier, en augmentant les droits de douane sur ces biens.

Selon un porte-parole de la Commission européenne, ces mesures auraient fait chuter de 90 % les importations en dumping d’acier originaire de Chine. Parallèlement, le prix moyen des produits sidérurgiques aurait progressé de 40 % en Europe en 2017 par rapport à 2016. L’industrie européenne n’aurait pas recréé tous les emplois perdus pendant la crise économique et financière, mais à l’aube de l’année 2019, elle aurait commencé à réembaucher.

D’autres pays peuvent aussi entrer dans le viseur de l’UE, comme les Etats-Unis ou le Japon. En 2016, la Commission a aussi mis en place une mesure anti-dumping provisoire contre la Corée du Sud sur certains “papiers thermosensibles légers” . Et les accusations se font également en sens inverse : en 2012, la Chine accusait l’UE de pratiquer une concurrence déloyale dans le secteur du vin.

De quels instruments dispose l’UE pour la combattre ?

Pour se protéger contre la concurrence déloyale des pays tiers ou l’inondation subite de son marché, l’UE dispose de plusieurs instruments de défense commerciale (IDC). Il en existe trois types, qui consistent le plus souvent à relever les droits de douane sur les produits importés : les mesures anti-dumping, les mesures anti-subventions et les mesures de sauvegarde.

Ces instruments doivent respecter les règles fixées par l’OMC. Les mesures anti-dumping et anti-subventions prévues par les règlements de l’UE ne peuvent être activées que dans le cas où les producteurs européens subissent un préjudice important ou une menace de dommage grave en raison d’une pratique de concurrence déloyale. L’enquête, à la charge de la Commission européenne, doit être contradictoire, et la décision finale rendue publique. Les mesures s’appliquent en principe pour 5 ans, avant d’être réétudiées au regard de “l’évolution du contexte” .

Par exemple, si un appareil est vendu 10 euros en Europe alors qu’il en coûte le triple dans son pays d’origine, les producteurs européens qui s’estiment lésés peuvent porter plainte. Idem si un produit est vendu à un prix artificiellement bas grâce à des subventions de l’Etat exportateur. La Commission européenne peut alors imposer des droits de douane supplémentaires pour restaurer des conditions “loyales” de concurrence.

S’il estime que les règles de l’OMC n’ont pas été respectées, le pays concerné peut saisir l’organe de règlement des différends de l’organisation internationale.

Le dilemme des panneaux solaires chinois

A l’exception des mesures provisoires, les mesures anti-dumping ou anti-subventions qu’envisage de prendre la Commission européenne sont soumises au Conseil de l’UE. Si une majorité qualifiée d’Etats membres s’y oppose, l’exécutif européen doit revoir sa copie.

C’est ce qui est arrivé en 2017, lors du renouvellement des droits anti-dumping imposés depuis 2013 sur les panneaux solaires en provenance de Chine. La Commission proposait de les prolonger pendant deux ans. Mais à la suite de l’opposition de 18 pays, ils n’ont finalement été maintenus que pour 18 mois.

En effet, malgré les risques de rebond de la concurrence chinoise, certaines entreprises du Vieux continent dépendantes de ces panneaux solaires déploraient l’augmentation de leurs coûts. Les sur-taxes ont finalement été totalement supprimées en septembre 2018.

Les mesures de sauvegarde, elles, sont un instrument de l’OMC visant à corriger une situation de crise causée par une hausse brutale et inattendue des importations. Elles peuvent consister à appliquer des restrictions quantitatives à l’importation ou à relever les droits de douane pendant 4 ans (un prolongement jusqu’à 8 ans est possible).

Par exemple, après que les Etats-Unis ont décidé d’imposer des droits de douane très élevés sur l’acier au printemps 2018, de nombreux exportateurs ont redirigé leurs flux vers l’Union européenne. Les entreprises du secteur restant fragiles dans l’UE, la Commission a mis en place des mesures de sauvegarde à compter de juillet 2018 à l’encontre de 26 catégories de produits sidérurgiques étrangers, afin qu’ils n’inondent pas son marché.

Quelle mise en application des instruments de défense commerciale ?

L’UE, de même que l’Inde, le Brésil, les Etats-Unis ou la Chine, utilise régulièrement ses IDC.

Selon la Commission européenne, 135 mesures anti-dumping et anti-subventions étaient ainsi actives dans l’UE fin 2018 (10 nouvelles enquêtes ont été ouvertes dans l’année, ainsi que 17 ré-examens de fin de droits). 93 d’entre elles concernaient des produits de Chine, et 9 des produits de Russie. S’agissant des secteurs, 52 ciblaient des produits de l’acier et 25 des produits chimiques. A l’échelle de l’UE, 320 000 emplois industriels directs étaient affectés à la production de produits similaires à ceux visés par les mesures de la Commission.

Ces chiffres élevés peuvent néanmoins être relativisés car en 2017, selon les derniers chiffres disponibles, seules 0,31% des importations totales dans l’Union ont fait l’objet de mesures anti-dumping ou anti-subventions.

Par ailleurs, ces mesures ne sont pas toujours faciles à obtenir. En effet, pour qu’une plainte ait une chance d’aboutir, elle doit avoir été déposée par des acteurs du marché européen représentant au moins 25 % du volume de production de l’UE. Pas facile, pour les petites et moyennes entreprises (PME), de se battre dans ces conditions. En 2004, un bureau d’assistance a été mis en place pour les aider à faire face à la complexité des enquêtes. Mais de manière générale, environ la moitié des plaintes reçues par la Commission ne sont pas recevables.

Certains acteurs économiques européens regrettent aussi que les revalorisation des droits de douane tournent, aujourd’hui en moyenne, autour de 30 ou 40% du prix des produits importés en Europe, alors que les Etats-Unis les surtaxent parfois à plus de 250% !

Comment les règles ont-elles évolué depuis 2017 ?

Pour améliorer la protection de l’industrie européenne, l’Union a révisé quelques unes de ses règles ces deux dernières années.

Le 20 décembre 2017, la manière d’évaluer le dumping a été revue pour les importations en provenance de pays où il existe des distorsions importantes du marché. Elle tient désormais mieux compte de l’influence de ces Etats et des politiques publiques sur les prix et les coûts de production.

La direction générale du commerce a aussitôt publié un rapport sur les distorsions en Chine, dont l’industrie européenne peut désormais se prévaloir pour porter plainte (un autre rapport est attendu sur la Russie).

Le 8 juin 2018, après cinq ans de négociations, d’autres règles relatives aux IDC ont également été modernisées. Cette “première grande révision de la législation anti-dumping et anti-subventions de l’Union depuis 1995″ , selon la Commission, permet notamment d’instituer des droits de douane plus élevés qu’auparavant sur les biens “produits à partir de matières premières et d’énergie fournies à un prix artificiellement bas” .

Des droits provisoires peuvent également être appliqués au bout de 7 à 8 mois d’enquête, contre 9 auparavant.

Enfin, l’industrie européenne peut transmettre à la Commission les coûts nets qu’elle supporte pour se conformer aux normes environnementales et sociales de l’UE. Ces surcoûts peuvent être pris en compte dans le calcul de leur préjudice et donc la fixation des mesures anti-dumping et anti-subventions.

Vers un renforcement des règles à l’OMC ?

En 2019, l’UE tente également de peser un maximum dans les négociations internationales concernant la modernisation de l’OMC. Son objectif est d’approfondir le multilatéralisme tout en l’appuyant sur des règles plus fortes en matière de lutte contre la concurrence déloyale. Et d’améliorer l’efficacité du système de règlement des différends.

Son point de vue a été publié en septembre 2018, après que des discussions trilatérales se sont ouvertes avec les Etats-Unis et le Japon. Un groupe de travail spécialisé a également permis aux Européens d’échanger avec les Chinois.

Le sommet UE-Chine du 9 avril 2019 devrait être l’occasion, pour l’UE, de rappeler à Pékin ses engagements en matière de subventions publiques jugées peu transparentes, et en matière de transferts forcés de technologie, souvent exigés par la Chine pour pénétrer son immense marché.

[La version initiale de cet article, publiée en 2016, a été réalisée par des élèves de Sciences Po dans le cadre d’un projet collectif dirigé par Toute l’Europe.]

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